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Réfutation académique des prétentions marocaines sur leur rôle dans la guerre de libération algérienne : entre mémoire sélective et instrumentalisation politique

Les relations entre l’Algérie et le Maroc durant la guerre de libération nationale (1954-1962) sont loin d’incarner l’image idyllique de solidarité fraternelle que tente de diffuser une certaine historiographie marocaine contemporaine. L’ouvrage récemment publié sous le titre « La guerre de libération algérienne dans la presse marocaine : aspects du soutien marocain au combat algérien pour l’indépendance », prétend établir le rôle central du Maroc dans la réussite de la Révolution algérienne. Or, ces affirmations relèvent davantage de la construction idéologique et de la récupération diplomatique que de la vérité historique. Cet article propose une réponse point par point aux arguments avancés, en s’appuyant sur des sources historiques fiables, des témoignages de dirigeants algériens, ainsi que sur les travaux d’historiens indépendants.

1. La presse marocaine : soutien symbolique ou couverture opportuniste ?

Le livre affirme que la presse marocaine, notamment Al-‘Alam et At-Tahrir, a été un relais actif du combat algérien, en relayant les victoires des moudjahidines et en dénonçant les exactions françaises. Si l’on admet qu’une partie de la presse a effectivement évoqué la guerre, cette couverture était davantage dictée par des préoccupations internes (mobilisation populaire, concurrence politique entre partis) que par un engagement sincère et structuré en faveur de la Révolution algérienne. Il s’agissait de manifestations de sympathie certes existantes, mais souvent limitées, irrégulières et non coordonnées avec les structures de la lutte algérienne.

Par ailleurs, ces prises de position restaient cantonnées au registre discursif. Elles n’ont été ni suivies d’efforts diplomatiques substantiels, ni traduites par des sacrifices tangibles. À titre de comparaison, la presse égyptienne nassérienne ou la presse tunisienne ont joué un rôle plus consistant, en cohérence avec un soutien d’État avéré.

2. Le territoire marocain : sanctuaire logistique ou levier de négociation ?

L’ouvrage soutient que le Maroc oriental servait de « base arrière » au FLN. En réalité, l’utilisation du territoire marocain par les maquis algériens fut tolérée de manière fluctuante, souvent entravée par les calculs diplomatiques de Rabat. Contrairement à la Tunisie qui offrit une coopération étroite et assumée, le Maroc post-indépendance (1956) adopta une posture ambivalente, parfois bienveillante, parfois hostile, en fonction de ses rapports avec la France et des priorités du Palais.

Le sommet de cette duplicité est atteint lors de l’affaire des livraisons de combattants algériens à la France en 1958, un épisode encore peu connu mais largement documenté par les sources algériennes et françaises, où les autorités marocaines ont trahi la confiance des moudjahidines en coopérant secrètement avec les services coloniaux.

3. Le soutien diplomatique : plaidoyer sincère ou marchandage politique ?

Le livre vante l’effort diplomatique marocain en faveur de la cause algérienne dans les fora internationaux. Cette affirmation occulte le fait que Rabat ne reconnaîtra officiellement le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) qu’en octobre 1958, soit bien après la majorité des États progressistes d’Afrique et d’Asie. Cette reconnaissance tardive s’explique par les hésitations marocaines à traiter le FLN comme unique représentant légitime du peuple algérien, dans la crainte que cela nuise à leurs négociations bilatérales avec Paris.

En réalité, les autorités marocaines ont constamment cherché à instrumentaliser la guerre d’Algérie dans leurs discussions avec la France, notamment pour arracher des concessions territoriales concernant les régions de Tindouf et Béchar. Le roi Mohammed V s’était même engagé, selon plusieurs sources diplomatiques françaises (voir les travaux de Benjamin Stora), à ne pas soutenir trop ouvertement le FLN, en échange d’une reconnaissance implicite des « revendications historiques » du Maroc sur l’Algérie du Sud.

4. Le mythe de la “lutte commune” : fiction post-indépendance

L’un des piliers rhétoriques de l’ouvrage marocain repose sur la prétendue “lutte commune” entre Algériens et Marocains contre le colonialisme français. Or, l’histoire contredit cette vision idéaliste. Le FLN et l’État marocain indépendant ont entretenu des rapports distants, méfiants et parfois conflictuels. Le Maroc a par exemple tenté d’encourager des dissidences au sein du mouvement national algérien, en soutenant des figures marginales opposées au FLN, dans le but d’amoindrir son hégémonie et de favoriser un interlocuteur algérien plus conciliant envers les revendications marocaines.

Les tensions ont culminé en 1963, à peine un an après l’indépendance algérienne, avec le déclenchement de la guerre des Sables, qui mit à nu les véritables intentions du régime marocain : affaiblir l’Algérie naissante pour imposer un rapport de force territorial. Cette agression armée fut unanimement perçue par le peuple algérien comme une trahison, et marque la fin définitive de tout discours sur un « combat commun ».

5. Instrumentalisation de la mémoire : appel à une recherche honnête et non sélective

Enfin, le livre marocain appelle chercheurs et historiens à revisiter la période de la guerre dans un esprit de « réconciliation » et de « renforcement de l’unité maghrébine ». Un tel appel ne peut être pris au sérieux s’il se fonde sur une mémoire sélective, falsifiée et orientée. La recherche historique ne peut servir de support à une entreprise de réhabilitation diplomatique d’un passé qui fut, dans bien des aspects, conflictuel et marqué par des calculs de pouvoir.

Une réconciliation sincère entre les peuples ne peut se construire que sur une base de vérité, et non sur la glorification artificielle d’un passé instrumentalisé à des fins géopolitiques. La mémoire algérienne conserve, au-delà de tout discours officiel, le souvenir d’une révolution solitaire, entourée de soutiens certes, mais aussi trahie par des acteurs supposés frères. Le Maroc ne saurait effacer, à coups d’ouvrages commandés et de récits embellis, les réalités documentées de sa position ambiguë, parfois hostile, vis-à-vis de la lutte de libération algérienne.

Conclusion

L’analyse critique de l’ouvrage marocain révèle une tentative évidente de réécriture de l’histoire au service d’un agenda politique actuel, visant à redorer l’image d’un régime dont le rôle réel dans la guerre d’indépendance algérienne fut tout sauf décisif. Face à cette entreprise de mystification, le devoir des chercheurs algériens et maghrébins intègres est de rétablir les faits, de déconstruire les mythes, et de défendre une mémoire fondée sur les réalités du terrain, non sur les illusions diplomatiques.



Par Belgacem Merbah




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