Sahara occidental : déconstruire les arguments de propagande marocaine et rétablir le cadre juridique international
Un narratif médiatique récurrent présente aujourd’hui l’« autonomie » marocaine comme la seule issue « réaliste » au différend du Sahara occidental, en suggérant un tournant décisif du droit international et des pratiques onusiennes. Cet article montre, sources primaires à l’appui, que le cadre juridique applicable n’a pas changé : le Sahara occidental demeure un territoire non autonome relevant d’un processus de décolonisation fondé sur l’autodétermination du peuple sahraoui, et les résolutions du Conseil de sécurité continuent d’appeler à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui assure l’autodétermination, sans consacrer une option unique. La jurisprudence européenne récente confirme par ailleurs le statut du territoire comme « séparé et distinct » du Maroc et l’exigence de consentement du peuple sahraoui pour tout accord l’affectant. Enfin, si des positions bilatérales soutiennent l’initiative marocaine, elles n’altèrent pas la portée des normes onusiennes.
1. Un différend juridico‑politique avant tout onusien
Le statut du Sahara occidental est encadré par trois piliers juridiques : l’avis consultatif de la CIJ (1975), la liste des Territoires non autonomes de l’ONU, et les résolutions périodiques du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale.
- La Cour internationale de Justice a constaté l’absence de tout lien de souveraineté territoriale entre le Sahara occidental et le Maroc ou la Mauritanie, renvoyant explicitement à la décolonisation par l’autodétermination du peuple du territoire (CIJ, Sahara occidental, 16 oct. 1975).
- Le Sahara occidental reste inscrit sur la liste onusienne des territoires non autonomes depuis 1963 ; c’est, de l’aveu même de l’ONU, la dernière question de décolonisation en Afrique.
- La Quatrième Commission de l’Assemblée générale réaffirme chaque année le droit inaliénable à l’autodétermination des Sahraouis et la responsabilité des Nations Unies sur ce dossier.
Conclusion partielle : parler d’un « réalisme juridique nouveau » qui réserverait l’issue au seul schéma d’autonomie contredit ces références normatives centrales.
2. Ce que disent réellement les résolutions du Conseil de sécurité
Depuis 2007, le Conseil de sécurité renouvelle le mandat de la MINURSO et appelle à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui assure l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, en exhortant les parties à négocier sans préconditions, avec réalisme et compromis. Les résolutions 2703 (2023) et 2756 (2024) prolongent MINURSO et réitèrent ce langage, tout en soutenant les efforts de l’Envoyé personnel et en encourageant la coopération avec le HCDH (visites) pour la dimension droits humains.
Deux points méritent d’être soulignés :
- Aucune résolution n’« entérine » l’autonomie comme seule voie ; l’« appréciation » de propositions « sérieuses et crédibles » ne vaut pas imposition d’un statut, le Conseil ne préjugeant pas de l’issue conforme à la Charte.
- Le Conseil réaffirme régulièrement le rôle des parties et États voisins (Maroc et Front Polisario ; Algérie et Mauritanie comme États voisins) et leur responsabilité partagée dans la relance du processus.
3. Le mandat de la MINURSO : une origine référendaire qui compte encore
Créée par la résolution 690 (1991), la MINURSO a pour objet historique l’organisation d’un référendum au cours duquel le peuple sahraoui choisirait entre indépendance et intégration. Si le référendum n’a pas été tenu, la fiche officielle de la Mission rappelle ce mandat fondateur et ses tâches de cessez‑le‑feu, d’appui politique et de déminage. Les résolutions récentes prolongent la Mission pour préserver un cadre de désescalade et accompagner la médiation onusienne, sans réécrire pour autant la nature du droit applicable (autodétermination).
4. « Autodétermination interne » ? Clarifier les catégories juridiques
L’argument, fréquemment mobilisé, selon lequel le droit international contemporain privilégierait une « autodétermination interne » (gestion locale sous souveraineté étatique pré-établie) doit être replacé dans son contexte. Dans les situations de décolonisation de territoires non autonomes, la règle demeure celle d’une autodétermination librement exprimée pouvant aller jusqu’à l’indépendance. L’avis de la CIJ (1975) et la pratique de l’ONU en matière de décolonisation le confirment. Réduire l’autodétermination à une simple dévolution administrative revient à dénaturer la norme dans ce contexte spécifique.
