L’ouvrage Les Scénarios noirs de l’armée française, d’Alexandra Saviana, présente une série d’hypothèses sur les conflits potentiels impliquant la France et ses voisins d’ici 2030. Parmi ces scénarios, l’un des plus marquants concerne une supposée guerre entre l’Algérie et le Maroc en août 2025, juste avant les grandes manœuvres franco-marocaines "Chergui 2025" prévues en septembre. Cette vision, largement spéculative, s’inscrit dans une tradition de récits alarmistes souvent déconnectés de la réalité militaire et stratégique de la région.
En analysant ces scénarios, il devient évident que l’armée française ne se base pas uniquement sur des données factuelles, mais projette plutôt des désirs stratégiques qui reflètent plus un wishful thinking qu’une réelle évaluation des rapports de force. L’Algérie, dotée d’une armée technologiquement et numériquement supérieure à celle du Maroc, ne peut raisonnablement être perçue comme une force vulnérable face à son voisin de l’Ouest. Cet article décrypte les incohérences de ces projections et met en lumière la posture réelle des forces en présence.

Une vision biaisée du rapport de force algéro-marocain
Dans Les Scénarios noirs de l’armée française, l’un des récits évoque une prétendue offensive algérienne sur Oujda, qui se solderait par un échec "retentissant" pour l’Algérie. Cette hypothèse repose sur une perception erronée de l’équilibre militaire entre les deux pays.
L’armée algérienne : une force largement supérieure
Contrairement à ce que laisse entendre le livre, l’Algérie dispose de l’une des armées les plus puissantes d’Afrique et du monde arabe, avec des capacités bien supérieures à celles du Maroc. Selon le classement Global Firepower 2024, l’Algérie se place devant le Maroc en termes de puissance militaire globale, avec :
- Une flotte blindée bien plus importante (T-90, BMPT Terminator, etc.),
- Une supériorité aérienne incontestable grâce aux Sukhoi Su-30MKA et MiG-29M,
- Des systèmes de défense aérienne avancés (S-300 et S-400),
- Une marine mieux équipée, avec des sous-marins de classe Kilo et des frégates modernes.
Face à cela, le Maroc, malgré ses récents efforts de modernisation, reste largement en retrait, notamment en matière de défense aérienne et de capacité stratégique autonome. Il est donc absurde de supposer qu’une confrontation directe tournerait en faveur du Maroc.
Un contexte opérationnel ignoré
L’ouvrage de Saviana fait abstraction de la préparation opérationnelle des forces algériennes et de leur doctrine militaire, qui repose sur une approche défensive et dissuasive. L’Algérie n’a jamais initié de conflit direct avec un voisin et a toujours privilégié une posture de défense territoriale et de protection de ses frontières.
En outre, l’idée d’un déclenchement de guerre un mois avant les manœuvres franco-marocaines de septembre 2025 soulève des questions : s’agit-il d’une simple coïncidence dans le livre ou d’une volonté de créer un narratif destiné à justifier une présence militaire accrue en Afrique du Nord ?
Les manœuvres "Chergui 2025" : une préparation à un conflit programmé ?
Le livre Les Scénarios noirs de l’armée française évoque la possibilité d’une escalade en août 2025, ce qui précéderait de peu les exercices militaires "Chergui 2025" entre la France et le Maroc. Ces manœuvres, qui s’inscrivent dans une coopération militaire régulière entre Rabat et Paris, prennent une signification particulière dans ce contexte.
Si les exercices conjoints sont courants, le timing précis de ces manœuvres laisse penser à une volonté de tester ou de simuler des scénarios liés à l’Algérie. Une telle hypothèse soulève plusieurs interrogations :
- Ces exercices visent-ils à préparer une riposte en cas de conflit ?
- Sont-ils une démonstration de force destinée à dissuader l’Algérie d’agir dans la région ?
- Ou cherchent-ils à renforcer l’intégration du Maroc dans une alliance militaire dirigée contre l’Algérie ?
Le contexte géopolitique régional, avec le soutien américain à la position marocaine sur le Sahara occidental et la volonté de Rabat d’approfondir ses partenariats militaires avec l’OTAN, conforte l’idée que ces manœuvres pourraient être un élément clé d’une stratégie d’endiguement face à l’Algérie.
Un alarmisme stratégique au service d’une politique d’endiguement
Les scénarios du livre ne sont pas neutres : ils traduisent une perception française qui cherche à anticiper des crises en fonction de ses propres intérêts. L’idée d’une Algérie "affaiblie" ou "défaite" correspond à une vision qui alimente une certaine stratégie d’isolement du pays sur la scène internationale.
Pourquoi une telle insistance sur un effondrement algérien ?
L’Algérie, par sa position géostratégique, son indépendance en matière de politique étrangère et son refus d’alignement sur certaines orientations occidentales, représente un acteur singulier en Afrique du Nord. La crainte d’une Algérie forte, dotée d’une armée puissante et d’une influence régionale grandissante, explique pourquoi certains cercles de réflexion cherchent à promouvoir des scénarios qui la décrivent comme vulnérable ou en déclin.
En réalité, l’Algérie reste un pays stable, doté d’institutions solides et d’une armée capable d’assurer la défense de son territoire. Les "purges" mentionnées dans le livre sont en réalité des restructurations internes visant à moderniser et à renforcer l’efficacité des forces armées. Loin d’être un signe de faiblesse, ces réformes témoignent d’une adaptation aux nouveaux défis sécuritaires.
Conclusion : entre fiction et réalité militaire
L’ouvrage Les Scénarios noirs de l’armée française illustre un prisme biaisé qui sous-estime la résilience et la puissance de l’Algérie. En présentant des scénarios où l’Algérie sortirait affaiblie d’un conflit hypothétique avec le Maroc, il occulte les réalités militaires et stratégiques qui font de l’Algérie une force incontournable en Afrique du Nord.
Par ailleurs, la corrélation entre la date du supposé conflit et les manœuvres militaires franco-marocaines en septembre 2025 soulève des questions sur la nature réelle de ces exercices et leur rôle potentiel dans une logique de préparation ou de dissuasion.
En définitive, ces projections relèvent plus d’un wishful thinking que d’une analyse sérieuse basée sur des faits concrets. L’Algérie, loin du chaos et de la fragmentation décrite dans ce type de littérature stratégique, continue d’affirmer sa souveraineté et de se positionner comme un acteur central dans l’équilibre régional.
Belgacem Merbah
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