Déconstruire un mythe diplomatique : le rôle du Mali dans la guerre d'indépendance algérienne et les conséquences de la guerre d'Algérie sur les indépendances africaines
Avec l'escalade des tensions diplomatiques entre le Mali et l'Algérie, un discours de plus en plus répandu au sein de certains cercles maliens affirme que le Mali aurait joué un rôle central dans la libération de l'Algérie du joug colonial français. Cet argument, dénué de fondement historique, constitue une déformation flagrante des faits. Il est aujourd'hui nécessaire, dans une démarche de rigueur scientifique et de vérité historique, de rétablir les faits. Car s'il y a une vérité immuable, c'est que l'Algérie a été le pilier, le moteur et la conscience révolutionnaire de l'Afrique francophone. Le sang versé par les martyrs algériens a irrigué les espérances de tout un continent.
Les relations entre le Mali et l'Algérie, historiquement empreintes de solidarité postcoloniale et de coopération régionale, connaissent actuellement une détérioration marquée. Dans ce contexte, certains acteurs maliens invoquent un révisionnisme historique présentant le Mali comme un acteur clé de la libération algérienne. Cette rhétorique, non seulement erronée mais aussi insultante pour la mémoire des combattants algériens, mérite une réponse ferme. Il convient de rappeler, avec force et précision, le rôle véritable de chaque nation dans le processus de décolonisation.
1. Le Mali et la guerre d'indépendance algérienne : entre mythe et réalité
Contrairement à ce que certains discours populistes tentent aujourd'hui d'imposer, il n'existe aucune preuve historique d'une participation militaire significative de ressortissants maliens aux côtés du Front de libération nationale (FLN) algérien. Aucun contingent malien, aucune brigade, aucun soutien militaire organisé n'a été engagé dans le conflit algérien. Le mythe du front malien dans la guerre d'Algérie est une fabulation sans fondement, un révisionnisme qui travestit la réalité historique.
Certes, après son indépendance en 1960, le Mali de Modibo Keïta a exprimé sa solidarité avec l'Algérie. Mais cela fut essentiellement diplomatique et verbal, bien en aval des grandes batailles de la guerre d'indépendance. Le soutien malien, s'il existait, était marginal comparé au rôle déterminant joué par la Tunisie, qui a servi d'une véritable base arrière au FLN (Stora, 1991).
2. L'effet d'entraînement de la guerre d'Algérie sur les indépendances africaines : l'Algérie, phare de la décolonisation
C'est faire injure à l'histoire que de nier que la guerre d'Algérie a été l'étincelle qui a embrasé la décolonisation de l'Afrique francophone. L'insurrection algérienne de 1954, sa persistance, sa brutalité, et surtout la capacité du peuple algérien à tenir tête à la quatrième puissance militaire mondiale, ont ébranlé les fondements même de l'empire colonial français.
Frederick Cooper (2002) note que l'acharnement français à maintenir l'Algérie a entraîné une réflexion stratégique à Paris : il fallait se retirer de l'Afrique noire pour préserver l'essentiel. Jean-Pierre Bat (2012) va plus loin en expliquant que sans le coût politique et humain exorbitant de la guerre d'Algérie, jamais de Gaulle n'aurait envisagé de concéder aussi rapidement l'indépendance aux territoires d'Afrique noire.
Ce fait historique, Modibo Keïta lui-même ne le négligeait pas. Dans plusieurs de ses déclarations postérieures à l'indépendance, il reconnaissait explicitement que : « C'est le peuple algérien, dans son immense sacrifice, qui a réveillé les consciences africaines ». Il ajoutait encore, avec une lucidité rare : « L'Algérie a payé le prix du sang pour libérer l'Afrique ».
Ces paroles fortes de l'un des pères de l'indépendance malienne tranchent radicalement avec les déclarations opportunistes de certains de ses successeurs. Il faut le dire clairement : sans la guerre d'Algérie, le Mali n'aurait pas connu l'indépendance en 1960. Le Mali est redevable à l'Algérie, historiquement, moralement et politiquement.
3. Conclusion : l'Algérie, sentinelle de l'honneur africain
Il est temps de clore ce chapitre de révisionnisme, de rétablir les faits contre les fantasmes. Le Mali n'a pas libéré l'Algérie. Aucune armée malienne n'a combattu aux côtés du FLN. En revanche, l'Algérie, par sa résistance exemplaire, a permis l'éclosion d'une conscience anticoloniale dans toute l'Afrique francophone. Le sang des martyrs de la Casbah et des Aurès a eu plus d'impact sur le destin du Mali que tous les discours des politiciens de Bamako.
Il faut le répéter, haut et fort : l'Algérie n'a pas seulement gagné son indépendance, elle a forcé l'Histoire à s'accélérer. Et pour cela, l'Afrique lui doit une reconnaissance éternelle.
Par Belgacem Merbah
Bibliographie :
Stora, Benjamin. La guerre d'Algérie expliquée à tous. Le Seuil, 1991.
Cooper, Frederick. Africa Since 1940: The Past of the Present. Cambridge University Press, 2002.
Bat, Jean-Pierre. Le syndrome Foccart : La politique françafricaine de 1959 à nos jours. Gallimard, 2012.
Branche, Raphaëlle. La torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie. Gallimard, 2001.
Connelly, Matthew. A Diplomatic Revolution: Algeria's Fight for Independence and the Origins of the Post-Cold War Era. Oxford University Press, 2002.
Archives nationales du Mali, Discours de Modibo Keïta (1963), Fonds diplomatie et souveraineté, BAM/02/DP/7.
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