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Mohammed V et la guerre d’Algérie : entre neutralité diplomatique et instrumentalisation

La guerre de libération algérienne (1954-1962) fut un moment décisif non seulement pour l’histoire du peuple algérien, mais également pour l’équilibre géopolitique du Maghreb. Dans ce contexte, la position du Maroc, fraîchement indépendant en 1956, fut l’objet de controverses persistantes. Si la mémoire officielle marocaine tend à présenter le roi Mohammed V comme un allié du combat algérien, une analyse attentive de ses discours et de ses choix diplomatiques révèle une réalité plus nuancée : loin d’un soutien sans réserve, Mohammed V instrumentalisa la cause algérienne afin de négocier avec la France des avantages politiques et territoriaux pour son propre pays.


Un discours révélateur : la colonisation réduite à un « conflit »

Le discours prononcé par Mohammed V à l’Organisation des Nations Unies, où il qualifia la colonisation française en Algérie de simple « conflit », illustre clairement cette ambivalence. Employer le terme de « conflit » revient à placer sur un même pied d’égalité le colonisateur français et le peuple algérien en lutte pour sa libération. Une telle formulation atténue la nature violente, oppressive et illégitime du colonialisme, et réduit la guerre de libération à une querelle bilatérale.

Cette approche contraste fortement avec la perception algérienne de l’époque, qui considérait la lutte armée comme une guerre nationale et révolutionnaire, inscrite dans un processus historique de décolonisation. En évitant de qualifier la colonisation pour ce qu’elle était — une domination violente imposée par la force —, Mohammed V ménageait implicitement la France, tout en maintenant une posture de neutralité utile à ses propres intérêts.

Une diplomatie calculée : entre prudence et opportunisme

Le Maroc, à peine libéré du protectorat français, se trouvait dans une position délicate : d’un côté, il partageait avec l’Algérie un destin commun de peuples maghrébins sous domination coloniale ; de l’autre, il dépendait encore largement de la France pour consolider son indépendance et asseoir la légitimité de sa monarchie.

Dans ce cadre, Mohammed V adopta une stratégie prudente. Plutôt que de soutenir activement le Front de Libération Nationale (FLN), il utilisa la guerre d’Algérie comme une carte diplomatique. La monarchie marocaine cherchait avant tout à obtenir de la France des concessions sur le plan territorial (notamment dans les régions frontalières) et à s’affirmer comme interlocuteur incontournable dans le dossier maghrébin.

L’instrumentalisation de la cause algérienne

Il apparaît ainsi que le roi marocain considérait la Révolution algérienne moins comme une cause solidaire à défendre que comme un levier dans son propre rapport de force avec Paris. En présentant la colonisation comme un simple différend, il se réservait la possibilité de se poser en médiateur, plutôt qu’en allié engagé. Cette posture permit à Mohammed V de préserver ses relations avec la France tout en se donnant une image internationale de souverain attaché à la décolonisation.

Cependant, pour l’Algérie révolutionnaire, cette attitude représentait une forme de trahison symbolique. Elle effaçait la dimension existentielle du combat algérien et en réduisait la portée, au moment même où les maquisards et la population civile payaient un prix humain colossal.

Conclusion

L’analyse du discours de Mohammed V à l’ONU met en évidence la nature ambivalente de sa position : loin d’un soutien inconditionnel à la cause algérienne, il s’agissait avant tout d’une instrumentalisation diplomatique. En réduisant la colonisation française en Algérie à un « conflit », le souverain marocain dénaturait la réalité coloniale et plaçait la France et le peuple algérien sur un pied d’égalité injustifiable.

Ce choix rhétorique et politique traduit la priorité donnée par Mohammed V à la consolidation des acquis marocains et à la recherche de nouvelles marges de manœuvre face à Paris. Si la mémoire officielle marocaine tente aujourd’hui de réécrire cette histoire, l’analyse critique démontre que la monarchie chérifienne ne fut jamais un véritable allié de la Révolution algérienne, mais plutôt un acteur pragmatique qui sut exploiter la lutte des Algériens au service de ses propres intérêts nationaux.

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