L’Algérie, la Russie et le Sahara Occidental : entre réalisme stratégique et réciprocité géopolitique
Certains, en Algérie, s’interrogent sur la position prudente de la Russie vis-à-vis du dossier sahraoui, et notamment sur son refus d’utiliser le veto au Conseil de sécurité. Ce questionnement, parfois empreint d’émotion, repose sur l’idée que Moscou aurait dû se comporter en allié inconditionnel d’Alger, au nom de l’amitié historique et du partenariat stratégique qui lie les deux nations. Pourtant, en géopolitique, les alliances ne reposent ni sur les sentiments ni sur la nostalgie, mais sur la convergence d’intérêts au moment précis où ils se manifestent.
La logique russe : hiérarchie des priorités et calcul des équilibres
La Russie, aujourd’hui engagée dans un affrontement global avec l’Occident autour du conflit ukrainien, réorganise sa diplomatie autour d’un principe fondamental : la gestion sélective des crises. Dans ce cadre, Moscou évite de se disperser sur des dossiers où ses intérêts vitaux ne sont pas directement menacés. Le Sahara Occidental, malgré sa portée symbolique et historique, ne constitue pas pour la Russie un enjeu stratégique de premier ordre, contrairement à la Méditerranée orientale, à la mer Noire ou à l’Asie centrale.
Cependant, cette neutralité relative ne signifie pas désintérêt. Moscou entretient un dialogue constant avec Alger, et son attitude mesurée vise surtout à préserver sa capacité de médiation régionale. La Russie sait que l’Algérie demeure un partenaire clé au Maghreb, une puissance militaire de premier plan en Afrique, et une voix respectée dans le monde arabe. La retenue russe est donc moins un signe de froideur qu’une manière de maintenir sa flexibilité diplomatique dans une région où elle ambitionne d’accroître son influence.
L’Algérie et la réciprocité stratégique
Mais la question mérite d’être retournée : l’Algérie, a-t-elle toujours été exemplaire envers Moscou sur les dossiers vitaux pour cette dernière ?
Lors du déclenchement de la guerre en Ukraine, Alger a adopté une position de neutralité équilibrée, refusant les pressions des deux camps et appelant au dialogue. Ce choix, fidèle à la doctrine de non-alignement, a permis à l’Algérie de préserver ses intérêts économiques et politiques tout en consolidant son image d’acteur souverain. Il a aussi permis au pays de tirer parti de la crise énergétique russo-européenne pour devenir un fournisseur stratégique de gaz sur le marché européen, renforçant ainsi sa propre position régionale.
Ce réalisme algérien n’est pas contradictoire avec la fidélité historique à Moscou, mais il traduit une maturité diplomatique : celle d’un État qui ne s’aligne sur personne, et qui refuse toute présence militaire étrangère sur son territoire.
Dans ce contexte, il serait donc incohérent de reprocher à la Russie une distance que nous pratiquons nous-mêmes dans d’autres dossiers. Ce qu’il faut y voir, ce n’est pas une rupture, mais une leçon de réciprocité géopolitique.
Perspectives et consolidation de l’axe algéro-russe
L’avenir des relations entre Alger et Moscou dépendra de la capacité des deux capitales à dépasser la simple logique de la défense et du souvenir historique pour bâtir un partenariat d’influence. L’enjeu n’est plus seulement militaire, mais aussi technologique, énergétique et diplomatique.
Sur le plan militaire, l’Algérie demeure l’un des plus importants clients de l’industrie d’armement russe. Mais cette relation doit désormais évoluer vers la coproduction, le transfert de technologie et le renforcement des capacités nationales de défense, dans une logique d’autonomie stratégique.
Sur le plan énergétique, la coopération gazière et pétrolière peut être renforcée, notamment dans la coordination des politiques d’exportation face à l’Europe. Une alliance énergétique algéro-russe, si elle est finement négociée, permettrait à Alger de consolider sa position de puissance énergétique pivot entre Moscou et Bruxelles.
Enfin, sur le plan diplomatique, Alger et Moscou ont intérêt à coordonner leurs positions sur les grands dossiers africains, notamment au Sahel et en Libye, où les deux pays partagent un même objectif : contenir le chaos, contrer les ingérences étrangères et stabiliser les zones d’influence.
Vers une diplomatie de puissance équilibrée
L’Algérie n’a pas vocation à s’aligner sur la Russie, pas plus qu’elle ne doit se rapprocher de Washington au détriment de son indépendance. Elle doit plutôt consolider sa place dans le nouvel ordre multipolaire, en s’affirmant comme une puissance d’équilibre, capable de dialoguer avec tous sans dépendre de personne.
C’est dans cette position d’équilibre que réside la véritable force de la diplomatie algérienne — une diplomatie forgée dans la lutte pour l’indépendance, nourrie par une mémoire souveraine, et animée par une seule certitude :
L’Algérie ne quémande pas des alliances, elle construit des partenariats fondés sur le respect mutuel et la réciprocité.
Et si la Russie choisit aujourd’hui la retenue, ce n’est pas un désaveu : c’est un rappel que dans les relations internationales, la confiance se cultive par les actes, la constance et la symétrie.
À Alger de transformer cette réciprocité en opportunité stratégique — pour que, demain, la voix de l’Algérie résonne non pas en écho, mais en puissance.
Par Belgacem Merbah
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