Dans une séquence surréaliste sur les ondes de France Inter, la journaliste Léa Salamé a osé proposer, à la légère, un « échange » entre les 9000 crânes d’Algériennes et d’Algériens détenus au Musée de l’Homme à Paris, et la prétendue « libération » de l’écrivain Boualem Sansal. Cette déclaration, lancée sur le ton d’une boutade, trahit une méconnaissance tragique de l’histoire coloniale, un mépris implicite pour la mémoire algérienne, et une indécence qui soulève la colère et l’indignation.
Quand l’humour devient offense à la mémoire
Léa Salamé n’en est pas à sa première controverse, mais cette fois, elle franchit une ligne rouge. Que signifie vraiment sa proposition ? Qu’une vie algérienne, même morte et décapitée, ne vaut que le prix d’un intellectuel en disgrâce ? Qu’une mémoire nationale mutilée peut faire l’objet d’une négociation médiatique ? Derrière ce trait d’humour douteux se cache une idée insupportable : les restes humains de résistants algériens, tués, décapités, exposés comme des trophées coloniaux, peuvent encore aujourd’hui être traités comme une simple monnaie d’échange.
Une mémoire coloniale toujours niée
Ces 9000 crânes ne sont pas des objets d’anthropologie neutres. Ils sont les témoins silencieux d’une violence coloniale systémique. Parmi eux figurent des figures de la résistance algérienne, arrachées à la terre pour finir sous vitrine ou dans les sous-sols poussiéreux d’un musée parisien. Leur restitution est une exigence morale et politique pour le peuple algérien. Ce n’est ni un geste gracieux, ni un troc. Il s’agit de justice post-coloniale.
Xavier Le Clerc, invité également sur France Inter, a rappelé un épisode atroce de cette histoire : au XIXe siècle, l’armée française utilisait des ossements humains – d’Algériens et d’animaux – pour blanchir le sucre extrait de la betterave. Une barbarie condamnée à l’époque par l’Émir Abdelkader, qui parlait à juste titre d’un acte de cannibalisme. Cette évocation aurait dû imposer un minimum de gravité, de retenue. Au lieu de cela, Salamé s’est livrée à une proposition cynique, presque désinvolte.
Boualem Sansal, un écrivain… et un prétexte ?
Le cas de Boualem Sansal, écrivain controversé en Algérie pour ses positions politiques et ses accointances suspectes avec des cercles néo-orientalistes en France, est un autre débat. Il est certes regrettable qu’un auteur soit marginalisé pour ses idées, mais cela ne saurait en aucun cas justifier la comparaison ou l’échange avec les restes de résistants massacrés. Sansal est vivant, il écrit, publie, voyage. Les crânes au Musée de l’Homme, eux, sont privés de sépulture depuis près de deux siècles. Il y a là une différence de dignité que Léa Salamé semble avoir perdue de vue.
L’indécence coloniale recyclée au XXIe siècle
Ce qui choque dans cette séquence, ce n’est pas seulement l’idée de l’échange, mais ce qu’elle révèle : une forme de désinvolture française face à la mémoire algérienne. L’Algérie n’est pas finie dans l’imaginaire colonial français. Elle reste un territoire symbolique où l’on peut plaisanter, minimiser, instrumentaliser les blessures de la colonisation. L’histoire est réécrite, parfois même effacée, et lorsque des vérités refont surface, elles sont transformées en objets de spéculation médiatique.
Conclusion : une exigence de respect et de réparation
Loin d’un simple dérapage verbal, cette déclaration de Léa Salamé est révélatrice d’un malaise plus profond dans la relation entre la France et l’Algérie. Elle illustre l’incapacité persistante de certaines élites françaises à traiter avec dignité les mémoires blessées, à reconnaître pleinement les crimes du colonialisme, et à se hisser au niveau de la justice historique.
Les 9000 crânes ne sont pas à échanger. Ils doivent être restitués, honorés, inhumés. Et cela ne dépend ni de la situation d’un écrivain ni du bon vouloir de chroniqueurs parisiens. Cela relève d’un impératif de mémoire, de vérité et de dignité humaine.
Par Belgacem Merbah
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