Accéder au contenu principal

Sahara occidental : l’autonomie sans autodétermination n’a pas de base légale

À rebours d’un récit qui annonce la “consécration” d’une souveraineté marocaine au Conseil de sécurité et l’érection de l’autonomie en solution unique, les textes – Chartes, résolutions, jurisprudences – racontent autre chose : un territoire non autonome, un droit à l’autodétermination imprescriptible et un processus onusien toujours vivant. Même le Plan d’autonomie marocain (S/2007/206) reconnaît qu’aucune issue n’est valable sans un vote librement consenti du peuple sahraoui. 


Le droit positif : un territoire non autonome et un droit à l’autodétermination

Depuis 1963, le Sahara occidental figure sur la liste onusienne des territoires non autonomes. En langage onusien, cela signifie décolonisation inachevée et droit à l’autodétermination du peuple du territoire : une boussole juridique que ni l’Assemblée générale ni le Conseil de sécurité n’ont modifiée. En 1975, la Cour internationale de Justice a confirmé que les liens d’allégeance historiques invoqués ne se traduisent pas en titre de souveraineté ; rien ne saurait donc faire obstacle à l’exercice de l’autodétermination selon la résolution 1514 (XV). 

Ce que disent (encore) les dernières résolutions du Conseil

Les résolutions 2703 (30 octobre 2023) et 2756 (31 octobre 2024) n’enterrent ni le référendum ni l’autodétermination ; elles renouvellent la MINURSO et appellent à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui pourvoie à l’autodétermination du peuple. Le vote n’a montré aucune “bascule historique” : 13 voix pour et 2 abstentions en 2023 ; 12 pour, 2 abstentions et une non‑participation en 2024. Et la mission s’appelle toujours Mission des Nations unies pour le Référendum au Sahara Occidental : l’intitulé dit le mandat. 

Ce que propose le Plan d’autonomie marocain – et ce qu’il implique

Soumis en 2007 (S/2007/206), le Plan d’autonomie dessine une Région autonome avec un parlement (mixant élection par tribus et suffrage direct), un exécutif investi par le Roi et des juridictions régionales. La Région gérerait l’administration, la police locale, le développement économique, le budget et la fiscalité, l’éducation, la santé, la culture hassanie, l’environnement, et bénéficierait d’une part des revenus des ressources naturelles. L’État conserve la défense, les relations extérieures, l’ordre juridictionnel national et les attributions religieuses du Roi. Surtout, le texte prévoit un référendum d’approbation du statut « comme libre exercice du droit à l’autodétermination », suivi d’une révision constitutionnelle, d’une amnistie générale et d’un conseil transitoire chargé du DDR et des opérations électorales. Autrement dit : même dans l’option autonomie, la validation populaire reste indispensable

Ressources naturelles : la règle du consentement du peuple

Depuis la lettre Corell (Conseil juridique de l’ONU, 2002), un principe clair s’applique aux territoires non autonomes : l’exploration et l’exploitation des ressources ne sont licites que si elles respectent les intérêts et les vœux du peuple ; à défaut, elles contreviennent au droit applicable. La jurisprudence européenne prolonge : en 2016 (C‑104/16 P) et 2018 (C‑266/16), la CJUE a rappelé le statut “séparé et distinct” du territoire et exclu l’application automatique des accords UE‑Maroc au Sahara occidental et à ses eaux adjacentes. En 2021, le Tribunal de l’UE a annulé des décisions étendant commerce et pêches faute de consentement du peuple sahraoui ; en 2024, la CJUE a confirmé qu’aucun accord ne peut couvrir le territoire sans ce consentement et a imposé l’étiquetage d’origine “Sahara occidental” pour éviter de tromper le consommateur.

Les positions étatiques n’abolissent pas la norme

La proclamation américaine de décembre 2020 reconnaissant la souveraineté marocaine relève d’un acte politique bilatéral qui n’a aucun effet sur le statut onusien du territoire ni sur le mandat de la MINURSO. Les États‑Unis, à l’ONU en 2024, se sont d’ailleurs exprimés dans le cadre du processus politique onusien vers une solution mutuellement acceptable. Quant au projet de loi américain visant à désigner le Front Polisario comme organisation terroriste (introduit en 2025), il n’est pas du droit positif international ; il ne lie ni l’ONU ni l’UE. 

Du côté du Conseil de sécurité, la Russie s’est abstenue sur 2703 et 2756, tandis que la Chine soutient une solution acceptée par toutes les parties dans le cadre des résolutions et du mandat de l’Envoyé personnel. Ni l’une ni l’autre n’ont validé l’“autonomie” comme unique horizon ; la formule onusienne demeure. 

Comment rendre l’autonomie compatible avec l’autodétermination

Si l’on veut que l’option autonomie fonctionne en droit – en tant que résultat d’un processus de décolonisation, et non comme substitut – quatre conditions s’imposent :

  1. Référendum authentique : préciser un choix réel (et pas la seule approbation d’un texte), définir le corps électoral en intégrant réfugiés et diaspora, garantir la supervision et l’observation internationales, et assurer les libertés publiques pendant la campagne. C’est l’esprit de l’avis de la CIJ et le cœur des résolutions 2703/2756. 
  2. Consentement aux ressources : instituer une autorité indépendante (Région/ONU/experts) chargée d’autoriser les projets, de vérifier les bénéfices pour le peuple et d’assurer transparence et audits publics, conformément à Corell et à la jurisprudence UE. 
  3. Droits humains et confiance : ouvrir des visites régulières de l’OHCHR et installer un mécanisme de plainte accessible, afin que la parole des citoyens soit protégée avant, pendant et après le vote.
  4. Sécurité/DDR : encadrer amnistie et DDR par une assistance technique internationale (ONU/UA), avec calendrier, vérification et accompagnement post‑référendaire. 

