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Le nouveau programme ferroviaire algérien : un levier stratégique pour l’émergence économique

Le 24 avril 2025, le Président de la République a inauguré le premier tronçon de 100 kilomètres entre Béchar et Abadla de la future ligne Béchar-Tindouf-Gara Djebilet. Aujourd'hui, l'Algérie célèbre une étape historique dans sa quête d'une infrastructure ferroviaire nationale moderne, intégrée et hautement stratégique. Cet événement symbolique marque le début d'une nouvelle ère où les chemins de fer deviennent la colonne vertébrale du développement économique du pays.


Une renaissance ferroviaire après des décennies d’atermoiements

Après l’élan prometteur de la décennie 2000, marqué par une dynamique sans précédent dans la construction ferroviaire, la chute brutale des prix du pétrole en 2014 a mis un coup d’arrêt brutal à de nombreux projets. Cette situation n’était pas sans rappeler l’abandon, dès 1988, du programme ambitieux des années 1980 pour des raisons similaires.

Aujourd’hui, un nouveau cycle de croissance s’enclenche, cette fois avec une vision plus lucide et déterminée. Depuis 2021/2022, les autorités ont engagé un programme massif visant à tripler la longueur du réseau ferroviaire existant — passant de 5.000 km actuellement à près de 15.000 km d’ici 2030 — dans un contexte économique redynamisé par une politique budgétaire proactive et des investissements massifs.

Béchar-Tindouf-Gara Djebilet : la voie de l’acier algérien

La ligne Béchar-Tindouf-Gara Djebilet (950 km), dont le premier tronçon est désormais opérationnel, est emblématique de cette ambition. Au-delà du transport de voyageurs, elle sera le principal vecteur d’acheminement du minerai de fer extrait de Gara Djebilet — l’un des plus vastes gisements mondiaux, estimé à 3,5 milliards de tonnes.

Dès 2027, l’Algérie prévoit de produire jusqu’à 10 millions de tonnes par an de minerai de fer, générant potentiellement entre 10 et 14 milliards de dollars d’exportations annuelles, et alimentant les grandes unités sidérurgiques nationales : Tosyalı Algérie (Arzew), Bellara (Jijel) et El Hadjar (Annaba).

L’axe Nord-Sud : un lien vital pour l’intégration nationale

La future ligne ferroviaire reliant Alger à In Guezzam (extrême sud) sur 2.500 km, dont 400 km sont déjà réalisés, est un autre projet phare. Cette colonne vertébrale permettra :
  • D’intégrer économiquement le Sahara algérien, riche en ressources agricoles, minières et énergétiques.
  • De fluidifier les échanges vers le Sahel à travers la route transsaharienne.
La wilaya d’El Ménéa, par exemple, deviendra un centre logistique pour les fruits et légumes primeurs. Timimoun, de son côté, est appelée à devenir un pilier de l’agriculture industrielle, soutenue par des investissements italiens majeurs.

Le phosphate de Djebel Onk : un pari sur la fertilisation de demain


La double voie électrifiée entre Annaba et Djebel Onk (422 km), en cours de réalisation, vise à développer pleinement le potentiel du gisement de phosphates, un autre moteur d’exportations (2 milliards de dollars par an espérés). Les produits issus de la transformation locale irrigueront l’agriculture nationale et mondiale.

Boucler les boucles Sud-Ouest et Sud-Est : la conquête des confins

Les lignes en projet ou en cours de finalisation vers Adrar, Timimoun, Hassi Messaoud et Oued Souf s’inscrivent dans une logique de désenclavement des vastes régions sahariennes. Elles permettront :
  • Le transport de produits agricoles et industriels vers le nord et l’exportation.
  • La dynamisation des investissements étrangers, notamment qatariens dans la production de lait et de viande rouge à Adrar.

Ainsi, le Grand Sud n’est plus vu comme une périphérie isolée, mais comme un futur grenier alimentaire et énergétique national.

Un projet industriel intégré : de la voie à la rame

La stratégie ne se limite pas à la pose de rails. Elle englobe une industrialisation ferroviaire ambitieuse :

  • Réhabilitation du complexe de maintenance ferroviaire d’Annaba.
  • Développement d’une usine de montage de trains modernes en partenariat avec la Chine à Sidi Bel Abbès.
  • Fabrication nationale des wagons, tramways et, à terme, des locomotives.
  • Multiplication des centres de maintenance à travers tout le pays, y compris dans le Grand Sud.
Le taux d’intégration industrielle visé est ambitieux : 25 à 30 % dans un premier temps, avec des perspectives d’exportation à terme vers l’Afrique.

Un financement colossal pour une ambition nationale

Le programme ferroviaire bénéficie d’une enveloppe de 700 milliards de dinars (5,2 milliards USD) d’ici fin 2026, et de 8 milliards USD pour l’ensemble de ses composantes. Un effort colossal, entièrement porté par l’État pour les infrastructures, et par la Société Nationale des Transports Ferroviaires (SNTF) pour le matériel roulant.

Ce choix stratégique s’inscrit dans l’objectif global de porter le PIB algérien à 400 milliards de dollars à l’horizon 2027.

Conclusion : l’Algérie sur la voie de la souveraineté ferroviaire

La mise en service du premier tronçon de Béchar-Abadla n’est pas un simple événement technique. C’est le signe avant-coureur d’une révolution économique profonde, portée par la volonté de rompre avec la dépendance, de désenclaver l’intérieur du pays et de reconquérir les marchés extérieurs.

En choisissant d’investir massivement dans ses chemins de fer, en développant sa propre industrie ferroviaire et en misant sur une connectivité régionale ambitieuse, l’Algérie se prépare, résolument, à prendre sa place parmi les nations émergentes du XXIᵉ siècle.

Le défi est immense, mais l’élan est donné. À l’Algérie, désormais, de maintenir le cap.



Par Belgacem Merbah



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