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La France, complice par le silence ? Une analyse du refus des autorités françaises de coopérer avec la justice algérienne

Le 23 mai 2024, l’Agence de presse algérienne (APS) révélait que la justice algérienne avait adressé pas moins de 51 commissions rogatoires internationales à la France, portant sur des affaires de corruption, de détournement et de blanchiment d’argent, sans qu’aucune réponse ne soit apportée à ce jour par les autorités françaises. Ce silence judiciaire n’est pas sans conséquences. Il soulève des questions de fond sur la sincérité des engagements internationaux de la France, sur les logiques sélectives de coopération, mais aussi sur la responsabilité morale d’un État face à des crimes économiques aux effets transnationaux.


1. Le droit international bafoué : le blocage des commissions rogatoires

Les commissions rogatoires internationales s’inscrivent dans le cadre du droit international de la coopération judiciaire. Elles permettent à un État de solliciter l’aide d’un autre pour la réalisation d’actes d’enquête ou de poursuites pénales. La France et l’Algérie sont toutes deux signataires de plusieurs conventions bilatérales et multilatérales, dont la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC).

Pourtant, la France ne semble pas donner suite à ces demandes algériennes, certaines datant de plusieurs années. Ce refus tacite pourrait être juridiquement interprété comme un manquement à une obligation de coopération, voire comme une entrave à la justice, dès lors qu’il protège indirectement des personnes condamnées ou mises en cause dans des affaires de grande corruption.

2. Une posture politique sous couvert de droit

La révélation par l’hebdomadaire français L’Express d’un supposé projet français de gel d’avoirs de responsables algériens a suscité la réaction virulente de l’APS. Selon la version algérienne, cette « fuite organisée » serait une tentative de pression politique suite au refus d’Alger d’accueillir certains de ses ressortissants expulsés de France.

Dans ce contexte, le silence français face aux demandes de coopération prend une signification politique claire : l’instrumentalisation de la justice à des fins de marchandage diplomatique. L’APS dénonce un traitement incohérent, hypocrite et sélectif, allant jusqu’à qualifier le comportement français de complicité passive avec des pratiques illégales.

3. L’illusion d’une Algérie fictive dans l’imaginaire politique français

Un passage particulièrement fort du texte algérien critique la persistance, chez certains décideurs français, d’une vision fantasmée de l’Algérie — une entité réduite à « un système », « une élite corrompue » ou « des réseaux opaques », selon une grille de lecture postcoloniale dépassée. Cette Algérie imaginaire est utilisée pour justifier l’inaction ou l’hostilité, alors que l’Algérie réelle, affirme l’APS, est celle d’un État souverain, d’une justice active et d’un peuple exigeant.

Cette dissonance révèle le refus persistant de reconnaître les mutations internes de l’Algérie, en particulier depuis le Hirak de 2019, qui a ouvert une ère de lutte ouverte contre la corruption et d’affirmation de la souveraineté judiciaire.

4. Complicité ou incohérence ? Le dilemme français

En se refusant à coopérer, la France prend le risque d’apparaître comme un refuge pour les délinquants économiques internationaux, ce qui va à l’encontre de ses engagements dans les forums internationaux. Comment prétendre lutter contre la corruption mondiale tout en refusant d’exécuter des commissions rogatoires de partenaires directs ?

L’APS résume cette contradiction dans une formule cinglante : « Si la France veut nettoyer les écuries d’Augias, qu’elle commence par les siennes. » Autrement dit, Paris doit cesser de donner des leçons, et plutôt faire preuve de cohérence entre ses discours et ses actes.

Conclusion : la coopération judiciaire comme test de crédibilité

Cette affaire est un test grandeur nature pour la relation algéro-française, mais aussi pour la crédibilité internationale de la France en matière de lutte contre la corruption. En refusant de coopérer, Paris ne se contente pas d’ignorer des obligations juridiques ; elle s’expose aussi à des accusations graves de complicité indirecte avec des pratiques mafieuses.

L’Algérie, quant à elle, semble déterminée à affirmer sa souveraineté judiciaire, et à faire valoir le droit international dans sa quête de vérité et de justice. Si la France souhaite construire une relation fondée sur la confiance, l’égalité et le respect mutuel, il lui faudra d’abord répondre à l’appel du droit, plutôt que de se retrancher derrière le silence.


Par Belgacem Merbah



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