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La mine de Gara Djebilet : vecteur stratégique de transformation économique en Algérie

L’exploitation de la mine de Gara Djebilet, l’un des plus vastes gisements de fer au monde, marque une étape décisive dans la stratégie de diversification économique de l’Algérie. À l’horizon de la mise en production à plein régime, et dans l’hypothèse où les infrastructures ferroviaires de liaison avec le nord du pays seront opérationnelles d’ici 2027, l’impact macroéconomique et géostratégique de ce projet pourrait être majeur. Le présent article propose une analyse prospective des effets attendus de cette exploitation sur le produit intérieur brut (PIB), l’industrialisation, l’emploi régional, l’attractivité industrielle, et le positionnement géoéconomique de l’Algérie.

1. Introduction : un projet minier aux dimensions nationales et stratégiques

La mine de Gara Djebilet, située dans la wilaya de Tindouf à l’extrême sud-ouest de l’Algérie, recèle plus de 3,5 milliards de tonnes de minerai de fer, ce qui en fait l’un des gisements les plus importants à l’échelle mondiale. Longtemps restée inexploitable en raison de l’absence d’infrastructures de transport et des contraintes technologiques liées à la teneur élevée en phosphore du minerai, cette ressource fait désormais l’objet d’un programme de valorisation ambitieux, dans le cadre d’un partenariat stratégique sino-algérien.

L’horizon de réalisation des infrastructures ferroviaires nécessaires, notamment la ligne reliant Gara Djebilet à Béchar, puis aux ports du nord (Oran et Arzew), est fixé à 2027 au plus tard. Cette échéance permettra, pour la première fois, l’exploitation industrielle et l’exportation à grande échelle du minerai.

2. Une contribution potentielle significative au PIB algérien

Les projections officielles estiment que la production de la mine atteindra 40 à 50 millions de tonnes de minerai par an en régime de croisière. En se fondant sur un prix moyen du fer de 90 USD/tonne, les recettes brutes annuelles issues de la vente du minerai pourraient s’établir entre 3,6 et 4,5 milliards USD. En intégrant la transformation locale du minerai par l’industrie sidérurgique nationale (notamment via les complexes de Bellara ou d’El Hadjar), la valeur ajoutée potentielle pourrait s’élever à 5 à 6 milliards USD par an, soit une contribution de l’ordre de 1,9 à 2,3 % du PIB algérien, sur la base d’un PIB estimé à 263 milliards USD en 2024 (données du FMI).

Cette performance positionnerait le secteur minier comme deuxième pilier d’exportation après les hydrocarbures, contribuant directement à la politique de diversification engagée par l’État.

3. Industrialisation, substitution aux importations et attractivité industrielle

L’exploitation de Gara Djebilet représente une opportunité stratégique pour le développement d’une filière sidérurgique intégrée, réduisant la dépendance aux importations de fer et d’acier qui s’élèvent actuellement à plus de 2 milliards USD par an.

Au-delà de la substitution, ce projet renforcera l’attractivité de l’Algérie pour les investisseurs étrangers, notamment dans les secteurs utilisateurs d’acier tels que :
  • l’industrie automobile, qui bénéficie déjà d’un regain d’intérêt gouvernemental et industriel ;
  • la construction métallique, indispensable à l’expansion des infrastructures nationales ;
  • la fabrication d’équipements électromécaniques, de machines-outils, et de composants industriels ;
  • la construction navale et ferroviaire, à l’heure où l’Algérie vise à relancer ces filières.

Un approvisionnement local en acier de qualité constitue un facteur décisif pour réduire les coûts de production, stabiliser les chaînes d’approvisionnement, et encourager l’implantation de filiales industrielles en Algérie. Ce levier pourrait renforcer la position du pays comme plateforme régionale de production et de transformation.

4. Infrastructures et logistique : la clé ferroviaire

Le facteur décisif pour la viabilité économique du projet reste la mise en service de la ligne ferroviaire stratégique Gara Djebilet – Béchar – Oran, dont l’achèvement est prévu dans un délai de deux ans. Cette infrastructure, d’une longueur estimée à plus de 1 000 km, permettra :
  • l’évacuation rapide et à moindre coût du minerai vers les installations portuaires ;
  • l’alimentation régulière des sites de transformation du nord ;
  • et la connexion au réseau logistique africain, en perspective d’un rôle régional accru.

La réduction des coûts logistiques est estimée à plus de 50 % par rapport aux solutions routières actuelles, ce qui renforcera considérablement la compétitivité du minerai algérien à l’export.

5. Effets territoriaux et emploi

Le développement de la mine entraînera la création de près de 15 000 emplois directs et indirects, selon les estimations du ministère de l’Énergie et des Mines. Cette dynamique favorisera le désenclavement économique du sud-ouest algérien, contribuant à une meilleure intégration territoriale et à une redistribution des opportunités économiques en dehors de la bande littorale.

6. Positionnement régional et géoéconomique

À terme, l’Algérie pourrait se hisser parmi les trois premiers producteurs de minerai de fer en Afrique, aux côtés de l’Afrique du Sud et de la Mauritanie. Ce positionnement renforcera son poids dans les chaînes de valeur africaines et euro-méditerranéennes, et pourrait favoriser l’émergence d’une stratégie minière continentale dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF).

7. Défis à anticiper et réponses technologiques

Parmi les défis techniques majeurs figure la teneur élevée en phosphore du minerai, qui le rend difficilement utilisable dans la sidérurgie classique sans traitement spécifique. Toutefois, ce frein est en voie d’être levé :

Le partenaire chinois de l’Algérie, impliqué dans le projet, dispose de la technologie de désphosphoration nécessaire pour adapter le minerai aux standards industriels internationaux.

Cela réduit considérablement les risques liés à la qualité du minerai. En revanche, deux autres conditions de réussite demeurent :
  • Environnementale : assurer une exploitation durable respectant les écosystèmes désertiques.
  • Institutionnelle : garantir une gouvernance transparente et efficiente des ressources minières, évitant les mécanismes de rente et les déperditions fiscales.

Conclusion

La mine de Gara Djebilet ne constitue pas uniquement un projet extractif : elle représente un levier structurant pour la souveraineté économique de l’Algérie, tant par sa contribution directe au PIB que par son rôle d’entraînement sur les chaînes industrielles. En assurant la maîtrise des contraintes logistiques et technologiques, notamment grâce à l’expertise chinoise, ce projet pourrait repositionner l’Algérie comme un acteur stratégique de l’industrie sidérurgique régionale, tout en renforçant son attractivité pour les investisseurs dans des secteurs-clés comme l’automobile, la construction et l’ingénierie lourde. Il s’agit d’un test majeur de la capacité de l’Algérie à conduire une transition économique fondée sur la valorisation intelligente de ses ressources nationales.



Par Belgacem Merbah



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