Éric Zemmour, figure controversée du paysage médiatique et politique français, s’est distingué par une fascination persistante pour l’histoire de l’Algérie. À travers ses déclarations, il s’emploie à nier l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation française, adoptant un discours idéologique qui fait fi des réalités historiques les plus avérées. D’où vient une telle insistance ? Quels intérêts se dissimulent derrière cette négation d’une évidence historique ?
Issu d’une famille juive algérienne, Éric Zemmour est né en France en 1958. Ses ancêtres, naguère établis dans la région de Constantine, faisaient partie des Juifs d’Algérie, naturalisés français par le décret Crémieux en 1870, sous l’occupation coloniale.
Pourtant, malgré ces origines, Zemmour rejette toute appartenance à l’Algérie et revendique une identité exclusivement française. Farouche opposant à la double nationalité et à toute conception d’une identité plurielle, il érige l’assimilation en dogme et prône une vision de la France où l’héritage colonial se doit d’être glorifié plutôt que questionné.
L’Algérie, un État souverain avant la colonisation française
Contrairement aux affirmations de Zemmour, l’Algérie n’a pas été « créée » par la France en 1830. Son histoire en tant qu’État remonte bien avant cette date et trouve ses racines dans l’unification de la Numidie sous Massinissa en 202 avant J.-C. Ce dernier a instauré un royaume structuré, avec un gouvernement, des institutions et une vision politique claire qui transcendaient les divisions tribales.
L’argument souvent avancé par Zemmour, selon lequel l’Algérie n’était qu’une simple province ottomane, relève d’une profonde falsification historique. En réalité, la régence d’Alger était un État indépendant, et non une colonie ottomane. L’Empire ottoman n’exerçait aucun contrôle direct sur Alger, qui disposait de sa propre armée, de sa monnaie, de son système fiscal et de sa politique étrangère.
Les preuves diplomatiques de l’existence de l’État algérien
L’indépendance de l’Algérie avant la colonisation française est attestée par de nombreux traités signés avec des puissances européennes et même avec les États-Unis :
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Les accords internationaux signés par Alger : De nombreux traités ont été conclus entre Alger et des puissances européennes, notamment avec la France sous Louis XIV en 1684, où Alger négociait directement sans intervention ottomane.
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La guerre entre l’Algérie et les États-Unis (1785-1795) : À la fin du XVIIIe siècle, l’Algérie a mené une guerre navale contre les États-Unis en raison du non-paiement des tributs maritimes. Ce conflit a conduit à la signature d’un traité de paix le 5 septembre 1795, où l’Algérie reconnaissait officiellement les États-Unis en tant que nation indépendante.
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L’Empire ottoman a reconnu les États-Unis bien après Alger : L'Empire ottoman, censé dominer l’Algérie selon les thèses de Zemmour, n’a reconnu officiellement les États-Unis qu’en 1830, soit 35 ans après Alger. Comment un État inexistant aurait-il pu devancer son supposé suzerain en matière de reconnaissance diplomatique ?
Ces faits démontrent sans ambiguïté que l’Algérie existait en tant qu’État pleinement souverain, bien avant la conquête française.
Pourquoi Éric Zemmour nie-t-il cette réalité historique ?
L’acharnement de Zemmour à nier l’existence de la nation algérienne ne relève pas d’une simple méconnaissance, mais d’un projet idéologique visant à légitimer la colonisation française. En minimisant la profondeur historique de l’Algérie, il cherche à imposer l’idée que la France aurait « créé » ce pays et lui aurait donné une identité nationale.
Mais il y a aussi une dimension plus personnelle dans cette posture : la question du décret Crémieux de 1870. Ce décret, promulgué sous la Troisième République, a accordé la nationalité française aux Juifs d’Algérie, contrairement aux musulmans qui restaient soumis au Code de l’Indigénat. Cet acte a été perçu comme une trahison des populations algériennes musulmanes, favorisant une minorité au détriment du reste des habitants.
Il serait néanmoins réducteur d’associer l’ensemble des Juifs d’Algérie à cette décision. Certains s’y sont opposés, choisissant de demeurer aux côtés de leurs compatriotes musulmans dans la lutte contre la colonisation. Des figures juives algériennes ont pris part au combat aux côtés des résistants, refusant toute assimilation forcée à la France coloniale. L’engagement de personnalités comme Georges Smadja ou Daniel Timsit durant la révolution algérienne (1954-1962) illustre cette réalité et nous invite à éviter toute généralisation.
Une contradiction idéologique flagrante chez Zemmour
Zemmour se revendique comme un patriote et un nationaliste français intransigeant. Pourtant, il célèbre indirectement un acte qui, dans une lecture nationaliste, pourrait être vu comme une trahison envers la terre natale de ses ancêtres. Comment peut-on se prétendre patriote et revendiquer une filiation avec ceux qui ont, en quelque sorte, été intégrés à la France au détriment de leur pays d’origine ?
C’est ici que le discours de Zemmour s’effondre sous le poids de ses propres contradictions. S’il reconnaît l’existence de la nation algérienne avant 1830, alors il doit aussi admettre que le décret Crémieux constituait une trahison de ses ancêtres envers leur patrie, l’Algérie. Or, une telle admission démolirait son discours nationaliste. Comment peut-on lui faire confiance, alors qu’il glorifie la trahison de ses propres ancêtres envers l’Algérie ?
Conclusion : la manipulation historique au service d’une idéologie
Le discours de Zemmour sur l’Algérie n’est pas un débat historique neutre, mais une instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques et idéologiques. En niant l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation, il tente de justifier l’occupation française tout en évitant de confronter l’histoire de ses propres ancêtres.
Mais l’histoire est claire : l’Algérie était un État souverain avant 1830, avec une diplomatie, une armée et des relations internationales. Les guerres menées, les traités signés et la reconnaissance des États-Unis en 1795 sont des preuves indiscutables de cette indépendance.
Ainsi, quoi qu’en dise Éric Zemmour, l’Algérie est un ancien État-nation dont les racines plongent profondément dans l’histoire. Tenter d’effacer cette réalité ne relève pas du débat historique, mais d’une volonté idéologique de réécriture du passé.
Belgacem Merbah
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