Endettement massif du Maroc : entre fragilité structurelle et fuite en avant militariste face à l’Algérie
Le dernier rapport de la Banque africaine d’Import-Export (Afreximbank), publié le 28 mai 2025 sous le titre « État des lieux du fardeau de la dette en Afrique et dans les Caraïbes », dresse un constat préoccupant : le Maroc figure parmi les quatre pays les plus endettés d’Afrique, avec une dette extérieure estimée à 45,65 milliards de dollars en 2023, représentant 5,9 % de la dette totale du continent. Derrière des apparences de stabilité budgétaire, ce classement révèle une vulnérabilité structurelle grandissante et une trajectoire de plus en plus risquée.
Une dépendance inquiétante vis-à-vis des marchés financiers
Malgré les discours officiels rassurants, le Maroc est aujourd’hui fortement exposé aux marchés financiers internationaux, où il contracte une part importante de sa dette auprès de créanciers privés. Cette dépendance externe signifie qu’en cas de durcissement des conditions d’emprunt – hausse des taux, resserrement du crédit – le pays verrait ses marges de manœuvre budgétaires brutalement réduites. Le royaume reste prisonnier d’un cycle de refinancement qui repose sur une confiance volatile des marchés, dans un contexte mondial tendu.
Contrairement à certains de ses voisins africains, le Maroc ne dispose pas de ressources naturelles abondantes pour garantir sa dette ou soutenir son économie en période de crise. Cela rend sa situation d’autant plus périlleuse.
Une course effrénée à l’endettement… pour une course aux armements
Ce qui aggrave encore la situation, c’est la fuite en avant militaire engagée par Rabat dans le cadre de sa rivalité stratégique avec l’Algérie. Ces dernières années, le Maroc a massivement investi dans l’achat d’armements sophistiqués, allant des drones israéliens aux avions américains F-16, en passant par des systèmes de surveillance avancés. Ces dépenses militaires, souvent peu transparentes et non productives à court terme, alourdissent la dette publique sans bénéfices économiques tangibles.
Dans cette dynamique, le Maroc tente de rivaliser avec une Algérie qui, elle, dispose de ressources énergétiques abondantes (notamment hydrocarbures et gaz naturel), lui permettant de financer ses programmes de défense sans recourir à un endettement excessif. L’Algérie investit avec ses propres moyens, quand le Maroc s’endette pour exister sur le plan géopolitique, au risque de compromettre sa stabilité financière.
Des indicateurs alarmants
Au-delà du niveau absolu de la dette, plusieurs signaux sont préoccupants :
- Le ratio dette/PIB du Maroc reste élevé, dans un contexte de croissance molle.
- Le ratio dette/exports reste au-dessus des seuils de prudence, signe d’un tissu exportateur encore insuffisamment compétitif.
- Le service de la dette (les remboursements annuels) représente une part croissante des recettes publiques, menaçant les dépenses sociales et les investissements productifs.
- La dépendance aux financements extérieurs expose le pays aux chocs exogènes, notamment à la volatilité des marchés et aux changements de politique monétaire dans les pays occidentaux.
Une façade de croissance en trompe-l’œil
Bien que certaines projections annoncent une croissance de 3,6 % à 5 % en 2025, cette reprise repose sur des bases fragiles, notamment un secteur agricole instable et des exportations trop concentrées. Le développement est freiné par une industrie faible, une productivité stagnante et un chômage élevé, notamment chez les jeunes diplômés.
Le Maroc affiche certes une couverture des importations supérieure à trois mois, mais cet indicateur reste fragile dans un contexte d’endettement croissant et de tension sur les réserves de change. Contrairement à l’Algérie, qui bénéficie de revenus énergétiques solides et en hausse, le Maroc dépend toujours d’un modèle basé sur l’endettement, le tourisme, et les transferts des expatriés — des piliers peu fiables face aux crises mondiales.
Une trajectoire insoutenable
Le rapport d’Afreximbank souligne que la dette extérieure de l’Afrique devrait dépasser 1 300 milliards de dollars d’ici fin 2025, et que plus de 60 % des pays africains dépasseront le seuil de 50 % de dette publique/PIB, une limite prudente selon les critères du FMI. Le Maroc s’inscrit dans cette tendance dangereuse, sans disposer des ressources internes suffisantes pour rééquilibrer sa trajectoire.
Le recours accru à la dette extérieure — parfois pour financer des projets de prestige ou des ambitions militaires — se fait au détriment de la souveraineté budgétaire. Le pays risque à terme une perte de contrôle sur ses choix économiques, voire une exposition accrue aux diktats des institutions financières internationales.
Conclusion : quand le rêve de puissance débouche sur la fragilité
Le cas du Maroc illustre les limites d’une politique de puissance fondée sur l’endettement. À vouloir rivaliser avec une Algérie qui dispose des moyens souverains de ses ambitions stratégiques, le Maroc s’enferme dans une logique d’endettement périlleuse, où l’obsession sécuritaire prime sur les priorités sociales et économiques.
À l’heure où les dettes publiques deviennent un facteur de déstabilisation, le Maroc apparaît de plus en plus comme un pays à la façade stable, mais structurellement vulnérable. Sans une réforme en profondeur de son modèle économique, et sans une remise en question de ses choix géopolitiques, le royaume risque de voir ses ambitions se transformer en impasse financière.
Par Belgacem Merbah
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