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La déchéance de nationalité en Algérie : entre souveraineté nationale et enjeux juridiques contemporains

Le projet de loi récemment inscrit à l’agenda de l’Assemblée populaire nationale (APN), visant à retirer la nationalité algérienne aux ressortissants établis à l’étranger ayant commis des actes portant gravement atteinte aux intérêts de l’État ou manifestant une allégeance à une puissance étrangère ennemie, constitue un tournant symbolique dans la consolidation de la souveraineté algérienne. Cet article analyse les fondements juridiques, politiques et géopolitiques de cette initiative, en la replaçant dans la trajectoire historique de la construction de l’État-nation algérien et dans le contexte contemporain des guerres informationnelles transnationales.

L’Algérie, en tant qu’État postcolonial issu d’une guerre de libération nationale, a toujours entretenu un rapport singulier à la souveraineté, conçue à la fois comme un héritage sacré et un instrument de légitimité politique. L’annonce d’un projet de loi autorisant le retrait de la nationalité algérienne à ceux qui, depuis l’étranger, porteraient atteinte aux intérêts vitaux du pays, s’inscrit dans cette continuité symbolique.

Ce texte intervient dans un contexte marqué par une intensification des campagnes médiatiques et numériques contre l’État algérien, souvent attribuées à des réseaux opérant depuis l’étranger et perçues par les autorités comme une forme de guerre hybride visant à affaiblir la cohésion nationale. Le présent article se propose d’analyser ce projet de loi à travers trois angles complémentaires : le fondement juridique, la portée politique et symbolique, et les implications diplomatiques et sociétales.

1. Fondements juridiques et cadre normatif

1.1. Le droit à la nationalité et ses limites

La nationalité constitue un lien juridique fondamental entre l’individu et l’État, conférant droits et devoirs réciproques. En droit algérien, elle est régie principalement par le Code de la nationalité algérienne (ordonnance n° 70-86 du 15 décembre 1970), qui prévoit déjà des mécanismes de perte ou de déchéance dans certains cas exceptionnels, notamment pour des actes contraires aux intérêts nationaux.

Cependant, le projet actuel introduit une extension significative : il vise les citoyens résidant à l’étranger et engage une logique de sanction politique pour des comportements perçus comme hostiles à la patrie. La nouveauté réside dans la transnationalisation de la responsabilité citoyenne, où la loyauté à l’État s’évalue désormais au-delà du territoire national.

1.2. Compatibilité avec le droit international

La déchéance de nationalité est encadrée par plusieurs conventions internationales, dont la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie et la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 15). Si l’État conserve la souveraineté de définir les conditions de perte de nationalité, il doit garantir que cette mesure ne crée pas de situation d’apatridie et respecte les principes du procès équitable et de la proportionnalité.

En ce sens, la mise en œuvre du projet de loi exigera des garanties procédurales claires : définition précise des actes constitutifs de trahison, droit à la défense, voies de recours, et contrôle juridictionnel indépendant.

2. Une réponse politique aux menaces hybrides

2.1. Les nouvelles formes de subversion transnationale

Depuis plusieurs années, les autorités algériennes dénoncent des campagnes de désinformation, de cyberattaque et de propagande orchestrées depuis l’étranger. Ces opérations, menées par des individus ou des réseaux médiatiques, visent selon elles à saper la légitimité de l’État et à alimenter des fractures identitaires ou régionales.

Le recours au concept de « trahison depuis l’étranger » traduit la perception d’un nouveau champ de bataille immatériel, où l’information devient un instrument d’ingérence.

2.2. Souveraineté numérique et légitimité politique

La mesure proposée s’inscrit dans une reconfiguration du concept de souveraineté, désormais étendue à la sphère numérique. En retirant la nationalité aux individus accusés de collusion avec des puissances étrangères, l’État affirme son droit à se défendre contre la guerre cognitive.

Cependant, cette démarche soulève un débat démocratique : jusqu’où la défense de la souveraineté peut-elle aller sans menacer la liberté d’expression et le pluralisme politique ?

3. Signification symbolique et enjeux sociétaux

3.1. La fidélité nationale comme valeur fondatrice

Dans l’imaginaire collectif algérien, hérité de la guerre de libération, la fidélité à la patrie occupe une place centrale. La trahison y est perçue non seulement comme un crime politique, mais aussi comme une atteinte morale à la mémoire des martyrs.

Ainsi, ce projet de loi revêt une portée symbolique : il réaffirme le caractère sacré et exclusif de l’appartenance nationale, à un moment où les fractures de la diaspora et les influences étrangères reconfigurent la relation entre l’État et ses citoyens à l’étranger.

3.2. Entre cohésion nationale et exclusion politique

Sur le plan sociologique, cette initiative pourrait renforcer la cohésion nationale autour d’un discours de défense, mais aussi accentuer la marginalisation des voix dissidentes.

L’équilibre entre sécurité nationale et inclusion politique constitue donc le principal défi de ce texte. S’il est perçu comme un outil de protection, il renforcera la légitimité de l’État ; s’il est utilisé de manière sélective, il pourrait au contraire nourrir un sentiment d’injustice.

Conclusion

La proposition de loi sur la déchéance de nationalité marque une étape dans la redéfinition de la citoyenneté en Algérie à l’ère des menaces hybrides et de la globalisation numérique. Elle traduit la volonté des autorités de défendre la souveraineté nationale contre les nouvelles formes de subversion informationnelle.

Toutefois, son efficacité et sa légitimité dépendront de la clarté de son cadre juridique et du respect des garanties fondamentales du droit.

L’enjeu n’est pas seulement de protéger l’État, mais aussi de préserver la cohésion d’une nation dont la force historique réside dans la fidélité, mais aussi dans la justice.

Par Belgacem Merbah



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