Depuis 100 jours, Boualem Sansal est incarcéré en Algérie. En France, son arrestation est dénoncée comme une attaque contre la liberté d’expression, un signe de « dérive autoritaire » du gouvernement algérien. Les médias et les politiques français, unanimes, réclament sa libération immédiate, dénonçant une « détention arbitraire ». Pourtant, cette affaire, loin d’être aussi simple qu’on le prétend, soulève plusieurs questions fondamentales.
Pourquoi cette indignation ciblée contre l’Algérie, alors que la France elle-même encadre strictement la liberté d’expression ? Pourquoi refuser à Alger le droit d’appliquer ses lois, alors que Paris punit sévèrement certains discours jugés dangereux ? Cette approche à géométrie variable relève d’un deux poids, deux mesures flagrant, témoignant d’un paternalisme persistant à l’égard de l’Algérie.
1. Une arrestation basée sur des charges sérieuses, pas une simple opinion
Contrairement à la version relayée par les médias français, Boualem Sansal n’a pas été arrêté simplement pour avoir exprimé une opinion. Son incarcération repose sur l’article 87 bis du code pénal algérien, qui concerne les actes de terrorisme et les atteintes à la sûreté nationale.
Ce n’est pas un cas isolé. En Algérie, comme en France, les États ont le droit d’encadrer les discours qui menacent leur sécurité. Si Boualem Sansal est poursuivi en vertu de cet article, c’est parce que ses propos ou ses actions ont, selon les autorités algériennes, franchi une limite jugée dangereuse pour l’ordre public.
Dès lors, le débat ne porte pas sur la liberté d’expression en tant que telle, mais sur la légalité et la nature des faits reprochés. Si des preuves existent, elles doivent être examinées par la justice. Or, la réaction française ignore complètement cet aspect, préférant présenter l’affaire sous un prisme purement idéologique.
2. La liberté d’expression n’est jamais absolue : le cas français
Les critiques françaises à l’égard de l’Algérie donnent l’impression que la France serait un modèle de liberté d’expression illimitée. C’est une illusion.
En France aussi, des lois strictes encadrent la parole publique. Certaines opinions, pourtant pacifiques, sont punies de lourdes sanctions :
- La négation de certains événements historiques, notamment la Shoah, est un délit passible de prison.
- L’apologie du terrorisme est lourdement sanctionnée, même si l’auteur n’a commis aucun acte violent.
- L’atteinte à l’intégrité du territoire national, par exemple en remettant en cause la souveraineté française sur certains territoires, peut entraîner des poursuites.
- Le secret-défense et la protection des intérêts de l’État limitent la publication d’informations sensibles.
De nombreux intellectuels, journalistes et militants ont été condamnés en France pour leurs opinions. Citons par exemple :
- Jean-Marc Rouillan, condamné pour avoir exprimé un point de vue sur son passé militant.
- Dieudonné, dont plusieurs spectacles ont été interdits pour des raisons politiques.
- Tariq Ramadan, accusé avant même un procès équitable, écarté de la scène médiatique.
Si la France considère qu’il est légitime d’imposer des limites à la liberté d’expression pour protéger l’ordre public et ses intérêts, pourquoi l’Algérie ne pourrait-elle pas faire de même ?
3. Une indignation sélective : pourquoi l’Algérie et pas d’autres ?
Chaque année, des écrivains et intellectuels sont arrêtés dans différents pays du monde. Pourtant, la réaction de la France varie considérablement selon l’État concerné :
- Lorsqu’un opposant saoudien est emprisonné, la diplomatie française reste prudente, préservant ses relations avec Riyad.
- Lorsqu’en Égypte, des dissidents sont arrêtés, Paris continue de vendre des armes au régime sans sourciller.
- Quand un journaliste russe est arrêté, l’indignation est totale, car cela sert un agenda politique anti-russe.
Pourquoi donc l’Algérie est-elle systématiquement pointée du doigt alors que d’autres pays, pourtant plus répressifs, sont épargnés ? Cette indignation sélective cache en réalité un paternalisme persistant, un refus d’accepter l’indépendance de l’Algérie et ses choix souverains.
4. L’Algérie, un État souverain face aux ingérences françaises
La France a toujours eu du mal à accepter que l’Algérie puisse prendre des décisions sans son approbation. Dans cette affaire, les réactions outrées des intellectuels et politiques français rappellent les vieux réflexes néocoloniaux :
- Ils exigent la libération immédiate de Sansal, sans même attendre un procès ou des preuves.
- Ils dénoncent la justice algérienne comme étant arbitraire, alors qu’ils refusent toute critique de leur propre système judiciaire.
- Ils prétendent défendre la liberté d’expression, alors qu’ils la restreignent eux-mêmes dès que cela sert leurs intérêts.
Si un pays étranger exigeait de la France la libération d’un détenu jugé pour des faits graves, Paris considérerait cela comme une ingérence inacceptable. Pourquoi donc cette attitude envers l’Algérie ?
5. Une affaire instrumentalisée à des fins politiques
L’affaire Boualem Sansal ne se limite pas à une question de liberté d’expression. Elle est utilisée comme un prétexte pour attaquer l’Algérie et entretenir un narratif selon lequel ce pays serait un régime oppresseur.
Cette instrumentalisation sert plusieurs objectifs :
- Entretenir la pression sur l’Algérie, en la présentant comme un État autoritaire.
- Discréditer ses institutions, notamment sa justice et son gouvernement.
- Mobiliser un certain électorat en France, particulièrement dans les milieux nostalgiques de l’Algérie française.
Ce n’est pas un hasard si Boualem Sansal est souvent cité par les milieux conservateurs et néocoloniaux français comme un symbole de la « résistance » contre l’Algérie. Son cas sert une narration idéologique, bien au-delà de sa situation personnelle.
Conclusion : une critique hypocrite et néocoloniale
L’arrestation de Boualem Sansal est avant tout une affaire de justice algérienne. S’il est innocent, il appartiendra aux tribunaux de le prouver. Mais le traitement de cette affaire en France montre une hypocrisie flagrante :
- La liberté d’expression n’est jamais absolue, ni en Algérie ni en France.
- Les critiques françaises relèvent d’un paternalisme insupportable, refusant à l’Algérie ce que Paris applique à lui-même.
- Cette affaire est instrumentalisée à des fins politiques, visant à discréditer un pays souverain.
L’Algérie n’a pas de leçons à recevoir sur la liberté d’expression d’un pays qui poursuit ses propres intellectuels, impose des tabous historiques, et pratique une indignation à géométrie variable selon ses intérêts diplomatiques.
Plutôt que d’alimenter une polémique néocoloniale, la France ferait mieux de respecter la souveraineté algérienne et de cesser ses ingérences déguisées en défense des droits.
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