La rupture des relations algéro-marocaines : une stratégie de rééquilibrage géoéconomique au profit d’Alger
La rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc, annoncée officiellement en août 2021, a marqué un tournant majeur dans l’histoire des relations bilatérales entre les deux puissances maghrébines. Loin de constituer une réaction émotionnelle, cette décision s’inscrit dans une logique de réajustement stratégique de la part de l’Algérie, visant à réaffirmer sa souveraineté régionale et à contenir l’expansionnisme marocain, notamment en Afrique et dans le dossier du Sahara occidental. Cet article propose une analyse des répercussions économiques et énergétiques de cette rupture, en particulier à travers la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe (GME), qui a eu des conséquences directes sur la compétitivité économique du Maroc.
1. Une rupture politique aux fondements profonds
L’Algérie a justifié la rupture de ses relations avec le Maroc par une série de provocations diplomatiques, d’ingérences présumées dans ses affaires intérieures et de menaces sécuritaires, notamment via des réseaux cybernétiques, médiatiques et séparatistes soutenus, selon Alger, par Rabat et ses alliés. Cette décision s’est inscrite dans une volonté de rompre avec une logique de compromission unilatérale dans laquelle l’Algérie se retrouvait systématiquement en position défensive face à une politique marocaine jugée agressive et expansionniste.
2. Le levier énergétique : une arme géoéconomique silencieuse
Le 31 octobre 2021, l’Algérie annonce officiellement la non-reconduction du contrat du gazoduc Maghreb-Europe, qui transportait du gaz algérien vers l’Espagne via le Maroc. Cette décision, souvent interprétée comme une sanction diplomatique, a constitué en réalité un levier géoéconomique d’une redoutable efficacité.
- Pertes marocaines directes : Rabat bénéficiait du passage du gazoduc à hauteur de 800 millions de m³ de gaz par an, sous forme de droits de transit. Cette manne énergétique gratuite ou à prix symbolique permettait d’alimenter plusieurs centrales thermiques et de renforcer la sécurité énergétique nationale.
- Hausse des coûts de l’énergie : Privé de ce gaz à prix préférentiel, le Maroc a dû recourir à l’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) sur le marché international, à des prix bien plus élevés, notamment dans un contexte de crise énergétique mondiale post-Covid et de guerre en Ukraine.
3. Impact sur la compétitivité de l’économie marocaine
Le renchérissement du coût de l’énergie a eu un effet en cascade sur l’économie marocaine, dont les secteurs manufacturiers, agricoles et industriels sont fortement dépendants de l’approvisionnement énergétique.
- Réduction de la compétitivité industrielle : Les coûts de production ont augmenté, affectant la capacité du Maroc à maintenir sa position dans les chaînes de valeur internationales, en particulier dans les secteurs du textile, de l’agroalimentaire et de l’automobile.
- Tensions sociales internes : L’augmentation des prix de l’électricité et du gaz a aussi nourri un mécontentement social croissant, à l’heure où les inégalités sociales et les disparités régionales restent marquées dans le royaume.
- Affaiblissement du « modèle marocain » : Présenté comme un modèle de stabilité et de croissance, le Maroc a vu sa façade de réussite mise à mal par les limites structurelles révélées par cette crise énergétique. La dépendance aux approvisionnements extérieurs, l’absence de souveraineté énergétique et le coût social de la libéralisation économique ont été exposés au grand jour.
4. Une affirmation de la souveraineté algérienne
Pour l’Algérie, cette rupture a permis d’opérer un recentrage stratégique et d’asseoir sa souveraineté énergétique et diplomatique. En rompant un lien devenu structurellement déséquilibré, Alger a affirmé son refus de subir une dynamique hostile à ses intérêts fondamentaux.
- Diversification des débouchés énergétiques : L’Algérie a redirigé ses exportations de gaz via le gazoduc Medgaz (directement vers l’Espagne) et par la voie maritime, renforçant ainsi son autonomie logistique.
- Capitalisation diplomatique : Sur la scène africaine, cette posture a été perçue comme un signal de fermeté et de cohérence, renforçant l’image d’un État algérien capable de défendre ses lignes rouges sans céder aux pressions.
Conclusion
La rupture des relations algéro-marocaines a redessiné le paysage géopolitique du Maghreb. Loin d’être une faiblesse, cette décision a constitué pour l’Algérie un acte de souveraineté assumé, doublé d’un calcul géoéconomique lucide. En utilisant le levier énergétique de manière ciblée, Alger a réussi à affaiblir son rival régional, en rendant plus vulnérable son économie à moyen terme. Cette dynamique offre désormais à l’Algérie une position de force qu’il convient de consolider par une stratégie régionale cohérente, articulant puissance énergétique, présence diplomatique et solidarité panafricaine.
Par Belgacem Merbah
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