Mali : le départ des mercenaires de Wagner, entre incertitudes, propagande et recomposition de la présence russe — quel avenir pour la lutte contre le terrorisme au Sahel ?
Le flou persiste autour de la présence et du départ des mercenaires russes du groupe Wagner au Mali. Dans les cercles officiels de la capitale malienne, aucune des sources contactées ne confirme ni n’infirme formellement l’annonce de ce retrait. Une prudence qui illustre bien la ligne de communication adoptée par la junte militaire : elle n’a jamais reconnu officiellement l’arrivée de mercenaires sur son sol, préférant utiliser le terme plus diplomatique d’« instructeurs russes ».
Pourtant, côté russe, les signaux sont plus explicites. Dans une vidéo de propagande largement relayée par les canaux proches du Kremlin, Wagner annonce : « Nous avons rempli notre mission. Nous rentrons à la maison. » Une communication offensive qui cherche à valoriser le bilan de ces trois années de présence, entamées en 2021 après le retrait contraint de l’opération française Barkhane, poussée dehors par la junte malienne.
Se revendiquant « armée privée la plus efficace au monde », Wagner se targue d’avoir tué « des milliers de terroristes » et « éliminé les chefs des militants » en leur portant « le coup de grâce ». Le groupe va même jusqu’à affirmer qu’il a suppléé l’inefficacité des forces occidentales accusées de « n’avoir pas combattu le terrorisme » et d’avoir « méthodiquement pillé les richesses nationales du pays ».
Mais ces déclarations contrastent fortement avec la réalité du terrain.
Une insécurité persistante malgré les opérations
Début juin, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda, a revendiqué le massacre d’une centaine de soldats maliens dans le centre du pays. Des bilans corroborés par plusieurs sources locales consultées par RFI, qui évoquent un « nombre de morts intolérable ». Ce drame souligne l’incapacité des forces maliennes, appuyées par Wagner, à endiguer durablement la violence djihadiste.
De surcroît, selon les données compilées par l’ONG Acled, plus de 2 700 civils auraient été tués lors d’opérations impliquant Wagner au Mali. Ces chiffres renforcent les accusations récurrentes d’exactions, massacres et violations des droits de l’homme formulées par plusieurs organisations internationales.
Une présence économique controversée
Les contradictions ne s’arrêtent pas là. Alors que Wagner dénonce le pillage occidental, le groupe a lui-même établi des positions solides dans plusieurs mines d’or artisanales du pays, s’assurant des revenus conséquents en contrepartie de ses services militaires. Une posture qui alimente les critiques selon lesquelles Wagner, loin d’être un simple allié militaire, agit également comme un acteur économique opaque au service de ses propres intérêts — et de ceux de Moscou.
Un tournant stratégique : l’arrivée d’Africa Corps
Avec ce retrait annoncé, une nouvelle phase s’ouvre. Wagner sera remplacé par Africa Corps, une structure paramilitaire russe mieux intégrée à l’appareil d’État, sous le contrôle direct du ministère russe de la Défense. Ce changement stratégique témoigne de la volonté du Kremlin de reprendre en main ses opérations extérieures après la mort d’Evgueni Prigojine en juillet 2023, et de mettre fin à la semi-autonomie qui caractérisait les missions de Wagner.
Pour la junte malienne, ce passage de témoin pourrait représenter une opportunité diplomatique : il permettra peut-être de renforcer le partenariat avec Moscou tout en cherchant à limiter les excès qui ont terni l’image de la coopération russo-malienne.
Une dépendance risquée
Cependant, cette recomposition ne résout pas les défis fondamentaux. Malgré trois ans de présence de Wagner, la situation sécuritaire reste très dégradée dans de vastes zones du territoire. Par ailleurs, l’intensification de la dépendance du régime malien à l’égard de Moscou accroît les risques politiques et économiques pour le pays, surtout dans un contexte international tendu.
Quelles perspectives pour la lutte antiterroriste au Sahel ?
Le départ de Wagner et l’arrivée d’Africa Corps interviennent dans un moment charnière pour le Mali et plus largement pour l’espace AES (Alliance des États du Sahel), qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Face à une communauté internationale de plus en plus distante, les juntes au pouvoir dans ces trois pays misent sur un renforcement de leur coopération régionale et sur de nouveaux partenariats, en particulier avec la Russie.
Mais sur le terrain, la dynamique djihadiste reste inquiétante :
- le JNIM (Al-Qaïda) et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) maintiennent une capacité de nuisance importante,
- les attaques contre les forces de sécurité se multiplient,
- les populations civiles continuent de payer un lourd tribut.
Le retrait des forces de l’ONU (MINUSMA au Mali), l’effacement de la présence française et le manque de coordination régionale aggravent encore la situation.
Si Africa Corps adopte une approche plus professionnelle et mieux contrôlée que Wagner, rien ne garantit pour l’instant un renversement de tendance :
- la réappropriation du contrôle territorial par les États reste lacunaire,
- les capacités des armées nationales demeurent limitées,
- et l’appui de forces étrangères, même renforcé, ne saurait suffire à lui seul à gagner la bataille contre des groupes enracinés dans le tissu social.
Une région à la croisée des chemins
Dans l’espace AES, l’année à venir sera décisive. Trois scénarios sont envisageables :
- Renforcement des régimes militaires, soutenus par la Russie, mais au prix d’une dépendance accrue et d’une militarisation de la vie politique.
- Enlisement du conflit : les groupes terroristes profiteraient de la faiblesse des institutions et de la rupture avec l’Occident pour étendre leur emprise.
- Nouvelle dynamique régionale : si l’AES parvient à structurer une véritable coordination militaire et à associer les populations à l’effort de stabilisation, une amélioration graduelle de la situation sécuritaire pourrait être envisageable.
Le départ de Wagner ne constitue donc pas une fin en soi. Il marque au contraire le début d’une phase nouvelle, où l’avenir du Sahel dépendra autant de la capacité des États à se réformer que de la qualité et de l’éthique de leurs partenaires étrangers.
Le défi est immense. L’histoire récente a montré que les interventions extérieures, lorsqu’elles sont mal conçues ou motivées par des intérêts opaques, peuvent aggraver les crises qu’elles prétendent résoudre. La Russie, en repositionnant son dispositif en Afrique, devra en tenir compte si elle souhaite éviter de répéter les erreurs commises par ses prédécesseurs.
Par Belgacem Merbah
Commentaires
Enregistrer un commentaire