5. La jurisprudence européenne (2024) : « territoire séparé et distinct », consentement requis
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le 4 octobre 2024 (Grand Chambre), a annulé l’extension aux produits et eaux adjacentes du Sahara occidental des accords UE‑Maroc, au motif que le territoire est « séparé et distinct » du Maroc en droit international et que tout accord l’affectant requiert le consentement du peuple sahraoui (et non la seule consultation de la « population » incluant des colons). Cette jurisprudence, qui se fonde sur le droit à l’autodétermination et la relativité des traités, corrobore le statut international du territoire et contredit l’idée d’une souveraineté marocaine opposable erga omnes.
6. Positions bilatérales et cadre multilatéral : distinguer le politique du juridique
Certains États ont affiché un soutien politique à l’initiative marocaine. En avril 2025, les États‑Unis ont réaffirmé la reconnaissance proclamée en 2020 et qualifié l’autonomie d’« unique base » de discussion dans leur lecture bilatérale. Toutefois, cette position n’altère pas le cadre juridique onusien : les résolutions du Conseil maintiennent la référence à l’autodétermination, la neutralité quant à l’issue finale et l’appel à des négociations sans préconditions. La distinction entre appuis étatiques (politiques) et normes de l’ONU (juridiques et procédurales) est donc essentielle.
7. Le projet de loi américain H.R. 4119 (2025) désignant le Polisario : état des lieux
L’évocation d’un « classement terroriste » du Front Polisario dans certains médias appelle une mise au point. Le 24 juin 2025, un projet de loi bipartite (H.R. 4119 – Polisario Front Terrorist Designation Act) a été déposé à la Chambre des représentants ; il est au stade d’introduction, renvoyé en commissions, et n’a pas force de loi. Il prévoit notamment que le Département d’État évalue si les critères de désignation sont réunis. Présenter cette initiative comme un fait acquis est inexact et sans effet sur le droit applicable au niveau onusien.
8. Droits humains et gouvernance : une dimension que l’ONU garde à l’agenda
Au‑delà du statut, le Conseil de sécurité et le Secrétaire général soulignent la fragilité humanitaire et la nécessité de coopérer avec le HCDH, y compris par des visites dans le territoire et les camps, et d’assurer un approvisionnement sûr des sites de la MINURSO. Les rapports du Secrétaire général (2024) décrivent une situation militaire volatile depuis la fin du cessez‑le‑feu en 2020, plaidant pour une désescalade et une reprise crédible du processus politique sous la médiation de l’Envoyé personnel.
9. Méthode : comment sortir de l’impasse ?
Trois principes, cohérents avec le droit et la pratique onusienne, paraissent incontournables :
- Primat du cadre onusien : relancer des pourparlers sous l’égide de l’Envoyé personnel, sans préconditions, avec Maroc et Front Polisario en tant que parties, et Algérie/Mauritanie comme États voisins impliqués de bonne foi.
- Respect du droit à l’autodétermination : toute solution mutuellement acceptable doit assurer l’autodétermination du peuple sahraoui ; les modèles institutionnels (y compris une autonomie) ne valent que s’ils procèdent d’un consentement libre et authentique.
- Garanties juridiques et économiques : tout dispositif concernant les ressources ou les accords économiques doit respecter la jurisprudence exigeant le consentement du peuple (et non de la seule « population »).
Conclusion
Loin d’un « réalisme » nouvelle manière, le dossier du Sahara occidental demeure juridiquement ancré dans la décolonisation et l’autodétermination. Les résolutions du Conseil de sécurité n’imposent pas une issue exclusive ; elles exigent un processus loyal, fondé sur le compromis, qui assure la décision du peuple sahraoui sur son statut final. La CJUE a rappelé en 2024 les conséquences juridiques concrètes de ce statut « séparé et distinct ». Quant aux positions bilatérales et aux initiatives législatives étrangères, elles ne sauraient supplanter le régime onusien. Une sortie durable du conflit suppose donc de dépasser la propagande, de revenir aux textes, et de placer la volonté des Sahraouis au centre, seule boussole compatible avec la Charte des Nations Unies.
Par Belgacem Merbah
Références
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CIJ, Sahara occidental, Avis consultatif du 16 octobre 1975 : absence de lien de souveraineté et primauté de l’autodétermination. <https://icj-cij.org/case/61> ; synthèse : HLRN. <https://hlrn.org/img/documents/Advisory_Opinion_1975_summary.pdf> 
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GovTrack, H.R. 4119 – statut et synthèse. <https://www.govtrack.us/congress/bills/119/hr4119> 
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Rapport du SG au CSNU, 1er oct. 2024 (S/2024/707) – situation sur le terrain et défis MINURSO. <https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n24/279/78/pdf/n2427978.pdf> 
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