Il est une constante dans les conflits du Moyen-Orient depuis les années 2000 : la guerre n’est pas toujours décidée par ceux qui la financent, mais elle est souvent payée par les mêmes. Depuis la guerre contre le régime de Mouammar Kadhafi en Libye en 2011 jusqu’aux tensions actuelles avec l’Iran, plusieurs puissances du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, semblent jouer un rôle de bailleurs de fonds pour des guerres menées par d’autres – généralement les États-Unis ou leurs alliés.
Le précédent libyen : une guerre sous-traitée à l’OTAN, financée par le Golfe
En 2011, la campagne militaire contre Kadhafi menée sous mandat de l’ONU et sous commandement de l’OTAN fut en grande partie soutenue financièrement par certaines monarchies du Golfe. Le Qatar joua un rôle actif sur le terrain en soutenant les groupes rebelles, tandis que les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite contribuèrent discrètement aux efforts diplomatiques et logistiques. Si la guerre fut présentée comme une réponse humanitaire à la répression du régime, elle servait également des intérêts géopolitiques : affaiblir un leader non-aligné, redistribuer les cartes du pouvoir régional, et sécuriser les accès énergétiques. Le financement par les pays du Golfe n’était donc pas seulement un geste de solidarité, mais un investissement stratégique dans une reconfiguration régionale à leur avantage.
Trump, l’Iran et les milliards saoudiens : un pacte implicite ?
En 2017, peu après l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, l’Arabie saoudite signait avec les États-Unis des contrats d’armement et de coopération économique d’un montant annoncé à plus de 400 milliards de dollars. Cet accord, présenté comme un partenariat bilatéral renforcé, allait bien au-delà de simples ventes d’armes. Il scellait un alignement stratégique sur plusieurs fronts : lutte contre l’Iran, containment du chiisme politique, et soutien à Israël dans un contexte de normalisation régionale rampante.
Mais ce n’était qu’un avant-goût. Lors de sa dernière tournée dans le Golfe en 2025, alors qu’il était en pleine reconquête politique et dans une dynamique de retour à la présidence, Trump aurait obtenu des engagements contractuels colossaux de la part des monarchies du Golfe, estimés entre 3 500 et 4 000 milliards de dollars. Ces montants astronomiques – mêlant contrats d’armement, investissements croisés, programmes énergétiques et projets d’infrastructure – traduisent un pacte implicite : en échange du soutien militaire, diplomatique et technologique des États-Unis (et indirectement d’Israël), les monarchies du Golfe s’engagent à financer l’architecture sécuritaire voulue par Washington.
Dans ce cadre, Israël semble jouer le rôle d’exécutant régional, menant des opérations ciblées en Syrie, en Irak ou même en Iran, tandis que les États-Unis assurent la couverture diplomatique et stratégique. Mais ce sont les monarchies du Golfe, principalement Riyad et Abou Dhabi, qui assument en silence les coûts de cette confrontation indirecte.
Une constante géopolitique : l’argent du Golfe, le feu d’ailleurs
Cette configuration n’est pas sans rappeler un schéma déjà observé dans d’autres contextes : le financement par le Golfe de groupes armés en Syrie, le soutien logistique aux interventions occidentales, ou encore l’engagement militaire direct au Yémen dans une guerre longue et coûteuse. Les monarchies du Golfe, riches mais militairement limitées, préfèrent souvent sous-traiter la violence à des puissances mieux dotées technologiquement, quitte à en assumer les frais.
Cette stratégie s’explique par une logique de préservation du pouvoir interne : en déléguant la guerre, elles évitent les pertes humaines, les critiques internes, et renforcent leurs alliances avec les grandes puissances occidentales. En retour, elles s’assurent un droit de regard sur l’évolution de l’ordre régional, notamment face à l’Iran, perçu comme une menace existentielle pour leur hégémonie.
Une question de souveraineté masquée
Ce modèle soulève cependant de sérieuses questions sur la souveraineté des décisions stratégiques dans la région. Lorsqu’un État paye pour une guerre menée par un autre, peut-il réellement en contrôler les conséquences ? Les interventions en Libye ou en Syrie ont montré que financer une guerre ne garantit ni sa victoire ni ses retombées politiques favorables. Au contraire, elles ont souvent ouvert des cycles d’instabilité incontrôlables, que même les sponsors régionaux n’ont pu juguler.
Dans le cas de l’Iran, la logique est encore plus risquée. Une confrontation directe ou prolongée pourrait déclencher des représailles sur le sol des pays du Golfe eux-mêmes, qu’aucun parapluie américain ne pourra totalement prévenir.
Conclusion : la guerre sous contrat, un pari coûteux
Les monarchies du Golfe semblent avoir adopté un rôle bien particulier dans l’architecture géopolitique du Moyen-Orient contemporain : celui du banquier silencieux de guerres lointaines mais stratégiques. Ce rôle leur donne une certaine influence, mais les expose aussi à des conséquences qu’elles ne contrôlent pas. Entre soutien à Israël, dépendance militaire aux États-Unis et hostilité à l’Iran, leur position devient de plus en plus ambivalente – à la fois influente et vulnérable.
La guerre ne se mène plus seulement avec des armées, mais avec des chèques. Et dans cette nouvelle logique de conflit, les pétrodollars du Golfe jouent un rôle aussi central que les missiles de Tel-Aviv ou les drones de Washington.
Par Belgacem Merbah
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