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Les abstentions russe et chinoise au Conseil de sécurité : une lecture diplomatique dénuée des fantasmes marocains

L’entretien accordé par le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, à la télévision publique marocaine, au lendemain du vote de la résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental (31 octobre 2025), contient un ensemble de déclarations qui appellent à une mise au point rigoureuse. En prétendant que les abstentions de la Russie et de la Chine seraient le fruit d’« interventions directes du roi Mohammed VI » et une marque de reconnaissance pour la « neutralité du Maroc » dans la guerre d’Ukraine, le chef de la diplomatie marocaine procède à une lecture manifestement instrumentalisée des dynamiques diplomatiques au sein des Nations unies.


1. Les faits : la résolution et son contexte

Le Conseil de sécurité a adopté, le 31 octobre 2025, une résolution prorogeant le mandat de la MINURSO et réaffirmant l’appui au processus politique sous l’égide des Nations unies. Le texte a été adopté par 11 voix pour, avec 3 abstentions (Russie, Chine, Pakistan) et aucun vote contre.

Dans le langage diplomatique onusien, une abstention ne saurait être assimilée à un soutien politique explicite. Elle traduit, au contraire, une réserve substantielle vis-à-vis du texte présenté, souvent en raison de désaccords sur la formulation, le processus de négociation ou l’équilibre des paragraphes opératifs.


2. La position constante de la Russie : prudence stratégique et critique du déséquilibre des textes

Depuis plusieurs années, la Fédération de Russie adopte une attitude prudente à l’égard du dossier du Sahara occidental. Elle s’est abstenue à plusieurs reprises lors des votes de résolutions concernant la MINURSO, invoquant systématiquement des motifs liés à l’absence de consultation suffisante et au déséquilibre du texte en faveur d’un acteur spécifique — en l’occurrence, le Maroc.

Les déclarations russes lors des séances antérieures du Conseil de sécurité, disponibles sur le site de la mission permanente de la Russie auprès de l’ONU, sont explicites :

« La Russie soutient une solution mutuellement acceptable entre les deux parties, fondée sur les résolutions du Conseil de sécurité et le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. »

Rien, dans ces déclarations, ne permet de corroborer la version avancée par Nasser Bourita selon laquelle l’abstention de Moscou serait une “récompense diplomatique” pour la prétendue neutralité du Maroc dans le conflit ukrainien. Cette lecture relève davantage du discours politique interne, destiné à transformer une simple abstention en victoire symbolique.

3. La position de la Chine : constance du principe de non-ingérence et attachement à l’autodétermination

La République populaire de Chine, pour sa part, a toujours inscrit sa position dans une logique de non-ingérence et de respect des résolutions onusiennes fondées sur le droit à l’autodétermination. Pékin s’abstient régulièrement dans les dossiers où la rédaction des résolutions ne reflète pas un consensus équilibré entre les membres permanents et où la question coloniale reste juridiquement non résolue.

Dans son explication de vote du 31 octobre 2025, la Chine a réaffirmé « l’importance de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable », tout en soulignant que le texte adopté « ne reflétait pas suffisamment les positions de toutes les parties concernées ». Aucune mention n’a été faite du Maroc, encore moins de l’action diplomatique de son souverain.

La diplomatie chinoise, fidèle à sa doctrine, s’oppose à toute instrumentalisation bilatérale des votes onusiens. L’attribution d’un sens personnel ou émotionnel à son abstention constitue donc une distorsion flagrante des faits diplomatiques.

4. Une rhétorique d’autolégitimation politique

Les propos de Nasser Bourita relèvent d’une rhétorique bien connue : convertir les silences diplomatiques en adhésions politiques. En attribuant à Moscou et Pékin des motivations flatteuses à l’égard du Maroc, il cherche à renforcer la narration d’un royaume souverainement influent, capable de “convaincre” les grandes puissances. Cette mise en scène est destinée avant tout à l’opinion publique marocaine, dans un contexte où la diplomatie du Palais tente de masquer les limites structurelles de son influence réelle au sein du Conseil de sécurité.

En réalité, ni la Russie ni la Chine n’ont exprimé un quelconque soutien explicite au “plan d’autonomie marocain”. Leur abstention témoigne d’une neutralité prudente — et non d’une approbation politique. Loin d’être un succès diplomatique, cette abstention confirme au contraire que le consensus autour du texte reste fragile et contesté au sein même du Conseil.

5. Conclusion : entre illusion de victoire et réalité diplomatique

La prétendue “victoire” que revendique Bourita s’apparente davantage à une opération de communication qu’à un résultat diplomatique concret. Les positions officielles de la Russie et de la Chine s’inscrivent dans une continuité stratégique :
  • maintien d’une neutralité de principe ;
  • refus de cautionner un texte perçu comme déséquilibré ;
  • attachement au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui conformément aux résolutions 1514 et 690.
Ainsi, loin d’être un “hommage à la diplomatie du Roi”, l’abstention russo-chinoise traduit une réserve critique face à la politisation croissante de la question saharienne et au monopole narratif que le Maroc tente d’imposer dans l’espace onusien.



Par Belgacem Merbah



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