Sahara Occidental : Une volte-face historique remet la dernière question de décolonisation en Afrique sur le devant de la scène
Ce rapport s’inscrit dans un contexte particulièrement chargé : 50 ans après le départ de l’Espagne du Sahara occidental (1975), la question de la décolonisation reste irrésolue, figée dans un statu quo que seule une crise — ou un sursaut international — pourrait débloquer. Or, pour la première fois depuis longtemps, ce sursaut semble à portée.
Une trilogie diplomatique au cœur du rapport
Trois messages majeurs se dégagent de la prise de parole de De Mistura. Trois axes qui reflètent la posture actuelle des États-Unis, mais aussi l’évolution des rapports de force au sein du Conseil de sécurité.
1. Une autonomie “authentique” : à la recherche d’une clarté nécessaire
Depuis 2007, le Maroc propose un plan d’autonomie pour le Sahara occidental, présenté comme une “solution réaliste et crédible”. Toutefois, aucun détail précis n’a jamais été fourni sur la nature exacte des pouvoirs transférés. Le plan évoque un Parlement local, une gouvernance administrative, mais laisse dans l’ombre les questions-clés :
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Quelle sera la part de souveraineté sahraouie ?
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Quelles garanties pour l’indépendance judiciaire, les droits politiques, l’usage des ressources naturelles ?
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Quel lien avec la monarchie marocaine ?
Dans son rapport, De Mistura demande une clarification substantielle de cette proposition. Selon un document interne du Département d’État américain (fuité en mars 2025 par le Washington Post), les États-Unis auraient exigé du Maroc une version révisée du plan, en vue d’intégrer le Front Polisario comme co-gestionnaire du territoire durant une période transitoire.
2. Une solution “mutuellement acceptable” : le retour de l’autodétermination
La formule semble diplomatiquement neutre, mais elle est lourde de sens. L’ONU, depuis la résolution 1514 (1960) sur la décolonisation, considère que le peuple sahraoui doit exercer son droit à l’autodétermination. Le Maroc rejette toute idée de référendum, alors que le Front Polisario — soutenu par l’Algérie — en fait le cœur de sa revendication.
Staffan de Mistura rappelle qu’aucune solution ne peut être durable sans un processus crédible d’expression populaire. Il évoque une “forme d’autodétermination” à définir, possiblement sous la forme d’un vote libre à l’issue de la période de transition.
Selon le Centre d’Études Stratégiques de Doha, un tel mécanisme pourrait s’inspirer du modèle du Sud-Soudan (2011) ou du Timor oriental (1999), où une période de gouvernance transitoire a précédé une consultation populaire supervisée par l’ONU.
3. Une implication plus directe des États-Unis : Washington change de cap
Sous Donald Trump, les États-Unis avaient reconnu la “souveraineté” du Maroc sur le Sahara occidental en décembre 2020, en contrepartie de la normalisation des relations avec Israël. Cette décision avait été largement critiquée par la communauté internationale, y compris par l’Union africaine.
Depuis l’arrivée de la nouvelle administration en 2024, cette reconnaissance semble discrètement remise en cause. En février 2025, lors d’une audition devant le Congrès, la Secrétaire d’État américaine, Linda Thomas-Greenfield, a déclaré :
Toute solution au Sahara occidental devra être conforme aux principes fondamentaux du droit international et impliquer le peuple sahraoui.
Une déclaration qui n’a rien d’anodin. Elle marque une prise de distance explicite avec la position de l’administration précédente et une volonté d’intégrer le règlement du conflit dans un cadre multilatéral, sous l’égide de l’ONU.
Lire aussi : Le Front Polisario : Représentant légitime du peuple sahraoui et non un mouvement terroriste
Vers une transition sous supervision internationale ?
Selon des sources diplomatiques à Genève et New York, un plan confidentiel serait actuellement à l’étude, soutenu par les États-Unis, l’Allemagne et la Norvège. Il prévoit une phase de transition de cinq ans, sous supervision onusienne, durant laquelle :
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Le Front Polisario gérerait les affaires courantes du territoire.
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Les réfugiés sahraouis des camps de Tindouf (Algérie) pourraient rentrer sous protection internationale.
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Un recensement électoral serait organisé avec l’aide du HCR.
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Des institutions locales (Parlement, présidence, Conseil constitutionnel) seraient mises en place.
Cette solution s’inspire de modèles déjà éprouvés dans les cas de Namibie (1989-1990) ou du Kosovo (1999-2008), avec une large implication d’acteurs régionaux.
L’Algérie, l’Espagne et la Mauritanie : piliers régionaux de la feuille de route
L’Algérie — soutien historique du Front Polisario — jouerait le rôle de garant du processus de paix, tout comme la Mauritanie, voisine directe du territoire en conflit. Quant à l’Espagne, ex-puissance coloniale, elle conserve encore la gestion administrative de l’espace aérien sahraoui, sous mandat de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).
Madrid serait donc un acteur technique et diplomatique crucial pour assurer la transition. En mars 2025, le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a déclaré devant le Parlement :
L’Espagne est prête à contribuer activement à toute solution fondée sur le droit international et acceptée par les Sahraouis.
Conclusion : le crépuscule d’un mythe marocain ?
Si ce projet venait à se concrétiser, il représenterait une gifle cinglante pour la propagande marocaine, un désaveu frontal de la rhétorique patiemment martelée par Rabat depuis des décennies. Le Front Polisario, que l’on s’évertue à peindre en milice terroriste pour mieux en effacer la légitimité, accéderait enfin au statut d’interlocuteur reconnu — peut-être même de gouvernant provisoire. Une rupture symbolique, mais ô combien significative.
Privé du soutien inconditionnel de Washington, le Maroc se retrouve désormais face à une Amérique désillusionnée, moins encline à sacrifier le droit sur l’autel des intérêts géostratégiques. Confronté à cette nouvelle exigence de pragmatisme, Rabat se verrait contraint d’envisager l’impensable : une négociation directe avec le Front Polisario, jadis exclu de toute discussion sérieuse. Une perspective encore hérétique il y a quelques mois à peine.
Dans cette atmosphère fébrile, on comprend mieux les manœuvres frénétiques de Rabat au sein de certains cercles d’influence américains. Des figures comme Zineb Riboua, affiliée au Hudson Institute, se font l’écho d’une propagande recyclée, produisant des rapports commandés qui dépeignent le Polisario comme une menace terroriste pour la région. Une tentative maladroite de renverser le récit, à défaut de pouvoir changer les faits.
Mais derrière les gesticulations diplomatiques et les papiers d’apparat, une vérité brute persiste : le Sahara occidental demeure une terre colonisée, un territoire dont le sort n’a jamais été tranché par la volonté libre de son peuple. Si l’ONU parvenait enfin à réactiver un processus crédible et honnête, ce serait plus qu’une victoire du droit sur l’arbitraire : ce serait un tournant historique, une promesse tenue, celle de voir l’Afrique clore — dignement — le chapitre de sa dernière colonie.
Par Belgacem Merbah
Sources principales utilisées :
United Nations Security Council Reports, April 2025
Washington Post, "Le revirement discret de Washington sur le Sahara occidental", 3 mars 2025
Al Jazeera Centre for Studies, "The Future of Self-Determination in Western Sahara", janvier 2025
Discours officiels au Conseil de sécurité (ONU)
Ministère espagnol des Affaires étrangères, session parlementaire du 5 mars 2025
African Union Peace and Security Council, rapport spécial sur le Sahara, février 2025
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