Accéder au contenu principal

Les essais nucléaires français dans le Sahara algérien : un crime continu et un héritage empoisonné

Plus de soixante ans après les faits, le désert algérien demeure le témoin silencieux d’un des crimes coloniaux les plus odieux du XXᵉ siècle. Entre 1960 et 1966, la France coloniale a transformé le sud de l’Algérie en véritable champ d’expérimentation pour ses armes nucléaires, foulant aux pieds le droit international et les principes les plus élémentaires de la dignité humaine. Un crime contre l’humanité qui ne se prescrit pas et dont les conséquences empoisonnées se prolongent jusqu’à nos jours.

Le film documentaire produit par la Direction de l’information et de la communication du ministère algérien de la Défense nationale, intitulé « Les essais et explosions nucléaires français dans le Sahara algérien : l’héritage silencieux et empoisonné », rouvre ce dossier accablant. Avec le témoignage d’historiens, de juristes et de scientifiques, il met en lumière l’ampleur de la catastrophe et l’acharnement d’un programme colonial décidé à faire de l’Algérie un laboratoire mortifère.


Un laboratoire de mort au cœur du désert

Afin de rejoindre le cercle des puissances atomiques, la France coloniale a choisi les régions de Reggane, In Ekker et Oued Namous comme terrain d’essai. Le 13 février 1960, l’explosion du premier engin, baptisé « Gerboise bleue », retentit dans le ciel saharien avec une puissance terrifiante de 70 kilotonnes, soit davantage que l’ensemble des essais nucléaires réalisés par les autres puissances de l’époque. Les détonations s’enchaînèrent : Gerboise blanche en avril 1960, Gerboise rouge en septembre, puis Gerboise verte en avril 1961, avant une série de 35 expériences hautement radioactives jusqu’en 1963. Les matières utilisées, selon les experts, conservent leur nocivité pendant 24 000 ans.

Ces explosions n’étaient pas de simples expériences scientifiques : elles constituaient un acte délibéré d’expérimentation d’armes de destruction massive sur une terre colonisée et une population sans défense. Comme le rappelle l’historien Hassan Magdouri, la France a traité l’Algérie « comme un vaste champ d’essai pour ses politiques économiques, culturelles, sociales et militaires », ignorant sciemment les vies humaines et les écosystèmes.

Un héritage radioactif qui ronge les générations

Ce crime ne s’est pas achevé avec les accords d’Évian. Les régions de Reggane et d’In Ekker demeurent, aujourd’hui encore, gravement contaminées. Le physicien nucléaire Sagour Abdel Salam souligne la persistance de niveaux de radiation alarmants. Les sols, les nappes phréatiques et l’air ont été empoisonnés, provoquant des maladies graves : cancers, malformations congénitales, stérilité, troubles génétiques, comme le constate le docteur Chafi Belkacem, membre de la commission nationale de lutte contre les maladies liées aux armes nucléaires.

Le désastre a même franchi les frontières : selon les études citées par le documentaire, 26 pays africains ont subi, à divers degrés, les retombées radioactives des essais de Reggane, faisant de cette tragédie un crime transcontinental.

Déni français et silence obstiné

Malgré l’évidence scientifique et historique, la France persiste à nier sa responsabilité. Elle refuse toujours de communiquer les cartes précises et les données techniques sur les sites d’enfouissement des déchets radioactifs, bloquant ainsi les efforts de l’Algérie pour assainir les zones contaminées et protéger les habitants. L’avocate Fatma-Zohra Benbraham le déclare sans détour : « Ces essais sont un crime continu contre l’humanité, dont les éléments constitutifs sont indéniables. L’Algérie poursuivra sa bataille juridique jusqu’à l’ONU. »


Devoir de mémoire et exigence de justice

Face à cette obstination, le devoir de mémoire s’impose. L’Algérie doit continuer à porter cette cause devant les instances internationales, exiger l’ouverture complète des archives et la décontamination des sites, et réclamer des réparations pour les victimes.

