Vers un nouvel élan diplomatique au Sahara occidental : Analyse du rapport de Staffan de Mistura devant le Conseil de sécurité
Le 16 avril 2025, Staffan de Mistura, Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental, a livré un exposé d’une rare densité devant le Conseil de sécurité. Ce rapport s’inscrit dans un moment critique, marqué par des évolutions diplomatiques bilatérales d’importance, mais aussi par la persistance d’un blocage politique vieux de cinquante ans. Avec une plume mesurée mais ferme, De Mistura dessine les contours d’une situation à la fois stagnante et chargée de potentiels déclencheurs, qu’ils soient porteurs d’espoir ou de risques.
Des dynamiques bilatérales porteuses d’ambiguïtés
Le rapport commence par souligner deux développements bilatéraux significatifs : la visite du ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita à Washington le 8 avril, et celle de son homologue français Stéphane Barrot à Alger deux jours plus tôt. Si ces visites n’ont pas officiellement placé le dossier du Sahara occidental à l’agenda, elles n’en demeurent pas moins révélatrices de l’attention renouvelée que portent deux membres permanents du Conseil de sécurité — les États-Unis et la France — à la stabilité de la région.
Le message des États-Unis, exprimé par le Secrétaire d’État Rubio, mérite une attention particulière. En réaffirmant l’adhésion à la proclamation de 2020 de l’administration Trump (qui reconnaît la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental), tout en insistant sur une solution "mutuellement acceptable" et sur une autonomie "authentique", Washington semble vouloir concilier soutien à Rabat et impératif de négociation.
Tensions régionales : entre inertie et escalade
De Mistura rappelle avec justesse que ces efforts diplomatiques prennent place dans un climat régional détérioré. Les relations entre l’Algérie et le Maroc restent rompues, les frontières fermées, et les dépenses militaires s’intensifient. Cette montée des tensions rend toute avancée politique plus fragile, car le conflit du Sahara occidental est devenu, au fil des décennies, une pomme de discorde entre deux puissances régionales dont les divergences se cristallisent autour de ce dossier.
Le triptyque américain : autonomie, négociation, engagement
Trois messages ressortent de l’attitude américaine actuelle, comme le souligne De Mistura :
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Une autonomie “authentique” : L’envoyé de l’ONU appelle à une clarification substantielle de l’Initiative marocaine d’autonomie. Quels pouvoirs seraient effectivement transférés ? Quelle serait la marge d’autogestion locale ? Autant de questions restées, jusqu’à présent, sans réponse claire.
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Une solution mutuellement acceptable : Cette formulation, récurrente dans le langage diplomatique, implique nécessairement l’engagement des parties dans un véritable processus de négociation. De Mistura insiste ici sur la nécessité d’y inclure, à un moment opportun, une “forme crédible d’autodétermination”.
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Un engagement plus direct des États-Unis : Le diplomate voit dans la disponibilité affichée de Washington une opportunité à saisir, à condition que cet engagement s’inscrive dans le cadre onusien, sous l’égide du Conseil de sécurité.
L’écoute des acteurs : entre réitérations et frustrations
Les visites régionales de De Mistura — Rabat, Nouakchott, Tindouf, Alger — n’ont pas donné lieu à des avancées majeures. Les positions restent figées, les discours familiers. Toutefois, la Mauritanie, dans un rôle de témoin vigilant, persiste dans sa posture de "neutralité positive", soulignant sa disponibilité à accompagner toute avancée constructive.
Mais c’est dans les camps de réfugiés à Tindouf que l’émissaire de l’ONU semble avoir été le plus touché. Face à une crise humanitaire grandissante — les rations alimentaires risquant d’être interrompues cet été faute de financement —, De Mistura relaie les voix des plus vulnérables : celles des jeunes Sahraouis nés dans les camps, bercés d’attentes jamais comblées. Le témoignage d’une jeune femme disant ne vouloir mourir qu'après avoir vu sa terre natale illustre la lassitude d’un peuple en exil depuis trop longtemps.
