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Le Changement de Nom du Maroc sous le Protectorat Français et ses Répercussions sur l’Histoire et l’Identité du Maghreb

Le Maghreb, terre d’identités plurielles et de dynamiques historiques complexes, porte l’empreinte profonde de la période coloniale. Parmi les décisions administratives prises par les puissances coloniales, le changement du nom du Maroc en langue arabe – passant de Sultanat de Fès et Marrakech (سلطنة فاس و مراكش) à Maroc (المغرب) sous le protectorat français – s’impose comme un acte aux répercussions majeures. D’abord perçue comme une mesure pragmatique et purement administrative, cette décision a durablement influencé la perception de l’histoire régionale ainsi que l’appropriation des figures et des symboles essentiels à l’identité nationale.

En particulier, cette standardisation du nom du Maroc a favorisé, dans l’imaginaire collectif, une centralisation des récits historiques qui a parfois occulté ou minimisé les contributions d’autres peuples du Maghreb, notamment l’Algérie. Ce phénomène a conduit à des tensions sur l’interprétation de l’histoire et sur la revendication de personnalités marquantes comme Tariq Ibn Ziyad, Sidi Boumediene Al-Ghout, ou encore la Porte des Maghrébins à Jérusalem.

Contexte Historique et Administratif

Avant l’intervention coloniale, le Maroc était communément appelé Marrakech ou Maghreb al-Aqsa (المغرب الأقصى), signifiant « l’Occident le plus lointain ». Ce terme, qui s’inscrivait dans une logique géographique propre au monde islamique, soulignait sa place en tant qu’extrémité occidentale du monde arabe-musulman.

Avec l’instauration du protectorat français en 1912, l’administration coloniale a adopté l’appellation « Maroc », directement dérivée de « Marrakech », qui était historiquement l’une des villes les plus influentes du territoire. Cette simplification terminologique répondait à des impératifs administratifs, facilitant la gouvernance coloniale et l’organisation bureaucratique. Cependant, elle a aussi contribué à la construction d’un récit national uniforme, souvent en rupture avec les réalités historiques plus nuancées de la région.

Impact de ce Changement sur l’Algérie et l’Identité Maghrébine

1. Une Altération des Distinctions Historiques et Culturelles

L’uniformisation des appellations à travers le Maghreb a contribué à brouiller les distinctions entre les différentes entités historiques qui composaient la région. L’Algérie, avec son passé complexe et ses multiples dynasties autochtones, a souvent vu ses propres figures et événements historiques intégrés ou assimilés dans des narrations extérieures.

2. L’Appropriation de Figures Historiques Clés

L’imposition d’une identité marocaine unifiée sous le protectorat a permis une réinterprétation de l’histoire qui a parfois conduit à une appropriation contestée de figures emblématiques du Maghreb :

  • Tariq Ibn Ziyad : Général berbère qui mena la conquête de l’Andalousie en 711, son origine fait encore l’objet de débats. Nombre d’historiens s’accordent à dire qu’il était issu des Zénètes d’Algérie, bien que certains récits marocains modernes tendent à l’associer à l’histoire du Maroc.
  • Sidi Boumediene Al-Ghout : Figure majeure du soufisme, son influence est indéniablement ancrée en Algérie, notamment à Tlemcen où son mausolée demeure un lieu de pèlerinage. Cependant, certaines narrations contemporaines tentent d’élargir son héritage au-delà des frontières algériennes.
  • La Porte des Maghrébins à Jérusalem : Ce symbole de la présence nord-africaine à Jérusalem a vu son association se renforcer avec le Maroc au fil du temps, en partie du fait des reconfigurations historiques introduites sous la période coloniale.

3. Les Conséquences sur l’Interprétation Historique

L’homogénéisation des terminologies et des récits historiques a introduit plusieurs défis :

  • Confusion terminologique : La modification des appellations officielles a complexifié le travail des historiens et chercheurs, rendant plus difficile l’analyse des événements et des figures dans leur contexte d’origine.
  • Distorsion de la perception historique : La vision moderne de l’histoire, influencée par ces changements, tend parfois à minimiser ou réinterpréter certaines contributions essentielles des peuples algériens et maghrébins.

Le Roman National Marocain et ses Contradictions

Depuis son indépendance en 1956, le Maroc a progressivement élaboré un récit national mettant en avant une continuité historique prétendument ininterrompue depuis la fondation de l'État idrisside en 789. Cependant, cette narration présente plusieurs incohérences.

1. Une Histoire Construite par des Dynasties Étrangères

Contrairement à l’image d’un « empire millénaire », les grandes dynasties ayant dominé le Maroc étaient souvent issues d’autres régions :

  • Les Almoravides : Originaires de Mauritanie, ils ont conquis le Maroc avant d’étendre leur empire à l’Andalousie.
  • Les Almohades : Dynastie zénète née en Algérie, elle a pris le contrôle du Maghreb et de l’Andalousie.
  • Les Mérinides et Wattassides : Également issus des Zénètes d’Algérie, ils ont établi leur pouvoir au Maroc après la chute des Almohades.
  • Les Saadiens et les Alaouites : D’origine arabe, ces dynasties ne sont pas indigènes au Maghreb et ont dû asseoir leur pouvoir face aux tribus locales souvent réfractaires.

2. Une Autorité Contestée en Interne

Contrairement à l’idée d’un empire puissant, l’autorité des sultans marocains était largement limitée aux villes de Fès et Marrakech. Les tribus berbères, indépendantes et hostiles à la centralisation du pouvoir, refusaient souvent de se soumettre. Walter B. Harris, dans Morocco That Was, décrit comment les sultans ne pouvaient sortir des villes qu’escortés par des milliers de soldats pour éviter les attaques des tribus rebelles.

3. Une Théorie Expansionniste Construite de Toute Pièce

La prétendue extension historique du Maroc sur la Mauritanie, le Sahara occidental, une partie de l’Algérie et du Mali repose sur des affirmations fragiles. Lorsque la France a conquis ces territoires aux XIXᵉ et XXᵉ siècles, aucune armée marocaine n’est intervenue pour les défendre.

Par ailleurs, le concept de « Grand Maroc » est une construction politique moderne élaborée dans les cercles du renseignement français (SDEC) dans les années 1950, afin d’empêcher une véritable intégration régionale du Maghreb.

Conclusion

Le changement de nom du Maroc sous le protectorat français n’a pas seulement été une formalité administrative. Il a contribué à façonner un récit national homogénéisé, qui a parfois occulté la diversité historique du Maghreb et a mené à des contestations autour de figures et d’événements clés.

L’analyse des faits historiques démontre que la continuité revendiquée par le roman national marocain repose sur des bases fragiles. Une réévaluation critique des héritages coloniaux et postcoloniaux est nécessaire pour comprendre et respecter la complexité des identités maghrébines.

Enfin, l’idée d’un Maroc historique aux frontières extensibles se heurte aux réalités historiques et aux archives. Comme l’a lui-même reconnu le sultan du Maroc dans sa correspondance avec le roi d’Espagne en 1884, l’autorité marocaine ne s’étendait pas au-delà de l’Oued Noun.

Ainsi, pour bâtir un avenir commun au Maghreb, il est impératif de déconstruire les récits biaisés et d’œuvrer pour une reconnaissance mutuelle des réalités historiques.



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