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Face à l’ingénierie du faux Maghreb : les Algériens en France doivent se réveiller

Dans une ville moyenne de province, dont les quartiers populaires résonnent depuis quatre décennies des voix, des luttes et des récits algériens, une scène, passée presque inaperçue, a pourtant révélé une guerre silencieuse et profonde. Lors de la traditionnelle cérémonie municipale de remerciement aux associations locales, le maire — jadis coutumier du respect envers les figures algériennes historiques — est arrivé, sourire aux lèvres… flanqué du consul marocain. Sous les yeux stupéfaits des anciens piliers associatifs algériens, ce sont les représentants marocains, arrivés en nombre à peine cinq ans plus tôt, qui furent mis à l’honneur.

Ce n’était ni une maladresse, ni une coïncidence. C’était un message. Une tentative de déplacer le centre de gravité communautaire. Une opération de réécriture de l’histoire locale, entreprise sous pavillon marocain.

Cette scène n’est qu’un symptôme. Ce qui se déroule aujourd’hui en France relève d’une ingénierie sociopolitique redoutablement efficace. Un projet conçu pour ériger le Maroc en « référent maghrébin principal », au détriment, et avec effacement méthodique, de la voix algérienne.




La stratégie du cheval de Troie marocain

Dans plusieurs villes clés — Marseille, Toulouse, Lyon — où les Algériens étaient jusqu’ici majoritaires, la montée en puissance marocaine ne se limite pas à un simple phénomène démographique. Elle relève d’une stratégie de cooptation intégrale des relais symboliques : mosquées, sport, culture, médias.

Ainsi, les mosquées dites « libres », construites à force de sacrifices par nos compatriotes, voient aujourd’hui les cadres marocains y imposer leurs réseaux, leurs imams, leur vision. Dans le monde du football, même logique. Le Vieux-Port et le Vélodrome, autrefois vibrants aux couleurs et aux chants de l’Algérie, se transforment. La direction marseillaise est désormais influencée par d’anciens joueurs marocains politisés, pendant que les footballeurs algériens — de Youcef Atal à d’autres — subissent des campagnes hostiles, appuyées en coulisses par certains réseaux communautaires solidaires d’intérêts contraires à ceux de l’Algérie.

Mais c’est dans les sphères culturelles et médiatiques que l’opération se révèle la plus pernicieuse. Aujourd’hui, pour exister dans le paysage culturel français, un Algérien doit « passer par le sas » : le Jamel Comedy Club, les maisons de production parisiennes, les circuits de validation dont les portes sont largement tenues par les relais marocains ou leurs alliés. Là, l’Algérien ne peut émerger qu’à condition d’être « adoubé », domestiqué. Il devient un produit neutralisé, filtré, mis en scène pour vanter une prétendue « fraternité maghrébine » redessinée à Rabat. Fraternité à géométrie variable, bien sûr : il ne sera plus question d’évoquer le colonialisme, la guerre de libération, ou la cause saharienne. À la place : sourire obligatoire, discours lisse, nostalgie touristique d’un Maghreb aseptisé.


Du patriotisme algérien au narratif imposé

Ce que construit cette ingénierie, ce n’est pas seulement un leadership marocain : c’est une réduction au silence des Algériens. Ceux qui refusent ce jeu sont marginalisés, présentés comme archaïques, communautaristes, voire islamistes. Cette stigmatisation est délibérée : elle vise à dépolitiser les héritiers des luttes algériennes, à leur interdire tout ancrage mémoriel autonome.

Dans le même temps, les figures marocaines autrefois en pointe dans le champ antiraciste ou pro-palestinien se sont éclipsées. Pourquoi ? Parce que le Maroc veut aujourd’hui la respectabilité. Il s’appuie sur ses alliances (Israël, Émirats arabes unis, cercles d’influence français) pour opérer un repositionnement stratégique : aux Algériens la mauvaise image, aux Marocains les sourires policés et les récompenses institutionnelles.

Le cas de figures comme Kamel Daoud ou Boualem Sansal est emblématique : mises en avant parce qu’utiles à un narratif acceptable — celui d’un Maghrébin « républicanisé », critique de son propre héritage, dépolitisé. Une ruse de plus dans cette entreprise de captation symbolique.

L’Algérie résiste, et doit redoubler de vigilance

Ce jeu trouble n’échappe pas à Alger. La réception récente de DJ Snake par le président Tebboune fut un signal fort. DJ Snake, franco-algérien, figure globale et indépendante, incarne une réussite non filtrée. En l’honorant, Alger affirme : nous ne passerons pas par les filtres de l’ingénierie étrangère.

Mais ce combat est inégal. Le Maroc avance ses pions avec méthode, fort de complicités solides. L’Algérie, elle, reste encore trop sur la défensive. Il ne suffit plus de dénoncer en privé. Il faut désormais reprendre la bataille sur le terrain symbolique et culturel, avec vigueur et lucidité.

Refuser l’effacement

Ce qui se joue en France n’est pas un simple « rééquilibrage communautaire ». C’est une tentative d’effacement politique et mémoriel. L’immigration algérienne a apporté au paysage français bien plus que de la main-d’œuvre : elle a forgé un héritage de luttes, de dignité, de conscience politique. Cet héritage ne doit ni être gommé ni être capturé par d’autres intérêts.

Les Algériens doivent aujourd’hui refuser le rôle de figurants. Ils doivent retrouver leur voix, leur récit, leur place pleine et entière. Non pour dominer, mais pour ne pas disparaître. Car ce qui se prépare, sous les sourires convenus et les discours sur la « fraternité maghrébine », c’est une guerre de substitution. Une guerre d’effacement. Nous n’avons pas le droit de la perdre.



Par Belgacem Merbah



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