Charles Prats et l’illusion d’une pression financière sur l’Algérie : une proposition irréaliste et contre-productive
Dans un récent post, Charles Prats plaide pour l’activation d’une arme financière contre l’Algérie, suggérant de taxer lourdement les flux monétaires à destination de ce pays pour la contraindre à coopérer sur les expulsions de ses ressortissants en situation irrégulière en France. Si cette proposition se veut percutante, elle repose sur une vision simpliste des relations internationales et méconnaît les conséquences potentiellement désastreuses d’une telle politique.

Non seulement cette idée est juridiquement et économiquement contestable, mais elle sous-estime également les capacités de rétorsion de l’Algérie, qui dispose de nombreux leviers pour riposter et rendre cette mesure inopérante, voire nuisible aux intérêts français.
Qui est Charles Prats ? Un magistrat à l’agenda politique bien marqué
Charles Prats, ancien magistrat de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), s’est fait connaître ces dernières années pour ses prises de position très critiques sur la fraude sociale et l’immigration. Auteur de plusieurs ouvrages dénonçant une prétendue explosion des fraudes aux prestations sociales en France, il est une figure médiatique prisée des milieux conservateurs et souverainistes.
Bien que se présentant comme un expert des questions juridiques et financières, ses analyses sont souvent contestées pour leur manque de rigueur méthodologique et leur approche idéologiquement orientée. Il a notamment été critiqué pour des extrapolations hasardeuses sur la fraude sociale et des chiffres sujets à caution. Son positionnement politique l’a rapproché de la droite dure, et ses propositions en matière migratoire s’inscrivent dans une logique de confrontation plus que de pragmatisme diplomatique.
La suggestion d’une taxation punitive des flux financiers vers l’Algérie s’inscrit dans cette ligne dure, privilégiant une posture de défiance et de sanction plutôt qu’une approche négociée et réaliste.
Une mesure juridiquement contestable et économiquement absurde
Un risque d’illégalité au regard du droit européen et international
La proposition de Charles Prats pose un problème majeur : elle pourrait être jugée contraire aux principes fondamentaux du droit européen et international.
Entrave à la libre circulation des capitaux
- L’Union européenne garantit la libre circulation des capitaux, y compris avec les pays tiers. Instaurer une taxation discriminatoire sur les transferts vers un pays spécifique pourrait être perçu comme une restriction abusive, exposant la France à des sanctions ou des recours juridiques.
Discrimination et rupture d’égalité
- En ciblant uniquement l’Algérie, cette mesure reviendrait à stigmatiser une seule communauté de la diaspora, soulevant des questions de discrimination devant le Conseil constitutionnel ou la Cour de justice de l’Union européenne.
Une attaque contre la diaspora algérienne en France
En pratique, la taxation de 33 % sur les transferts financiers ne pénaliserait pas l’État algérien, mais bien les familles qui dépendent de ces envois d’argent pour vivre.
- Les transferts d’argent des diasporas sont avant tout des aides familiales, servant à financer des dépenses essentielles comme la santé, l’éducation et le logement.
- Ce type de taxation ne ferait qu’encourager les circuits informels, renforçant l’économie parallèle et rendant les flux financiers plus opaques.
- L’impact sur la communauté franco-algérienne serait désastreux, alimentant un sentiment de stigmatisation et de discrimination.
Une taxation des pensions de retraite : un scandale en puissance
Charles Prats propose également de taxer les pensions de retraite versées en Algérie, un pays où vivent de nombreux anciens travailleurs ayant cotisé toute leur vie en France.
- Une telle mesure serait juridiquement fragile, car elle reviendrait à modifier les droits acquis de retraités vivant légalement à l’étranger.
- Elle risquerait de provoquer une vague de contestation, non seulement en Algérie, mais aussi parmi les binationaux en France.
L’Algérie a des moyens de rétorsion bien réels
L’une des grandes faiblesses de la proposition de Charles Prats est qu’elle ignore totalement la capacité de riposte de l’Algérie. Contrairement à l’image d’un pays passif que certains veulent véhiculer, Alger dispose de plusieurs leviers pour répondre à une attaque financière française.
1. Une riposte économique immédiate : restriction des marchés et des investissements
L’Algérie est un partenaire commercial non négligeable pour la France, notamment dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures et de l’agroalimentaire.
- Le marché algérien est crucial pour plusieurs entreprises françaises, comme Total, Renault ou encore Sanofi. Une détérioration des relations pourrait entraîner une restriction des investissements français en Algérie.
- Alger pourrait décider de favoriser d’autres partenaires économiques, notamment la Chine, la Turquie ou la Russie, qui cherchent activement à renforcer leur présence en Afrique du Nord.
- Une remise en cause des contrats énergétiques : bien que l’Algérie soit moins dépendante de la France que l’inverse, elle pourrait réorienter certains contrats gaziers et pétroliers vers d’autres partenaires, compliquant l’approvisionnement français en hydrocarbures.
2. Une réponse politique et diplomatique : gel de la coopération sécuritaire et migratoire
Actuellement, la France et l’Algérie coopèrent sur plusieurs dossiers sensibles, notamment la lutte contre le terrorisme et la gestion des flux migratoires.
- Alger pourrait suspendre les accords de coopération sécuritaire, ce qui compliquerait le travail des services de renseignement français dans la région du Sahel.
- Le nombre de visas accordés aux Français pourrait être drastiquement réduit, affectant les nombreux citoyens français ayant des attaches en Algérie.
- Un durcissement des relations bilatérales fragiliserait la diplomatie française dans la région, où l’Algérie joue un rôle clé.
3. Une répercussion sociale en France
Enfin, une confrontation avec l’Algérie aurait un impact direct sur la situation sociale en France.
- Une détérioration des relations pourrait exacerber les tensions communautaires, alimentant un sentiment de rejet parmi les Français d’origine algérienne.
- Des manifestations et mouvements de contestation pourraient émerger, rendant la situation intérieure encore plus instable.
Une approche idéologique qui ne résout rien
La proposition de Charles Prats relève davantage d’une posture idéologique que d’une solution pragmatique. Elle ignore les réalités diplomatiques, les risques économiques et les conséquences en chaîne qu’une telle mesure entraînerait.
Si la question des expulsions est un sujet légitime, elle ne saurait être réglée par des mesures punitives absurdes qui fragiliseraient davantage les relations franco-algériennes. Plutôt que de jouer la carte du bras de fer financier, la France aurait tout intérêt à privilégier des accords de réadmission équilibrés, fondés sur des incitations positives et une coopération renforcée, plutôt que sur des sanctions contre-productives.
En définitive, cette proposition, loin d’être une solution efficace, s’apparente davantage à un coup de communication politique destiné à flatter une frange radicale de l’opinion publique, sans réelle prise en compte des enjeux diplomatiques et économiques à long terme.
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