Une fermeté à sens unique : lecture analytique du discours de Laurent Nuñez sur les relations migratoires franco‑algériennes
Dans son entretien accordé au Journal du dimanche, le ministre français de l’Intérieur, Laurent Nuñez, a cherché à projeter l’image d’un responsable déterminé, engagé dans un dialogue « ferme » et « exigeant » avec Alger sur la question migratoire. Mais au‑delà de cette posture, son discours met en lumière une dynamique asymétrique qui caractérise encore trop souvent la relation franco‑algérienne : la France fixe le cadre, l’Algérie est appelée à s’y adapter.
Un discours de fermeté qui masque un déséquilibre structurel
Le ministre affirme que Paris sait « se montrer ferme » dans ses échanges avec Alger et insiste sur « l’exigence » du dialogue. L’affirmation se veut rassurante pour l’opinion française, mais elle révèle surtout un rapport de force unilatéral. Lorsqu’il est question de la reprise par l’Algérie de ressortissants sous le coup d’OQTF, Laurent Nuñez reconnaît lui‑même que ce n’est « pas encore » effectif. Les discussions stagnent, réduites à des aspects techniques, tandis que la pression politique demeure entièrement du côté français.
Ce décalage entre discours et réalité souligne une tension persistante : la France exige des avancées concrètes, mais peine à reconnaître les conditions préalables posées par Alger.
Des priorités françaises présentées comme des évidences
Le ministre évoque la nécessité d’un accord « pérenne », présenté comme une évidence stratégique pour les deux pays. Pourtant, cette stabilité recherchée par Paris se conjugue à d’autres attentes françaises, notamment la révision des accords bilatéraux de 1968, que l’exécutif souhaite adapter à ses priorités sécuritaires et migratoires actuelles.
Dans cette logique, l’Algérie est implicitement invitée à se conformer à l’agenda français. Le discours ne laisse guère de place à l’idée que la coopération nécessite une convergence réellement bilatérale.
Une rhétorique du respect mutuel… conditionnel
Laurent Nuñez déclare que « la partie algérienne doit accepter les conditions que l’on pose », tout en ajoutant que « l’exigence n’empêche pas le respect mutuel ». Cette formule, en apparence conciliatrice, illustre toutefois un déséquilibre conceptuel : le respect est invoqué comme principe, mais les conditions demeurent fixées unilatéralement par Paris.
Or, l’Algérie ne conçoit pas les discussions migratoires comme un simple ajustement technique. Pour Alger, la coopération doit s’inscrire dans un cadre plus large intégrant :
- la politique des visas, perçue comme instrument de pression ;
- le traitement administratif et sécuritaire des ressortissants algériens en France ;
- la nécessité d’une relation fondée sur l’égalité souveraine ;
- la mémoire historique et les sensibilités qu’elle implique.
Ces éléments fondamentaux sont largement absents du discours ministériel.
Une confiance française déconnectée des réalités du dialogue
En assurant être « confiant » quant à la conclusion d’un accord dans les « prochaines semaines », le ministre cherche avant tout à répondre à une attente intérieure : montrer que le gouvernement agit. Mais cette confiance repose implicitement sur l’idée que l’Algérie finira par s’aligner, ce qui a souvent contribué à des impasses diplomatiques.
Jusqu’à présent, à chaque fois que Paris a misé sur la pression plutôt que sur la reconnaissance des intérêts légitimes d’Alger, la relation s’est crispée plutôt qu’apaisée.
Vers quel modèle de coopération ?
Si la France souhaite réellement stabiliser et moderniser sa relation avec l’Algérie, elle devra dépasser une logique d’injonction qui transpire dans les déclarations de Laurent Nuñez. La gestion migratoire ne peut être efficace que dans un cadre où l’Algérie est pleinement reconnue comme acteur souverain et non comme simple variable d’ajustement d’une politique intérieure française.
Tant que Paris continuera à envisager l’Algérie essentiellement comme un pays de départ, et non comme un partenaire doté de ses propres priorités et exigences, la « fermeté » affichée ne produira guère d’effets, sinon celui de renforcer les blocages déjà existants.
Par Belgacem Merbah
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