Sahel : Le surprenant retour des États de l’AES vers la France, sous la médiation d’un Maroc sous influence
Les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger — unis dans l’Alliance des États du Sahel (AES) — s’étaient imposés sur la scène africaine comme des champions de la rupture avec la Françafrique. Expulsion des troupes françaises, dénonciation des accords militaires, discours panafricanistes offensifs : tout semblait indiquer une émancipation claire. Et pourtant, un an plus tard, ces mêmes États amorcent un rapprochement discret avec la France, via un canal inattendu : le Maroc.
Mais loin d’incarner un véritable médiateur neutre, le royaume chérifien apparaît ici comme un véhicule indirect de l’influence française — un État vassal, aligné sur les intérêts de Paris, qui joue le rôle de courroie de transmission.
1. Le revirement diplomatique des juntes : entre pragmatisme et contrainte
Depuis plusieurs semaines, des émissaires sahéliens ont été signalés à Rabat, où des discussions informelles auraient permis d’envisager un redémarrage progressif des relations avec la France. Ce mouvement, encore timide mais bien réel, a été évoqué dans un article du journal burkinabè Aujourd’hui au Faso, qui parle d’une « amorce de réconciliation » entre les États de l’AES et Paris, facilitée par la médiation marocaine.
Ces contacts ne s’opèrent pas dans un cadre multilatéral africain, ni par des canaux souverains, mais par l’intermédiaire d’un allié stratégique de l’Élysée.
2. Le Maroc : médiateur ou simple relais ?
Certes, le Maroc dispose d’un certain prestige régional. Mais son rôle dans ce dossier est à relativiser fortement :
- Sa diplomatie est historiquement alignée sur les intérêts occidentaux (France, États-Unis),
- Il accueille des bases d’entraînement, collabore étroitement avec les services de renseignement français et européens,
- Sur le dossier sahélien, il n’agit pas comme un acteur neutre, mais comme un relais d’influence, facilitant la réintégration des juntes dans une sphère francophone remodelée.
Plutôt qu’un médiateur impartial, le Maroc apparaît comme un sous-traitant diplomatique, chargé de rouvrir des canaux que Paris ne peut assumer publiquement.
3. Pourquoi ce retour vers la France ?
a. L’impasse stratégique des juntes
Malgré leurs discours souverainistes, les régimes de l’AES sont confrontés à une réalité brutale :
- La Russie, bien que présente (notamment via Wagner), ne remplace pas les financements occidentaux.
- Le développement stagne, l’économie souffre, les populations s’impatientent.
- L’isolement international devient un handicap, et un minimum de coopération avec les anciennes puissances devient nécessaire.
b. La nécessité d’un canal indirect
Un retour frontal vers Paris serait politiquement suicidaire pour des régimes qui ont bâti leur légitimité sur l’anti-français. Utiliser le Maroc comme interface permet de sauver les apparences : les liens se renouent, sans en assumer publiquement le prix.
4. Une Françafrique réinventée, mais toujours présente
Ce processus démontre que la Françafrique n’a pas disparu, elle a seulement changé de forme :
- Moins visible,
- Moins directe,
- Mais toujours fondée sur des réseaux d’alliés fidèles (comme le Maroc) et des intérêts économiques profonds.
Le Sahel reste une zone stratégique pour la France (ressources, influence, sécurité), et Rabat joue ici le rôle d’intermédiaire loyal, garant de la continuité des intérêts français.
Conclusion : le masque du souverainisme
Le rapprochement entre l’AES et la France via le Maroc illustre la faillite du souverainisme militaire au Sahel : les régimes peuvent tenir un discours anti-impérialiste, mais ils restent dépendants des puissances qu’ils dénoncent. Le Maroc, quant à lui, loin d’être une puissance indépendante, agit dans les limites étroites que lui fixent ses alliances occidentales.
Sous couvert de médiation, il accompagne le retour déguisé de la France dans une région où elle peine à se redéployer ouvertement.
Par Belgacem Merbah
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