Au cœur des relations tendues entre Paris et Alger, la question des expulsions des ressortissants algériens sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) continue de susciter des débats et des frictions diplomatiques. Si les chiffres montrent que les expulsions vers l’Algérie ne sont pas totalement bloquées – avec 2 500 mesures exécutées en 2024 selon le gouvernement français – un point de discorde persiste : l’Algérie refuse catégoriquement de reprendre certains profils de ses ressortissants, notamment ceux ayant un lourd passé judiciaire, des troubles psychiatriques ou des liens avec le terrorisme. Cette position, loin d’être un simple caprice, repose sur un principe fondamental : l’Algérie n’a ni l’obligation ni la vocation de servir de décharge pour des individus radicalisés ou criminalisés sur le sol français. Ce refus est une affirmation de souveraineté nationale et une mesure de protection de la sécurité intérieure algérienne.
Une souveraineté bafouée par des attentes irréalistes
La France, confrontée à une montée des discours sécuritaires et à la pression politique sur la question migratoire, semble vouloir faire porter à l’Algérie le fardeau de ses propres échecs en matière de gestion de l’immigration et de prévention de la radicalisation. L’attentat de Mulhouse, commis par un ressortissant algérien sous OQTF que l’Algérie aurait refusé de reprendre à dix reprises selon le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, a ravivé cette tension. Mais cette situation soulève une question essentielle : pourquoi l’Algérie devrait-elle assumer la responsabilité d’individus qui, dans bien des cas, ont été façonnés par le contexte social, politique et économique français ?
Les profils que l’Algérie refuse d’accueillir – criminels endurcis, individus radicalisés ou binationaux déchus de leur nationalité française – partagent un point commun : leur parcours de délinquance ou de radicalisation s’est souvent construit en France. Frédéric Lauze, secrétaire général du syndicat des commissaires de police, l’a clairement exprimé sur RMC : « L’Algérie n’a pas envie de récupérer des personnes avec un lourd passé judiciaire, avec des problèmes psychiatriques ou connues pour des faits de terrorisme ». Cette position n’est pas seulement compréhensible, elle est légitime. L’Algérie, comme tout État souverain, a le droit de filtrer qui entre sur son territoire, surtout lorsqu’il s’agit d’individus représentant une menace potentielle pour sa stabilité.
Le cas des binationaux : une injustice déguisée
Le cas des binationaux franco-algériens déchus de leur nationalité française illustre parfaitement cette problématique. La France utilise la déchéance de nationalité comme un outil pour se débarrasser de personnes jugées indésirables, souvent impliquées dans des actes terroristes ou des crimes graves. Mais cette mesure, perçue comme une solution de facilité, revient à exporter ses problèmes vers l’Algérie. Or, ces individus, bien que d’origine algérienne par leurs parents, ont grandi en France, y ont été scolarisés et, dans bien des cas, s’y sont radicalisés ou sont devenus violents. Nombre d’entre eux n’ont aucune attache réelle avec l’Algérie : ils ne parlent pas arabe ou amazigh, n’ont jamais vécu dans le pays et n’y ont pas de réseau familial ou social pour faciliter leur réinsertion.
Forcer l’Algérie à accueillir ces personnes revient à ignorer cette réalité. Comment un pays peut-il intégrer des individus qui lui sont totalement étrangers, culturellement et socialement, et qui, de surcroît, présentent un risque sécuritaire élevé ? L’Algérie n’a pas à payer le prix des carences françaises en matière de prévention de la radicalisation ou de gestion des populations immigrées. Ces binationaux, une fois déchus, deviennent des apatrides de fait si l’Algérie refuse de les reconnaître, mais cette situation est avant tout le résultat d’une politique française qui préfère l’expulsion à une prise en charge interne.
L’Algérie, un État responsable, pas une décharge
Dire que l’Algérie refuse systématiquement les laissez-passer consulaires serait exagéré. Les statistiques parlent d’elles-mêmes : en 2023, 2 562 Algériens sous OQTF ont été renvoyés dans leur pays d’origine, et 2 500 l’ont été en 2024. Ces chiffres montrent que l’Algérie coopère dans une certaine mesure avec la France. Cependant, cette coopération a ses limites, et elles sont dictées par des considérations de sécurité nationale. Accueillir des terroristes ou des criminels endurcis, c’est importer un danger qui pourrait déstabiliser un pays déjà confronté à ses propres défis, notamment économiques et sociaux.
L’Algérie n’est pas une poubelle où la France peut déverser ses rebuts. Elle a le droit, comme tout État, de protéger ses frontières et sa population. La radicalisation ou la criminalité de certains ressortissants algériens en France est souvent le produit d’un environnement spécifique – exclusion sociale, discriminations, échec des politiques d’intégration – sur lequel Alger n’a aucune prise. Pourquoi, dès lors, devrait-elle en assumer les conséquences ? La menace brandie par le Premier ministre français de dénoncer les accords migratoires de 1968 est une tentative de pression qui méconnaît cette réalité. Ces accords, historiques, ont été conclus dans un contexte de coopération, pas pour transformer l’Algérie en dépotoir des problèmes français.
Une question de principe et de dignité
Au-delà des considérations sécuritaires, il y a une question de principe et de dignité nationale. L’Algérie, qui a lutté pour son indépendance et qui continue de défendre sa souveraineté, ne peut accepter d’être réduite à un simple exutoire pour les échecs de la politique intérieure française. Les tensions actuelles autour des OQTF ne sont pas seulement une querelle administrative ; elles reflètent un déséquilibre dans les relations bilatérales, où la France cherche à imposer ses priorités sans tenir compte des intérêts légitimes de l’Algérie.
En conclusion, l’Algérie a non seulement le droit, mais aussi le devoir de filtrer les individus qu’elle accepte de reprendre sur son sol. Refuser d’accueillir des terroristes radicalisés en France ou des criminels formés par le contexte français n’est pas un signe d’intransigeance, mais une posture responsable. La sécurité nationale algérienne et la dignité de son peuple ne sauraient être sacrifiées pour soulager les pressions politiques internes de la France. Paris doit assumer ses responsabilités et chercher des solutions en son sein, plutôt que de les exporter au-delà de la Méditerranée. L’Algérie n’est pas une poubelle, et elle ne le sera jamais.
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