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Sahara occidental : un dossier de décolonisation inachevé — entre droit, démographie et controverses économiques

Inscrit depuis 1963 sur la liste onusienne des territoires non autonomes, le Sahara occidental demeure juridiquement une situation de décolonisation à parachever par l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux‑mêmes. Les textes fondateurs — de l’avis consultatif de la CIJ (1975) aux résolutions des organes onusiens et aux arrêts des juridictions européennes — convergent vers un principe simple : seul un référendum libre et authentique peut trancher entre indépendance et intégration. Toute ingénierie politique interne (autonomie) ou extension d’accords économiques à l’territoire sans le consentement du peuple sahraoui s’expose, en droit, au contentieux et à l’annulation

I. Le cadre juridique international : constantes et inflexions

1) Statut onusien du territoire.
Le Sahara occidental figure parmi les territoires non autonomes depuis 1963, à la suite de la transmission d’informations par l’Espagne au titre de l’article 73 e de la Charte ; l’Assemblée générale adopte annuellement une résolution y afférente. Le retrait espagnol de 1976 a mis fin à son administration sans transfert de souveraineté, ce qui maintient l’affaire dans le périmètre de la résolution 1514 (XV) sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux. 

2) Avis consultatif de la CIJ (16 octobre 1975).
La Cour écarte la thèse de la terra nullius et constate des liens juridiques d’allégeance avec certaines tribus ainsi que des liens avec l’« entité mauritanienne », sans établir de lien de souveraineté territoriale de nature à affecter l’application de la résolution 1514 : le principe de l’autodétermination par l’expression libre et authentique de la volonté du peuple demeure la règle. 

3) MINURSO : genèse et finalité.
Créée par la résolution 690 (1991), la MINURSO devait organiser et superviser un référendum offrant aux Sahraouis le choix entre indépendance et intégration au Maroc, conformément aux propositions ONU/OUA acceptées en 1988 par les deux parties. Si le référendum n’a pas eu lieu, la mission conserve cette finalité référendaire dans ses paramètres de mandat.

4) Représentation politique.
En 1979 (A/RES/34/37), l’Assemblée générale reconnaît le Front Polisario comme représentant du peuple sahraoui et invite à la fin de l’occupation du territoire ; le rappel est réitéré en 1980 (A/RES/35/19). Ces actes consacrent une qualité représentative dans le processus onusien. 

II. Autonomie : politique interne, droit international

Le « plan d’autonomie » (2007) est régulièrement « pris en compte » par le Conseil de sécurité à partir de S/RES/1754 (2007), dans une matrice qui exige un règlement politique juste, durable et mutuellement acceptable assurant l’autodétermination des Sahraouis, et invite à négocier sans conditions préalables. Les renouvellements ultérieurs n’ont pas modifié ce cadre normatif

Le 31 octobre 2025, le Conseil a prorogé la MINURSO jusqu’au 31 octobre 2026 (S/RES/2797 (2025)), référençant le plan d’autonomie comme base de discussions. Mais la résolution ne consacre pas une souveraineté sur le territoire ni ne modifie son statut d’territoire non autonome : l’architecture onusienne demeure celle d’une décolonisation à parachever assortie de l’exigence de l’autodétermination

Conclusion de section.
En droit international, une solution interne (autonomie) ne produit pas d’effet erga omnes sans consentement du peuple sahraoui exprimé à travers une procédure d’autodétermination ; ériger l’autonomie en « solution finale » sans référendum contredit les standards de décolonisation.

III. Démographie & infox : démonter la fable des « 1 819 Sahraouis »

Les estimations onusiennes documentent une population réfugiée sahraouie massive dans les camps de Tindouf (Algérie) : les partenaires onusiens travaillent sur un socle opérationnel d’environ 173 600 personnes, tandis que certaines planifications humanitaires ont, à des périodes, utilisé des chiffres plus bas (~90 000 vulnérables) pour la distribution. Ces écarts méthodologiques n’accréditent en rien des prétentions absurdes ramenant les Sahraouis à « 1 819 »

Le retour des hostilités depuis novembre 2020 (Guerguerat) et les incidents récurrents à l’est du mur sont attestés dans les rapports du Secrétaire général 2024/2025, expliquant la vulnérabilité et la dépendance accrues des camps à l’aide. 