Ces garde‑fous donnent consistance à l’exigence de consentement : l’autonomie n’est légitime que choisie, pas décrétée.

De la communication au droit : remettre les faits au centre

Annoncer que le Conseil de sécurité “consacre” la souveraineté marocaine ou “évacue” l’autodétermination, c’est prendre ses désirs pour des normes. Or, les normes existent : territoire non autonome, peuple sahraoui titulaire du droit à l’autodétermination, processus onusien qu’illustrent 2703 et 2756, mandat référendaire de la MINURSO, jurisprudence européenne qui refuse toute application automatique d’accords au territoire sans consentement du peuple. Même le Plan d’autonomie marocain acte qu’aucune mise en œuvre n’est possible sans référendum

Au fond, la question n’est pas de savoir si l’autonomie est “sérieuse, crédible et réaliste” ; elle peut l’être. La question est de savoir si elle sera le produit d’un choix librement exprimé par ceux à qui appartient la décision : le peuple du Sahara occidental. Tant que cette boussole ne dévie pas, le droit demeure la meilleure garantie contre les emballements du récit. 


Par Belgacem Merbah


Références :

ONU – territoires non autonomes (Sahara occidental) ; CIJ (Avis 1975) ; CSNU 2703/2023 et 2756/2024 (communiqué SC/15882) ; MINURSO (mandat) ; Plan d’autonomie S/2007/206 ; UN OLA S/2002/161 ; CJUE 2016 (C‑104/16 P), 2018 (C‑266/16), Tribunal 2021 (T‑279/19, T‑344/19/356/19) et CJUE 2024 (étiquetage/consentement) ; Proclamation US 2020 et déclaration US à l’ONU 2024 ; explication de vote Chine 2023. [metrodetroitmun.org], [digitallib...ary.un.org], [usun.usmission.gov], [press.un.org], [dmag20101130_06-fr], [porunsaharalibre.org], [eur-lex.europa.eu], [un.org], [embassypages.com], [spsrasd.info], [wsrw.org], [www.un.chi...ion.gov.cn], [en.wikipedia.org]

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La CIA déclassifie un document qui permet de comprendre les véritables motivations du Maroc dans la guerre des sables de 1963

Le 23 août 1957, un document confidentiel de la CIA a été rédigé, dévoilant des éléments cruciaux sur la politique française vis-à-vis de l’Algérie, alors en pleine guerre d’indépendance. Récemment déclassifié, ce document éclaire d’un jour nouveau les intentions de la France concernant les zones pétrolifères sahariennes et ses stratégies post-indépendance. À travers des manœuvres diplomatiques, économiques et géopolitiques, Paris cherchait à préserver son contrôle sur cette région stratégique. Un Sahara Algérien Indispensable à la France Selon ce document, la France considérait le Sahara algérien comme un territoire d’une importance capitale, non seulement pour ses ressources pétrolières et gazières, mais aussi pour son positionnement stratégique en Afrique du Nord. Dans cette optique, Paris envisageait de maintenir coûte que coûte sa mainmise sur la région, en la dissociant administrativement du reste de l’Algérie. Cette politique s’est concrétisée en 1957 par la création de deux dép...

Supériorité des F-16 marocains sur les Su-30 algériens : Un déséquilibre stratégique inquiétant ?

Le rapport de force militaire entre le Maroc et l’Algérie constitue un enjeu stratégique majeur en Afrique du Nord. Depuis des décennies, les deux nations s’engagent dans une course à l’armement, mettant un accent particulier sur la modernisation de leurs forces aériennes. Cependant, une nouvelle dynamique semble se dessiner avec la montée en puissance de l’aviation marocaine, renforcée par l’acquisition des F-16V Block 70 , livrés en 2023, et des missiles AIM-120C/D . Pendant ce temps, l’Algérie peine à moderniser sa flotte de Su-30MKA, toujours limitée par l’absence de missiles longue portée de dernière génération , ce qui pourrait progressivement redéfinir l’équilibre aérien dans la région. Cette asymétrie soulève plusieurs préoccupations : Le Maroc pourrait exploiter cet avantage pour adopter une posture plus agressive , comme ce fut le cas par le passé. L'Algérie se retrouve exposée à une éventuelle suprématie aérienne marocaine , en particulier dans un scénario de conflit. Le...

Le Mythe du Soutien Marocain à la Révolution Algérienne : Une Histoire de Calculs et d’Opportunisme

L’histoire des relations entre le Maroc et la Révolution algérienne est souvent déformée par une propagande soigneusement entretenue par le régime marocain. Cette version des faits présente Mohamed V comme un allié indéfectible du peuple algérien dans sa lutte pour l’indépendance. Pourtant, une analyse minutieuse des événements démontre que ce soutien n’était ni désintéressé, ni motivé par une réelle solidarité. Il s’agissait avant tout d’un levier diplomatique visant à consolider le pouvoir du souverain marocain et à servir les ambitions territoriales du royaume chérifien. Un Soutien Dicté par des Intérêts Stratégiques Lorsque la Guerre d’Algérie éclate en 1954, le Maroc, fraîchement indépendant depuis 1956, se trouve dans une position délicate. Mohamed V cherche à asseoir son autorité dans un pays encore fragile, marqué par des tensions internes et des incertitudes quant à son avenir politique. Dans ce contexte, le soutien à la lutte algérienne contre la France devient un outil de né...