Ce que ressent une large frange du peuple algérien à l’égard du président Abdelmadjid Tebboune ne relève ni d’un simple emportement passager, ni d’un jugement émotionnel hâtif. C’est une lecture ancrée dans une conscience historique vive et dans l’amertume d’un long rapport de subordination symbolique à une Présidence française toujours empreinte, malgré plus de soixante ans d’indépendance, d’arrogance post-coloniale, de condescendance masquée et de nostalgie impériale.
L’éternel retour du mépris
À l’accession de M. Tebboune au pouvoir, certains Algériens ont voulu croire à un renouveau dans les relations avec Paris, espérant la fin d’un cycle où l’Algérie cède et la France méprise. Mais très vite, la réalité a rappelé à l’ordre : les concessions algériennes sont demeurées unilatérales, et les gestes d’ouverture de la Présidence se sont heurtés à un Élysée hautain, souvent insultant.
Une voix algérienne s’est donc élevée, plus claire, plus directe : assez de ce romantisme diplomatique, assez de cette illusion de partenariat entre égaux quand l’un ne cesse d’humilier l’autre.
Machiavélisme à la française
Le comportement d’Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité d’une tradition française de duplicité vis-à-vis de l’Algérie. Sous des dehors affables, c’est un stratège redoutable, passé maître dans l’art de la dissimulation politique. Dès la désignation de M. Tebboune, son attitude fut froide, presque méprisante. Le retard de ses félicitations en disait long sur son jugement de la légitimité du nouveau président, perçu comme trop proche des institutions souveraines algériennes, et donc, trop éloigné des attentes françaises.
Mais fidèle à sa méthode, Macron tendit ensuite la main, jouant la carte du rapprochement pour mieux manipuler. Promesses floues, gestes symboliques, puis... coups bas. La fameuse déclaration de septembre 2021, où il osa nier l’existence de la nation algérienne avant la colonisation, en est un exemple frappant. Une insulte raciste, délibérée, destinée à flatter les lobbies de la nostalgie coloniale en France.
L’intellectuel indigène, outil d’une insulte programmée
Que dire ensuite de l’entrevue accordée à Le Point en compagnie de Kamel Daoud, figure ambivalente que Paris chérit tant ? Là encore, Macron se servit de l’“intellectuel indigène” pour justifier l’injustifiable : que l’Algérie ne serait pas prête pour un pardon, que la mémoire n’était pas une priorité. Un test de patience, une provocation sous forme d’entretien.
Et lorsque les blessures sont encore béantes, voilà que l’Élysée décroche un appel téléphonique cordial à la Présidence algérienne. Comme si de rien n’était. C’est ici que l’humiliation prend sa forme la plus crue : être insulté publiquement et répondre avec empressement dans le secret du téléphone.
Jusqu’à quand cette soumission feutrée ?
Une question hante désormais les esprits patriotes : pourquoi ce silence officiel face à tant d’affronts ? Pourquoi maintenir l’illusion d’une "amitié algéro-française" que seule Alger continue d’honorer ? Pourquoi une visite présidentielle à Paris fut-elle envisagée, voire préparée, après l’affaire Bouraoui, dans laquelle la France a piétiné la souveraineté judiciaire algérienne sans l’ombre d’un remords ?
Il devient impératif de comprendre que le silence engendre le mépris, et que l’absence de réponse nourrit la répétition de l’offense. La “désescalade” prônée par Alger est comprise par Paris comme une faiblesse.
Sortir du mirage sentimental
Entre 2020 et 2025, l’attitude algérienne a oscillé entre bienveillance naïve et mauvais calcul stratégique. Cette phase doit désormais laisser place à une politique étrangère ferme, guidée par les intérêts de la nation, et libérée de l’emprise émotionnelle que la France exerce encore sur une partie de l’élite algérienne.
Cela suppose une rupture franche avec :
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le romantisme mémoriel, qui continue de faire croire en une “relation exceptionnelle” ;
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la dépendance linguistique et culturelle, héritée du passé colonial, qui freine l’émancipation intellectuelle ;
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la tolérance envers les relais d’influence pro-français, actifs dans les sphères médiatiques, politiques et culturelles algériennes.
Une rupture... pas une guerre
La question n’est pas de déclarer la guerre diplomatique à Paris. Mais de refonder la relation sur une base froide, technique, utilitaire. À la France, ne doivent être accordées que des relations au service de l’intérêt national algérien. Plus d’exception, plus de privilège implicite.
Il est temps aussi de confisquer à l’Élysée le monopole de la mémoire. La guerre d’Algérie ne peut rester l’objet de commémorations cyniques ou de discours à géométrie variable. Elle appartient au peuple algérien, et à lui seul.
Une politique tournée vers l’avenir
Face à une France figée dans son passé, l’Algérie doit ouvrir ses horizons. Les rapprochements avec la Russie, la Chine, la Turquie, l’Amérique latine, ne doivent plus relever d’un simple calcul d’équilibre, mais d’un choix stratégique de souveraineté.
Car la puissance d’un pays ne se mesure pas seulement à ses richesses ou à son armée, mais à sa capacité à se libérer des chaînes invisibles. Et en matière d’influence française, l’Algérie traîne encore trop de chaînes.
En conclusion : ni oubli, ni dépendance
L’Algérie ne quémande pas des excuses par faiblesse. Elle les exige au nom du droit, de l’histoire et de la dignité. Et si elles ne viennent pas, alors la relation avec Paris doit être maintenue à son strict minimum. Pas de rupture émotionnelle, mais un désengagement méthodique, une souveraineté retrouvée.
Le président Tebboune, et ceux qui lui succéderont, seront jugés non sur leurs intentions, mais sur leur capacité à préserver l’honneur d’une nation qui a payé son indépendance au prix du sang.
L’heure n’est plus à la sentimentalité diplomatique. L’heure est à l’affirmation. L’Algérie n’est pas une dépendance culturelle. Elle est une nation debout.
Par Belgacem Merbah
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