Une inclusion féminine encore trop marginale
Dans un passage particulièrement marquant de son discours, De Mistura évoque la nécessité d’une participation pleine et entière des femmes sahraouies au processus de résolution. Une exigence essentielle, tant pour garantir une paix durable que pour renforcer la légitimité d’un processus encore perçu par certains comme réservé aux sphères étatiques et militaires.
Une fenêtre d’opportunité ténue mais réelle
L’année 2025 marque un demi-siècle depuis l’inscription de la question du Sahara occidental à l’agenda des Nations Unies. Cinquante ans d’attentes, de résolutions inabouties, de négociations suspendues. Et pourtant, De Mistura ne baisse pas les bras. Il entrevoit dans les trois mois à venir une période charnière, qui pourrait — avec une volonté politique renouvelée, notamment de la part des membres permanents du Conseil de sécurité — faire basculer le dossier dans une dynamique nouvelle.
Le rendez-vous d’octobre 2025, où une nouvelle session du Conseil de sécurité se penchera sur la question, pourrait être décisif. En attendant, l’envoyé spécial poursuit sa mission avec une conviction claire : toute solution ne pourra voir le jour que par la désescalade régionale, un engagement sincère des parties, et un soutien constant de la communauté internationale.
Dans cette impasse diplomatique longue de cinq décennies, le rapport de Staffan de Mistura agit comme un rappel sobre mais déterminé : il n’y aura pas de paix durable sans justice, ni d’accord sans dialogue.
Conclusion prospective : une équation géopolitique durablement ancrée
L’analyse du rapport de Staffan de Mistura révèle que, malgré les apparences d’un certain immobilisme, le dossier du Sahara occidental demeure l’un des plus explosifs du système international. Son avenir dépendra de la capacité des acteurs régionaux et internationaux à dépasser les postures historiques pour entrer dans une logique de compromis crédible et respectueux des principes fondamentaux du droit international. Or, aucune solution durable ne pourra émerger sans que soit garanti au peuple sahraoui son droit imprescriptible à l’autodétermination, tel que reconnu par la Charte des Nations Unies et les nombreuses résolutions onusiennes.
Dans ce contexte, l’Algérie, acteur central de la région, ne renoncera jamais à son soutien au peuple sahraoui, non seulement par fidélité à une cause juste de décolonisation, mais aussi parce que toute tentative d'imposer un fait accompli marocain dans les territoires sahraouis est perçue comme une menace directe à la stabilité régionale. Il ne s’agit pas ici d’un déséquilibre de puissance — l’Algérie dispose d’une armée moderne, organisée et technologiquement supérieure à celle de son voisin de l’Ouest — mais d’une vigilance stratégique face à un expansionnisme marocain avéré, dont les velléités territoriales historiques à l’égard de l’Algérie ont déjà été affirmées dans le passé.
Accepter une telle dynamique reviendrait pour Alger à légitimer une violation flagrante du droit international et à compromettre l’intégrité de l’ordre régional. L’Algérie ne saurait donc transiger sur une question qui touche à la fois à ses principes diplomatiques fondateurs, à sa profondeur stratégique, et à sa sécurité nationale.
Ainsi, les mois à venir devront être l’occasion, pour la communauté internationale et notamment pour les membres permanents du Conseil de sécurité, de sortir du langage de l’ambiguïté et d’assumer pleinement leurs responsabilités. La seule voie vers une paix juste et durable réside dans l’organisation d’un processus crédible d’autodétermination pour le peuple sahraoui, sous supervision onusienne, et dans le strict respect des résolutions pertinentes.
Faute de quoi, toute initiative, aussi bien intentionnée soit-elle, restera vaine, et la jeunesse sahraouie continuera de voir son avenir confisqué, dans l’exil et l’attente. En revanche, si ce droit fondamental est enfin reconnu et mis en œuvre, alors une nouvelle ère de coopération régionale pourrait s’ouvrir, au bénéfice de tous les peuples du Maghreb.
Par Belgacem Merbah
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