En bref.
La négation de la masse démographique sahraouie ou la manipulation de ses chiffres entre dans les techniques de désinformation visant à fragiliser la légitimité du référendum en déplaçant le débat du droit vers un faux débat statistique

IV. Jurisprudence de l’Union européenne : « territoire séparé et distinct » & primat du consentement

La CJUE (Grande chambre, 27 février 2018, C‑266/16) établit que les accords UE–Maroc ne sont pas applicables au Sahara occidental ni à ses eaux adjacentes, confirmant que le territoire est séparé et distinct au regard du droit de l’Union et du droit international. 

En 2021, le Tribunal annule les décisions du Conseil étendant aux produits du Sahara occidental des préférences tarifaires et un accord de pêche faute de consentement du peuple sahraoui ; en 4 octobre 2024, la Cour confirme : les accords de 2019 ont été conclus en méconnaissance des principes d’autodétermination et de l’effet relatif des traités ; le consentement du peuple — et non des habitants présents — est condition de validité. La Cour précise que ce consentement peut être présumé dans des cas limités, à condition d’un bénéfice spécifique, tangible, substantiel et vérifiable proportionné à l’exploitation des ressources ; condition non remplie en l’espèce. 

Portée.
Toute extension d’accords économiques au Sahara occidental sans consentement du peuple sahraoui s’expose à l’annulation devant les juridictions de l’UE

V. Union africaine : nommer les choses

Les rapports et décisions de l’Union africaine qualifient la situation de processus de décolonisation non achevé, évoquant l’occupation du territoire depuis 1975 en dépit de l’avis de la CIJ ; ils exhortent à un référendum permettant de choisir entre indépendance et intégration et ont désigné un Envoyé spécial pour le dossier.

VI. Mandat, droits humains et discours nationaux

La MINURSO reste l’une des rares missions contemporaines sans composante de monitoring des droits humains, lacune régulièrement dénoncée par les organisations internationales — Amnesty International et Human Rights Watch — qui appellent à ajouter cette fonction au mandat pour documenter les abus tant dans le territoire qu’aux camps

La mobilisation de formules de « grâce » ou de « réconciliation » issues de discours nationaux ne peut, en droit, substituer aux références internationales (Charte de l’ONU, résolutions, mandat MINURSO) ni restreindre des droits tels que le retour ou la participation au processus, qui relèvent de l’ordre juridique international

VII. Situation du conflit et horizon de négociation

Les rapports SG 2024/2025 décrivent une situation complexe, des incidents de sécurité, et un processus bloqué malgré les efforts de l’Envoyé personnel. La prorogation de 2025 entérine une approche de « réalisme », sans altérer le statut onusien du territoire comme non autonome

Grille normative — points de repère

  • Statut du territoire. Le Sahara occidental est un territoire non autonome relevant d’une décolonisation en cours au titre de 1514 (XV). [un.org]
  • Référence judiciaire. La CIJ (1975) n’a pas constaté de liens de souveraineté de nature à écarter l’autodétermination. [icj-cij.org]
  • Outil de décision. Le référendum sous égide onusienne (S/RES/690 (1991)) demeure l’instrument de règlement final. [digitallib...ary.un.org]
  • Représentation. Le Front Polisario est reconnu par l’AG comme représentant du peuple sahraoui (1979/1980). [digitallib...ary.un.org], [digitallib...ary.un.org]
  • Accords économiques. Inapplicables au territoire sans consentement du peuple ; annulation confirmée par la CJUE (2024). [curia.europa.eu]
  • Autonomie. Base de discussion, non un solde juridique qui supprime le référendum ou crée une souveraineté de facto. [press.un.org], [un.org]

Conclusion

Au‑delà des narratifs et des controverses, la ligne de force juridique demeure : autodétermination et consentement du peuple sahraoui. Tant que référendum il n’y a pas, toute solution politique interne et tout accord économique englobant le territoire sans consentement s’inscrivent à contre‑courant du droit international et s’exposent au contentieux



Par Belgacem Merbah



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