Les images qui circulent depuis vingt-quatre heures à Bamako ont la force d’un choc visuel et moral. Des avenues vides, des files interminables devant des stations-service désaffectées, des motos à l’arrêt, des visages épuisés par la chaleur et l’attente. Le pays vit à un rythme ralenti, au bord de l’immobilisme.
Derrière le silence obstiné des autorités militaires, la réalité s’impose, brutale : la pénurie de carburant s’étend, inexorable, transformant la vie quotidienne des Maliens en parcours d’endurance.
Ce que Bamako découvre aujourd’hui n’est que le prolongement d’une crise enracinée depuis le début du mois de septembre. De Mopti à Ségou, de San à Koutiala, de Sikasso à Nioro, le pays entier suffoque. Les stations-service ferment les unes après les autres, faute d’approvisionnement. Le litre d’essence, désormais vendu entre 1 500 et 3 500 francs CFA selon les régions, est devenu un produit rare, presque un luxe. Le carburant, ce sang vital de l’économie moderne, se tarit — et avec lui, c’est le Mali tout entier qui s’arrête de battre.
Un pays pris en otage par ses dirigeants
Qui aurait imaginé qu’en 2025, s’éloigner de vingt kilomètres de Bamako puisse relever du risque vital ? Ce paradoxe illustre tragiquement la faillite d’un régime militaire incapable d’assurer les besoins élémentaires de la population qu’il prétend protéger. Le pays est pris en otage par une junte engluée dans la propagande et le déni, refusant obstinément de reconnaître l’évidence : il n’y a ni sécurité, ni électricité, ni carburant… et bientôt peut-être plus de quoi se nourrir décemment, dans un pays devenu dépendant des importations alimentaires.
Les Maliens subissent une double peine. Cloîtrés chez eux dès la tombée de la nuit, sous un couvre-feu imposé au nom de la sécurité, ils affrontent une chaleur écrasante dans l’obscurité, privés d’énergie, de lumière, et d’espoir. Ce quotidien est celui d’une population exténuée, abandonnée à la survie, pendant que ses dirigeants jouent à la guerre des postures et des slogans nationalistes.
Le cœur économique à l’arrêt
Le 4 octobre, un symbole s’est effondré : la mine d’or de Sadiola, l’un des poumons économiques du pays, a cessé toute activité, faute de carburant. Cette paralysie n’est pas un incident isolé, mais le signe d’un effondrement systémique. L’or représente près de 83 % des exportations du Mali ; sa production alimente la stabilité monétaire et assure une part essentielle des recettes publiques. En bloquant cette activité vitale, la junte compromet l’équilibre économique du pays tout entier — aggravant la précarité et la colère sociale.
Pendant ce temps…
… à Bamako, les militaires au pouvoir concentrent entre leurs mains tous les leviers de la vie publique. Ils restreignent les libertés, contrôlent les médias, étouffent la parole libre, sous couvert de « sécurité nationale ». Ils bombent le torse et défient les Nations unies, mais demeurent incapables d’approvisionner leur capitale en carburant.
Cette arrogance d’un pouvoir impuissant traduit le décalage entre le discours officiel et la réalité vécue : le déni est devenu mode de gouvernement, la censure, un substitut à l’action.
… pendant ce temps, la crise s’enracine. Le pays s’enfonce dans l’obscurité — littéralement. Les coupures d’électricité plongent les quartiers dans une nuit permanente. La peur, la psychose, les rumeurs et les couvre-feux dictent désormais le rythme du quotidien. L’État recule, la société se délite, et le peuple endure en silence.
… pendant ce temps encore, les promesses de la junte s’égrènent comme des prières sans foi : la « souveraineté retrouvée », la « refondation nationale », la « stabilité retrouvée ». Mais derrière ces mots creux, il n’y a que vacuité et désordre. Les militaires au pouvoir, faibles sur le plan politique mais d’une brutalité administrative sans égale, répriment la critique plus facilement qu’ils ne réparent une citerne brûlée ou rouvrent un puits de carburant.
Le spectre de l’effondrement
Le spectre de l’effondrement économique plane désormais sur le Mali. L’activité minière à l’arrêt, la paralysie des transports, la hausse vertigineuse des prix, la pénurie énergétique : autant de signaux qui annoncent une crise durable, peut-être irréversible. Et pourtant, les autorités persistent à promettre des lendemains meilleurs, à reporter sans cesse les élections au nom d’une « pacification totale » du pays — une pacification qui n’arrive jamais.
Ce chaos, certains y trouvent peut-être leur compte. Un pays instable justifie le maintien d’un pouvoir militaire. L’insécurité permet de prolonger l’état d’exception. Le désordre devient une stratégie.
L’heure des vérités
Le Mali est aujourd’hui au bord de la rupture. Le pouvoir militaire, en confisquant la légitimité populaire, a rompu le lien de confiance avec la nation. Gouverner, ce n’est pas menacer, ni censurer, ni dissimuler. Gouverner, c’est prévoir, protéger et servir.
Le peuple malien mérite mieux qu’une mise sous tutelle autoritaire. Il mérite un État capable de lui rendre la lumière, le travail, la mobilité et la dignité.
Tant que la junte persistera dans le mensonge et la peur, le pays s’enlisera. Et pendant ce temps, au-delà des frontières, le monde regarde — impuissant, mais lucide — l’un des berceaux de la culture africaine s’éteindre dans l’obscurité.
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