Les essais nucléaires de Reggane et d’In Ekker ne sont pas un simple épisode du passé colonial : ils constituent une tache indélébile sur l’histoire de la France contemporaine. Tant que Paris n’assumera pas ses obligations juridiques et morales, ce crime restera une plaie ouverte, rappelant que les atrocités du colonialisme ne s’effacent ni par le temps ni par le silence.

Ainsi, le Sahara algérien, que la France voulait transformer en laboratoire de mort, demeure aujourd’hui un symbole de résistance et de mémoire. Les crimes contre l’humanité ne s’oublient pas et ne se pardonnent jamais.


Par Belgacem Merbah



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La CIA déclassifie un document qui permet de comprendre les véritables motivations du Maroc dans la guerre des sables de 1963

Le 23 août 1957, un document confidentiel de la CIA a été rédigé, dévoilant des éléments cruciaux sur la politique française vis-à-vis de l’Algérie, alors en pleine guerre d’indépendance. Récemment déclassifié, ce document éclaire d’un jour nouveau les intentions de la France concernant les zones pétrolifères sahariennes et ses stratégies post-indépendance. À travers des manœuvres diplomatiques, économiques et géopolitiques, Paris cherchait à préserver son contrôle sur cette région stratégique. Un Sahara Algérien Indispensable à la France Selon ce document, la France considérait le Sahara algérien comme un territoire d’une importance capitale, non seulement pour ses ressources pétrolières et gazières, mais aussi pour son positionnement stratégique en Afrique du Nord. Dans cette optique, Paris envisageait de maintenir coûte que coûte sa mainmise sur la région, en la dissociant administrativement du reste de l’Algérie. Cette politique s’est concrétisée en 1957 par la création de deux dép...

Supériorité des F-16 marocains sur les Su-30 algériens : Un déséquilibre stratégique inquiétant ?

Le rapport de force militaire entre le Maroc et l’Algérie constitue un enjeu stratégique majeur en Afrique du Nord. Depuis des décennies, les deux nations s’engagent dans une course à l’armement, mettant un accent particulier sur la modernisation de leurs forces aériennes. Cependant, une nouvelle dynamique semble se dessiner avec la montée en puissance de l’aviation marocaine, renforcée par l’acquisition des F-16V Block 70 , livrés en 2023, et des missiles AIM-120C/D . Pendant ce temps, l’Algérie peine à moderniser sa flotte de Su-30MKA, toujours limitée par l’absence de missiles longue portée de dernière génération , ce qui pourrait progressivement redéfinir l’équilibre aérien dans la région. Cette asymétrie soulève plusieurs préoccupations : Le Maroc pourrait exploiter cet avantage pour adopter une posture plus agressive , comme ce fut le cas par le passé. L'Algérie se retrouve exposée à une éventuelle suprématie aérienne marocaine , en particulier dans un scénario de conflit. Le...

Le Mythe du Soutien Marocain à la Révolution Algérienne : Une Histoire de Calculs et d’Opportunisme

L’histoire des relations entre le Maroc et la Révolution algérienne est souvent déformée par une propagande soigneusement entretenue par le régime marocain. Cette version des faits présente Mohamed V comme un allié indéfectible du peuple algérien dans sa lutte pour l’indépendance. Pourtant, une analyse minutieuse des événements démontre que ce soutien n’était ni désintéressé, ni motivé par une réelle solidarité. Il s’agissait avant tout d’un levier diplomatique visant à consolider le pouvoir du souverain marocain et à servir les ambitions territoriales du royaume chérifien. Un Soutien Dicté par des Intérêts Stratégiques Lorsque la Guerre d’Algérie éclate en 1954, le Maroc, fraîchement indépendant depuis 1956, se trouve dans une position délicate. Mohamed V cherche à asseoir son autorité dans un pays encore fragile, marqué par des tensions internes et des incertitudes quant à son avenir politique. Dans ce contexte, le soutien à la lutte algérienne contre la France devient un outil de né...