L’Algérie dans le miroir de la droite française : l’accord de 1968 comme symbole de l’ennemi imaginaire
À chaque échéance électorale en France, l’Algérie revient sur le devant de la scène, non pas en tant que partenaire historique ou voisin méditerranéen, mais comme un « spectre » convoqué pour expliquer toutes les crises internes : pénurie de logements, chômage, délitement du modèle social, voire « effondrement républicain ». Au cœur de cette invocation récurrente se trouve l’accord franco-algérien de 1968, érigé par l’extrême droite en symbole du prétendu « envahissement algérien », comme s’il était la source de tous les maux.
Pourtant, la réalité est plus nuancée. En 2024, 29 100 Algériens ont obtenu un premier titre de séjour en France, soit une baisse de 9 % par rapport à 2023, tandis que 37 000 Marocains en ont bénéficié, un chiffre stable qui place le Maroc en tête des primo-délivrances depuis plusieurs années. En matière de renouvellement, les Algériens comptabilisent 125 000 titres, contre 128 500 pour les Marocains, ce qui confirme que les deux communautés sont comparables en volume. Pourtant, seul l’accord de 1968 est systématiquement présenté comme « scandaleux » dans le discours politique.
L’Algérie convoquée, le Maroc épargné : une sélectivité politique
Cette asymétrie ne découle pas des chiffres. L’Algérie compte environ 650 000 ressortissants en situation régulière en France, contre plus de 1,5 million de Marocains, dont 670 000 binationaux. Les Marocains sont également les premiers bénéficiaires des acquisitions de nationalité française depuis plusieurs années. Pourtant, dans l’imaginaire politique français, l’Algérie incarne « l’Autre » chargé de tous les fardeaux : le poids de l’histoire coloniale, l’échec de l’intégration, et tout ce que le système politique peine à affronter en interne.
Le Maroc, malgré des avantages juridiques indéniables (accord de 1987 permettant une carte de résident après 3 ans de séjour régulier, contre 5 ans dans le droit commun), n’est jamais mobilisé avec la même intensité. Pourquoi ? Parce que la charge mémorielle propre à l’Algérie dans la conscience française – guerre d’indépendance, rupture coloniale – demeure une « blessure ouverte » que certains exploitent pour réactiver des réflexes identitaires.
Accord de 1968 : un instrument narratif, non juridique
L’accord franco-algérien de 1968, signé dans un contexte où la France avait besoin de main-d’œuvre, crée un régime dérogatoire : certificats de résidence gratuits depuis 2001 (contre 225 € pour les autres étrangers), accès accéléré à la carte de 10 ans (après 3 ans de séjour, contre 5 ans en droit commun) et facilités pour le regroupement familial. Mais ces dispositions ont été fortement réduites par trois avenants (1985, 1994, 2001) et par l’instauration du visa obligatoire en 1986. Aujourd’hui, l’accord ne confère plus d’avantages massifs, contrairement à ce que prétend le discours politique.
À titre de comparaison, l’accord franco-marocain de 1987 offre des facilités similaires : carte de résident après 3 ans, regroupement familial simplifié, et droits professionnels étendus. Pourtant, il n’est jamais au cœur des polémiques.
Conclusion : une nécessité stratégique pour l’Algérie
Face à cette instrumentalisation systématique, il est dans l’intérêt de l’Algérie de reconsidérer l’accord de 1968, non seulement pour des raisons de souveraineté juridique, mais comme une démarche stratégique visant à priver le discours politique français de son « ennemi imaginaire ». Une révision – voire une suppression – de cet accord contraindrait la classe politique française à affronter ses propres contradictions sans recourir à ce levier symbolique, et permettrait de rééquilibrer la relation bilatérale sur des bases plus réalistes et équitables.
Belgacem Merbah
📌 Chiffres clés à retenir :
- Algériens en France : 650 000 résidents réguliers ; 29 100 premiers titres en 2024 ; 125 000 renouvellements.
- Marocains en France : 1,5 million (dont 670 000 binationaux) ; 37 000 premiers titres en 2024 ; 128 500 renouvellements.
- Accord 1968 : carte de 10 ans après 3 ans de séjour ; gratuité des titres depuis 2001.
- Accord 1987 (Maroc) : mêmes facilités, mais absent du débat politique.
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