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L’illusion de l’« accord de paix en 60 jours » : pourquoi la grille américano‑centrée méconnaît la conflictualité algéro‑marocaine réelle

Le Washington Institute érige, dans sa dernière note, la promesse d’un accord de paix en soixante jours en horizon crédible, faisant du dossier saharien le cœur unique d’une désescalade régionale. Cette lecture, séduisante en apparence, traduit une méconnaissance du réel maghrébin et une superficialité diplomatique. Elle confond rivalité et guerre — alors qu’Alger et Rabat ne sont pas en guerre — et réduit un différend historique, enraciné bien avant 1975, à la seule question du Sahara occidental.

Même le document qu’elle cite reconnaît, par endroits, que la relation est « à un plus bas historique » sans être belliqueuse. Dès lors, le fameux ultimatum de soixante jours relève davantage du geste performatif que d’un véritable calendrier diplomatique.

Une rivalité d’État avant le Sahara : mémoire, frontières et sécurité

Pour Alger, la « montre diplomatique » américaine ignore les fondations historiques du différend : la guerre des Sables (1963-64), les ambiguïtés du tracé colonial des frontières, les cycles de tension et de gel — dont la fermeture terrestre depuis 1994 — et, plus récemment, la rupture des relations diplomatiques décidée en août 2021 face à des « actes hostiles ».

Ces épisodes ont forgé une rivalité d’État à État où s’entremêlent sécurité, mémoire, statut régional, énergie et symboles culturels. Réduire cette complexité à un seul contentieux territorial revient à nier l’histoire et à méconnaître la logique d’une diplomatie algérienne fondée sur la souveraineté, la dignité et la légalité internationale.

La souveraineté algérienne : du silence ferme à l’acte décisif

La décision d’Alger, le 1er novembre 2021, de ne pas renouveler l’accord du gazoduc Maghreb-Europe n’a pas été un geste d’humeur, mais un acte souverain et réfléchi. Elle a consacré le passage d’une simple froideur diplomatique à une autonomie stratégique assumée.

L’Algérie a ainsi sécurisé ses exportations via Medgaz et le GNL, affirmant que l’économique ne saurait compenser l’absence de confiance politique. Ce choix, loin d’être marginal, symbolise la volonté d’Alger de se dégager de toute dépendance instrumentalisée. Pourtant, la note américaine n’y voit qu’un détail technique, négligeant sa signification politique majeure : l’indépendance du choix algérien.

Le Sahara occidental : une cause centrale, mais non unique

Oui, le Sahara occidental est au cœur du différend, mais il n’en est ni l’origine ni la totalité. Pour l’Algérie, il s’agit d’un dossier de décolonisation, encadré par la légalité internationale, et non d’un différend bilatéral.

Le renouvellement du mandat de la MINURSO, le 31 octobre 2025 (résolution 2797), réaffirme que le Conseil de sécurité demeure le seul cadre légitime. Le plan d’autonomie marocain, souvent brandi comme unique base de négociation, ne saurait s’imposer à un processus onusien fondé sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Quant à la reconnaissance américaine de décembre 2020, actant la souveraineté marocaine, elle n’a aucune valeur juridique internationale. Alger la considère comme un geste politique unilatéral sans effet sur le droit.

L’illusion américaine : confondre « deal » et paix

L’approche du Washington Institute illustre un biais structurel : penser le Maghreb selon la grammaire du deal-making américain, comme s’il s’agissait d’une transaction. Or la paix, pour l’Algérie, ne s’achète pas, ne se décrète pas, ne se chronomètre pas.

Trois principes guident la position algérienne :
  1. Multilatéralisme juridique : aucune solution ne peut naître en dehors de l’ONU ; les proclamations américaines ne sauraient se substituer aux résolutions du Conseil de sécurité.
  2. Sécurité régionale : la stabilité repose sur des garanties concrètes, sur la poursuite de la mission de la MINURSO et sur le contrôle des incidents, non sur des effets d’annonce.
  3. Souveraineté nationale : la rivalité avec Rabat touche aux équilibres de légitimité et de sécurité ; toute inflexion doit résulter d’un choix souverain, non d’une pression médiatique ou diplomatique.

Vers une approche algérienne réaliste et structurée

L’approche algérienne propose non pas une paix imposée, mais une désescalade séquencée et vérifiable, articulée autour de trois axes :
  1. Dépolitiser le temps : refuser la logique d’ultimatum et replacer le processus dans un cadre onusien progressif, liant la self-determination à la confiance mutuelle.
  2. Renforcer le filet onusien : consolider la MINURSO, son accès, ses moyens logistiques et sa fonction de vérification, pour abaisser le risque tactique sur le terrain.
  3. Découpler les dossiers : faire avancer des coopérations techniques et humaines — gestion des frontières, échanges commerciaux, coordination sécuritaire — sans attendre un accord global sur le statut final du Sahara.

Conclusion : la paix ne se décrète pas, elle se construit

L’article du Washington Institute a le mérite de replacer le dossier dans une temporalité onusienne, mais il pèche par américano-centrisme et simplisme stratégique.

Réduire la stabilité maghrébine à l’équation « Sahara = paix » revient à ignorer l’histoire, la géographie et la souveraineté.

Pour l’Algérie, la paix véritable passe par un double couplage : une solution juste et onusienne au Sahara occidental, et une normalisation graduelle des relations d’État à État dans le respect mutuel et la confiance restaurée.

En soixante jours, on peut écrire un texte.

Mais il faut des décennies de mémoire, de constance et de dignité pour bâtir une paix.

Et c’est sur ce terrain — celui de la légitimité historique et du droit — que l’Algérie continuera d’ancrer sa diplomatie.

Belgacem Merbah


Références 

Commentaires

  1. Bravo pour votre travail ! Vous avez tout notre soutien de la part d’une Algérienne qui aime sa patrie merci

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