La visite d’Anne‑Marie Descôtes à Alger : une tentative méthodique pour déverrouiller un face‑à‑face diplomatique crispé
Jeudi soir, Anne‑Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, est arrivée à Alger pour des consultations avec son homologue Lounès Magramane — première visite officielle d’un haut responsable français depuis la reprise des tensions au printemps dernier. Paris affiche un objectif pragmatique : réamorcer la coopération en matière de mobilité, de sécurité et de relance économique, avec une priorité immédiate donnée au travail consulaire et aux dossiers de personnels en souffrance. Cette visite s’inscrit dans une séquence annoncée par les deux capitales comme un début de décongélation, et présentée publiquement comme un « cadrage technique » du rétablissement des canaux de dialogue.
Un agenda « technique » mais hautement politique
De l’« Déclaration d'Alger » aux expulsions croisées : anatomie d’une crise
Boualem Sansal : un signal humanitaire… et un test de méthode
Les moteurs géopolitiques : mobilité, sécurité, mémoire, économie
Mobilité & sécurité. Pour Paris, l’enjeu immédiat est la réingénierie des procédures de réadmission (laissez‑passer, identification, transferts) et le co‑traitement des risques criminels/terroristes transnationaux. La perspective d’une visite de Laurent Nuñez s’inscrit dans ce chaînage technico‑sécuritaire, adossé à un discours de co‑responsabilité.
Mémoire & symboles. Les dossiers de mémoire coloniale et du Sahara occidental constituent des déclencheurs d’opinion des deux côtés. La prise de position de Paris en 2024 sur le Sahara a réactivé des réflexes de souveraineté à Alger et fragilisé la confiance stratégique. La visite actuelle tente de déconnecter les fils techniques (consulaires/sécuritaires) des nœuds symboliques — au moins temporairement.
Économie & entreprises. Le déblocage consulaire a un effet multiplicateur sur les chaînes de valeur : cadres, techniciens et experts circulent mieux, les projets redémarrent, les décisions d’investissement redeviennent possibles. Les acteurs économiques lient explicitement la fluidité consulaire à la prévisibilité des opérations.
Changement de cap à Paris : de la sanction à la « demande coopérative »
Le tournant Nuñez à l’Intérieur acte qu’une stratégie de pressions consulaire‑visas produit des effets limités et des contre‑coups politiques. D’où la recherche d’un « dialogue exigeant » qui conditionne certains canaux (mobilité, sécurité) à des garanties opérationnelles vérifiables, sans exhiber publiquement les points de friction. Cette ligne est cohérente avec la mission Descôtes : réparer les fils consulaire‑administratifs avant d’aborder les sujets symboliques.
La posture algérienne : dissocier les trajectoires, garder la boussole de la souveraineté
Trois scénarios à court terme
-
Désescalade gérée. Réactivation graduelle des services consulaires (accréditations, circuits documentaires), retour des ambassadeurs, et visites techniques (dont celle de Nuñez). Les dossiers symboliques restent hors projecteurs, le temps de stabiliser le technique.
-
Rechute rapide. Un rebond judiciaire (nouveaux actes dans l’affaire Amir DZ, détentions) rallumerait la spirale symétrique des expulsions et gèlerait l’effet Descôtes.
-
Pénétration humanitaire élargie. Capitaliser sur l’affaire Sansal pour traiter d’autres cas (ex. Christophe Gleizes), créer un capital de confiance et ouvrir prudemment les chantiers migration/mémoire.
Conclusion : privilégier les « couloirs latéraux » pour ré‑architecturer le face‑à‑face
La mission d’Anne‑Marie Descôtes illustre une diplomatie des couloirs : réactiver les circuits consulaire‑sécuritaires pour refroidir des dossiers hautement symboliques (Sahara, mémoire), et redonner aux présidences marges de manœuvre hors de la lumière crue du conflit. La réussite dépendra de la discipline de part et d’autre à maintenir le technique à l’abri des séismes d’opinion, tout en construisant des garanties opérationnelles (réadmission, sécurité, mobilité économique) assez robustes pour absorber les chocs politiques à venir.
Par Belgacem Merbah
Commentaires
Enregistrer un commentaire