Réponse de Belgacem Merbah à la récente prise de position de Tahar Ben Jelloun concernant Boualem Sansal
Quand l’ignorance historique sert d’arme géopolitique
L’intervention de Tahar Ben Jelloun publié dans Le Figaro prétend offrir un témoignage littéraire, mais relève en réalité d’une stratégie discursive soigneusement alignée sur les besoins géopolitiques du makhzen.
En exploitant le cas particulier de Boualem Sansal, Ben Jelloun prétend éclairer l’histoire politique algérienne ; en vérité, il ne révèle qu’une chose : la constance du lobby littéraire marocain à instrumentaliser la mémoire et la littérature pour affaiblir l’Algérie et servir les intérêts du palais royal.
Cette analyse se place dans la perspective d’une affirmation de la souveraineté nationale algérienne, historique et contemporaine, et d’un refus catégorique des narratifs marocains et franco-coloniaux que Ben Jelloun relaie sans nuance.
1. Un locuteur affaibli par son silence sur la répression marocaine
Il faut rappeler une évidence : Tahar Ben Jelloun n’est pas un observateur neutre du Maghreb.
Pendant que l’Algérie résistait seule au colonialisme français puis au terrorisme des années 1990, Ben Jelloun produisait une littérature sans risque, soigneusement calibrée pour ne jamais heurter le palais royal ni ses réseaux d’influence en France.
Sa parole souffre donc d’un défaut majeur de légitimité :
- Silence total sur Tazmamart
- Aucune dénonciation des années de plomb
- Aucune critique de Hassan II ou de la monarchie absolue
- Adhésion constante au narratif du makhzen sur le Sahara occidental
Cette absence de courage interne invalide toute prétention à la moralisation externe.
Un écrivain qui n’a jamais dénoncé l’injustice chez lui ne peut prétendre dénoncer l’injustice chez les autres.
2. L’Algérie n’a jamais été une province ottomane : une vérité historique ignorée ou falsifiée
L’un des angles morts les plus spectaculaires de la rhétorique franco-marocaine — que Ben Jelloun reprend implicitement — est la prétendue “tutelle ottomane” sur l’Algérie.
Une confusion volontaire entretenue pour réduire la profondeur historique de l’État algérien.
Les faits sont clairs :
- L’Algérie ottomane n’était pas une colonie, encore moins un territoire administré depuis Istanbul.
- Le dey d’Alger était souverain : il levait l’impôt, menait les guerres, signait des traités internationaux.
- L’armée régulière, la Régence, la flotte et la diplomatie étaient autonomes.
- La Méditerranée reconnaissait Alger comme une entité étatique indépendante, redoutée et respectée.
- Les États-Unis d’Amérique ont signé avec Alger un traité de paix et d’amitié (1795) qui reconnaît la pleine souveraineté de l’État algérien.
En d’autres termes : l’Algérie était un État souverain, structuré, reconnu, redouté — bien avant l’arrivée des Français et bien avant l’existence du Maroc en tant qu’État moderne.
L’indépendance historique de l’Algérie constitue un fait irréfutable que Ben Jelloun, par ignorance ou stratégie, évite soigneusement d’évoquer.
3. Le mensonge marocain sur l’Ouest algérien : un mythe politique, pas un fait historique
L’idée que l’Ouest algérien aurait été “sous autorité marocaine” est l’un des piliers de la propagande marocaine contemporaine.
Elle repose sur des amalgames méthodologiques dangereux :
- confondre suzeraineté religieuse et souveraineté politique ;
- transformer des alliances tribales en frontières d’État ;
- appliquer rétroactivement les concepts modernes à des réalités sociopolitiques pré-nationales.
La réalité historique est simple :
- L’Ouest algérien relevait de la Régence d’Alger.
- Les frontières étaient fluides, mais jamais marocaines.
- Les tribus se rattachaient politiquement à Alger, jamais à Fès ou Marrakech.
- Les rares chevauchées marocaines sur l’ouest algérien ont toutes été repoussées.
L’idée d’une “extension historique” du Maroc n’est donc pas un fait, mais un projet politique construit postérieurement, afin de légitimer d’autres revendications territoriales — notamment au Sahara occidental.
Ben Jelloun ne produit pas une analyse : il réactive un mythe politique.
4. L’instrumentalisation de Boualem Sansal : la littérature comme outil contre l’Algérie
Transformer un cas individuel — lié à des déclarations controversées et à des enjeux géopolitiques sensibles — en symbole global du rapport entre l’Algérie et ses intellectuels relève d’un procédé rhétorique connu.
Ce procédé présente deux défauts majeurs :
a. La généralisation sans fondement
L’Algérie a une longue tradition de débats intellectuels internes.
Elle a produit des figures critiques d’envergure qui ont écrit librement, même dans les périodes les plus difficiles.
Isoler un cas particulier pour en faire un paradigme est intellectuellement malhonnête.
b. L’occultation de la répression marocaine
Le Maroc — contrairement à l’Algérie — criminalise toute critique directe du roi.
Des journalistes, des militants et des écrivains sont emprisonnés pour moins que cela.
En présentant son pays comme un “havre de liberté relative”, Ben Jelloun renverse volontairement les rapports de réalité.
Conclusion : une attaque qui dit davantage sur la stratégie marocaine que sur l’Algérie
Le texte de Tahar Ben Jelloun n’a rien d’un plaidoyer pour la liberté d’expression.
Il constitue une tentative :
- de fragiliser l’image internationale de l’Algérie,
- de réhabiliter un mythe territorial marocain,
- d’alimenter la rivalité géopolitique sur fond de realpolitik franco-marocaine.
L’Algérie — État souverain, ancien, structuré, jamais soumis, ni à l’Empire ottoman ni à une quelconque puissance régionale — n’est pas tenue d’accepter les leçons d’un écrivain dont le silence sur les dérives de son propre pays annule toute prétention morale.
Par Belgacem Merbah
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