Sahara occidental : un dossier de décolonisation inachevé — entre droit, démographie et controverses économiques
Inscrit depuis 1963 sur la liste onusienne des territoires non autonomes, le Sahara occidental demeure juridiquement une situation de décolonisation à parachever par l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux‑mêmes. Les textes fondateurs — de l’avis consultatif de la CIJ (1975) aux résolutions des organes onusiens et aux arrêts des juridictions européennes — convergent vers un principe simple : seul un référendum libre et authentique peut trancher entre indépendance et intégration. Toute ingénierie politique interne (autonomie) ou extension d’accords économiques à l’territoire sans le consentement du peuple sahraoui s’expose, en droit, au contentieux et à l’annulation.
I. Le cadre juridique international : constantes et inflexions
II. Autonomie : politique interne, droit international
Le « plan d’autonomie » (2007) est régulièrement « pris en compte » par le Conseil de sécurité à partir de S/RES/1754 (2007), dans une matrice qui exige un règlement politique juste, durable et mutuellement acceptable assurant l’autodétermination des Sahraouis, et invite à négocier sans conditions préalables. Les renouvellements ultérieurs n’ont pas modifié ce cadre normatif.
Le 31 octobre 2025, le Conseil a prorogé la MINURSO jusqu’au 31 octobre 2026 (S/RES/2797 (2025)), référençant le plan d’autonomie comme base de discussions. Mais la résolution ne consacre pas une souveraineté sur le territoire ni ne modifie son statut d’territoire non autonome : l’architecture onusienne demeure celle d’une décolonisation à parachever assortie de l’exigence de l’autodétermination.
III. Démographie & infox : démonter la fable des « 1 819 Sahraouis »
Les estimations onusiennes documentent une population réfugiée sahraouie massive dans les camps de Tindouf (Algérie) : les partenaires onusiens travaillent sur un socle opérationnel d’environ 173 600 personnes, tandis que certaines planifications humanitaires ont, à des périodes, utilisé des chiffres plus bas (~90 000 vulnérables) pour la distribution. Ces écarts méthodologiques n’accréditent en rien des prétentions absurdes ramenant les Sahraouis à « 1 819 ».
Le retour des hostilités depuis novembre 2020 (Guerguerat) et les incidents récurrents à l’est du mur sont attestés dans les rapports du Secrétaire général 2024/2025, expliquant la vulnérabilité et la dépendance accrues des camps à l’aide.
IV. Jurisprudence de l’Union européenne : « territoire séparé et distinct » & primat du consentement
La CJUE (Grande chambre, 27 février 2018, C‑266/16) établit que les accords UE–Maroc ne sont pas applicables au Sahara occidental ni à ses eaux adjacentes, confirmant que le territoire est séparé et distinct au regard du droit de l’Union et du droit international.
En 2021, le Tribunal annule les décisions du Conseil étendant aux produits du Sahara occidental des préférences tarifaires et un accord de pêche faute de consentement du peuple sahraoui ; en 4 octobre 2024, la Cour confirme : les accords de 2019 ont été conclus en méconnaissance des principes d’autodétermination et de l’effet relatif des traités ; le consentement du peuple — et non des habitants présents — est condition de validité. La Cour précise que ce consentement peut être présumé dans des cas limités, à condition d’un bénéfice spécifique, tangible, substantiel et vérifiable proportionné à l’exploitation des ressources ; condition non remplie en l’espèce.
V. Union africaine : nommer les choses
Les rapports et décisions de l’Union africaine qualifient la situation de processus de décolonisation non achevé, évoquant l’occupation du territoire depuis 1975 en dépit de l’avis de la CIJ ; ils exhortent à un référendum permettant de choisir entre indépendance et intégration et ont désigné un Envoyé spécial pour le dossier.
VI. Mandat, droits humains et discours nationaux
La MINURSO reste l’une des rares missions contemporaines sans composante de monitoring des droits humains, lacune régulièrement dénoncée par les organisations internationales — Amnesty International et Human Rights Watch — qui appellent à ajouter cette fonction au mandat pour documenter les abus tant dans le territoire qu’aux camps.
La mobilisation de formules de « grâce » ou de « réconciliation » issues de discours nationaux ne peut, en droit, substituer aux références internationales (Charte de l’ONU, résolutions, mandat MINURSO) ni restreindre des droits tels que le retour ou la participation au processus, qui relèvent de l’ordre juridique international.
VII. Situation du conflit et horizon de négociation
Les rapports SG 2024/2025 décrivent une situation complexe, des incidents de sécurité, et un processus bloqué malgré les efforts de l’Envoyé personnel. La prorogation de 2025 entérine une approche de « réalisme », sans altérer le statut onusien du territoire comme non autonome.
Grille normative — points de repère
- Statut du territoire. Le Sahara occidental est un territoire non autonome relevant d’une décolonisation en cours au titre de 1514 (XV). [un.org]
- Référence judiciaire. La CIJ (1975) n’a pas constaté de liens de souveraineté de nature à écarter l’autodétermination. [icj-cij.org]
- Outil de décision. Le référendum sous égide onusienne (S/RES/690 (1991)) demeure l’instrument de règlement final. [digitallib...ary.un.org]
- Représentation. Le Front Polisario est reconnu par l’AG comme représentant du peuple sahraoui (1979/1980). [digitallib...ary.un.org], [digitallib...ary.un.org]
- Accords économiques. Inapplicables au territoire sans consentement du peuple ; annulation confirmée par la CJUE (2024). [curia.europa.eu]
- Autonomie. Base de discussion, non un solde juridique qui supprime le référendum ou crée une souveraineté de facto. [press.un.org], [un.org]
Conclusion
Au‑delà des narratifs et des controverses, la ligne de force juridique demeure : autodétermination et consentement du peuple sahraoui. Tant que référendum il n’y a pas, toute solution politique interne et tout accord économique englobant le territoire sans consentement s’inscrivent à contre‑courant du droit international et s’exposent au contentieux.
Par Belgacem Merbah
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