Résolution 2797 : entre droit et diplomatie, le paradoxe assumé du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental
L’adoption de la résolution 2797 par le Conseil de sécurité des Nations unies, relative à la question du Sahara occidental, a ravivé les tensions d’interprétation entre les partisans du droit international et les tenants du fait accompli. Pour Rabat et ses soutiens, ce texte constitue une confirmation du « réalisme » du plan d’autonomie marocain. Pour Alger et de nombreux juristes, il ne s’agit que d’une résolution de compromis préservant l’essentiel : le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
Entre ces deux récits, la vérité réside dans la structure même du texte, qui tente de concilier les exigences du droit avec les rapports de force imposés par deux puissances déterminantes : les États-Unis et la France.
1. Une résolution née d’un déséquilibre assumé
Le texte final de la résolution 2797 est le produit d’un rapport de forces clair.
Dès les premières négociations, Washington et Paris ont pesé de tout leur poids pour faire reconnaître le plan d’autonomie marocain comme base sérieuse et crédible d’une solution politique.
Ce soutien n’est plus implicite :
- Les États-Unis, depuis la proclamation de Donald Trump en décembre 2020 reconnaissant la « souveraineté » du Maroc sur le Sahara occidental, n’ont jamais remis officiellement en cause cette position, bien qu’ils s’en tiennent à une approche diplomatique prudente.
- La France, pour sa part, a confirmé à plusieurs reprises que le plan marocain constitue à ses yeux la seule base “réaliste et crédible” de règlement durable.
Cette double position a profondément influencé la rédaction de la résolution, orientant le texte vers une reconnaissance politique du plan marocain, même si celle-ci reste dépourvue de valeur juridique contraignante.
2. L’ambiguïté diplomatique comme prix du consensus
Face à cette pression, le Conseil de sécurité a adopté un langage délibérément ambigu, afin de préserver l’unité entre les membres permanents.
Ainsi, la résolution mentionne le plan marocain, mais dans une formulation encadrée : il est “accueilli favorablement” (welcomed), tout en soulignant la nécessité d’une “solution mutuellement acceptable”.
Cette dernière expression, devenue classique dans la rhétorique onusienne, vise à neutraliser le biais pro-marocain en réintroduisant implicitement le droit à l’autodétermination.
Autrement dit, la résolution semble pencher politiquement vers Rabat, mais se rattache juridiquement au cadre de la décolonisation.
3. L’autodétermination : une clause de sauvegarde juridique
Malgré la pression des puissances occidentales, la mention du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination a été maintenue dans le texte final grâce à la résistance diplomatique algérienne et au soutien de plusieurs membres non permanents (notamment la Russie, le Mozambique et la Guyane).
Cette clause rappelle que, sur le plan du droit international, la nature du conflit n’a jamais changé :
le Sahara occidental demeure un territoire non autonome, inscrit depuis 1963 sur la liste des territoires à décoloniser.
En d’autres termes, toute “solution politique réaliste” ne saurait être légitime que si elle résulte du libre choix du peuple sahraoui.
4. Le plan d’autonomie marocain : reconnaissance politique sans légitimité juridique
Le Maroc présente depuis 2007 son plan d’autonomie comme une forme de “dévolution interne” permettant de clore définitivement le dossier.
Mais cette approche repose sur une confusion entre souveraineté et gouvernance locale.
Même si la résolution 2797, sous l’influence franco-américaine, valorise ce plan dans son préambule, elle ne l’entérine pas comme solution définitive.
Le texte continue de rappeler la responsabilité du Secrétaire général et de son envoyé personnel dans la recherche d’une solution négociée conforme aux principes de la Charte des Nations unies — notamment celui de l’autodétermination.
5. Le rôle central de l’Algérie : gardienne du principe de légalité
Face à ce déséquilibre diplomatique, l’Algérie assume un rôle de contrepoids.
Loin d’être une “partie au conflit” comme le prétend le discours marocain, elle se positionne comme défenseur du droit international et du cadre onusien de décolonisation.
Son action au sein du Groupe africain, ainsi que son dialogue constant avec la Russie, la Chine et plusieurs États du Sud global, ont permis de freiner la tentative de normalisation du statu quo voulu par Rabat et ses soutiens occidentaux.
6. Entre droit et puissance : le cœur du paradoxe
La résolution 2797 illustre parfaitement le dilemme des Nations unies : comment concilier la légalité du droit international avec la réalité des rapports de force géopolitiques ?
En insistant sur le plan marocain, les États-Unis et la France imposent leur lecture politique du conflit.
En maintenant la référence à l’autodétermination, d’autres États rappellent que le droit international ne peut être subordonné aux alliances régionales ni aux intérêts économiques.
Le texte final traduit donc non pas une contradiction, mais un équilibre diplomatique instable, où chaque mot vise à ménager l’un sans trahir l’autre.
Conclusion
La résolution 2797 n’est pas un aboutissement, mais une photographie fidèle du rapport de forces international.
Sous l’influence explicite des États-Unis et de la France, le Conseil de sécurité penche vers la logique du réalisme politique.
Mais la présence persistante du concept d’autodétermination rappelle que, malgré les pressions et les campagnes de communication, le Sahara occidental demeure un territoire non décolonisé.
Aucune rhétorique diplomatique ne peut effacer ce fait fondamental :
Le droit du peuple sahraoui à disposer de lui-même reste une obligation internationale, non une option politique.
Par Belgacem Merbah
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