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Analyse diplomatique de l’Initiative marocaine pour un statut d’autonomie du Sahara occidental : absence de sérieux et violation de la légalité internationale

À la suite du rapport présenté le 16 avril 2025 par Staffan de Mistura, envoyé spécial des Nations unies, qui a solennellement exhorté le Maroc à préciser davantage son projet d’autonomie – un texte maigre de 35 articles répartis sur à peine quatre pages et demie – Rabat a manifesté une réserve notable, presque embarrassée. Dans l’analyse qui suit, nous mettons en lumière, avec rigueur et précision, les véritables raisons qui entravent cette clarification tant espérée. Car, contrairement au récit officiel qui le qualifie de « sérieux » et de « crédible », ce plan ne résiste ni à un examen juridique approfondi ni aux principes fondamentaux du droit international.

Le conflit du Sahara occidental, inscrit depuis des décennies à l’agenda des Nations unies comme une question de décolonisation, reste l’un des dossiers les plus sensibles et les plus cruciaux pour la stabilité du Maghreb et au-delà. En 2007, le Maroc a proposé une « Initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie », censée constituer la pierre angulaire d’un règlement définitif du conflit. Mais derrière la façade des termes diplomatiques, cette initiative trahit une entreprise unilatérale d’appropriation territoriale, soigneusement maquillée en offre de compromis.

Une lecture sérieuse et approfondie de ce texte, à la lumière des résolutions onusiennes sur les territoires non autonomes et des principes inaliénables du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, révèle un plan creux, dépourvu de substance juridique et foncièrement contraire aux normes internationales. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une tentative de légitimation de l’annexion, enveloppée dans les atours trompeurs d’un processus de négociation. Ce projet ne vise pas à ouvrir un chemin vers une paix juste et durable, mais à verrouiller le destin d’un peuple sans son consentement, au mépris du droit et de la morale internationale.

I. Une initiative contraire au principe fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes

1. Le Sahara occidental : un territoire non autonome selon l’ONU

Depuis 1963, le Sahara occidental figure sur la liste des territoires non autonomes tenus à bénéficier d’un processus de décolonisation, conformément à la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale de l’ONU sur l’octroi de l’indépendance aux peuples coloniaux. La Cour internationale de Justice, dans son avis consultatif du 16 octobre 1975, a clairement établi qu’aucun lien de souveraineté entre le territoire et le Royaume du Maroc ne pouvait justifier une quelconque annexion.

« Le processus de décolonisation du Sahara occidental n’est pas achevé, et le peuple sahraoui a un droit inaliénable à l’autodétermination » – tel est le consensus onusien toujours en vigueur.

2. L’autonomie proposée ne respecte pas les formes légales de l’autodétermination

Le plan marocain prévoit une autonomie régionale sous souveraineté marocaine. Or, le droit à l’autodétermination, tel qu’interprété par la jurisprudence internationale, impose que toutes les options soient soumises à la population concernée : l’intégration, l’autonomie, mais aussi l’indépendance. En ne laissant qu’un choix interne dans un cadre constitutionnel marocain, l’initiative viole le principe de neutralité du référendum, pourtant consacré par la doctrine des Nations Unies et l’esprit de la résolution 1541 (XV).

II. Une proposition unilatérale, excluant les représentants légitimes du peuple sahraoui

1. Absence de concertation avec le Front Polisario

Le plan a été conçu et proposé unilatéralement par le Royaume du Maroc sans consultation ni concertation avec le Front Polisario, reconnu par l’ONU comme le représentant légitime du peuple sahraoui. Or, selon les résolutions de l’ONU, toute solution politique doit être acceptée par les deux parties et issue d’un véritable processus de négociation. En imposant une base de discussion verrouillée par la souveraineté marocaine, le Maroc ferme la porte à une solution équilibrée et désavoue l’esprit même des négociations prévues par l’ONU.

2. Tentative de légitimation d’une occupation militaire

Depuis le retrait de l’Espagne en 1975, le territoire est occupé de facto par le Maroc, malgré l’absence de toute reconnaissance internationale de souveraineté. L’initiative d’autonomie est donc perçue par de nombreux observateurs et juristes comme une tentative de légitimer une situation illégale, en neutralisant politiquement la revendication d’indépendance par un vernis institutionnel.

III. Une autonomie largement fictive : absence de garanties institutionnelles et contrôle centralisé

1. Concentration des pouvoirs régaliens entre les mains du roi

Le plan prévoit une autonomie régionale encadrée par la Constitution marocaine, dans laquelle le roi conserve un pouvoir prééminent :

  • Il détient le contrôle exclusif des affaires religieuses, militaires, diplomatiques et judiciaires ;

  • Il désigne le chef du gouvernement régional, qui demeure représentant de l’État ;

  • Les juridictions régionales agissent « au nom du roi », et leurs décisions peuvent être supervisées par les juridictions nationales.

Il en découle une centralisation des pouvoirs incompatible avec le concept d’autonomie réelle, et une instrumentalisation de la décentralisation pour pérenniser le contrôle.

2. Subordination juridique et absence de souveraineté populaire

Le plan stipule que toute législation régionale devra respecter la Constitution marocaine, ce qui prive la région sahraouie de toute capacité législative souveraine. Cette condition empêche le développement d’un cadre juridique indépendant, pourtant essentiel à tout régime d’autonomie effectif.

IV. Une exploitation illégale et non-consultée des ressources naturelles sahraouies

1. Le principe de consentement du peuple sahraoui

Conformément au droit international coutumier et à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêts de 2016, 2018, 2021), aucune exploitation de ressources naturelles dans un territoire non autonome ne peut être considérée comme légale sans le consentement explicite du peuple du territoire. Or, le Maroc exploite actuellement les ressources du Sahara occidental (phosphates, pêche, énergies renouvelables, tourisme) sans ce consentement, en violation flagrante de ces principes.

2. Le plan d’autonomie ne remet pas en cause cette exploitation

Le texte prévoit que la région bénéficiera de ressources issues des revenus d’exploitation, mais ne mentionne nulle part le principe de consentement préalable, ni de mécanismes de gestion indépendante des ressources. En l’état, l’initiative institutionnalise une spoliation économique, contraire aux normes internationales.

Conclusion : une initiative incompatible avec une solution juste, durable et conforme au droit international

Malgré un langage diplomatique apparent, l’initiative marocaine repose sur des prémisses unilatérales, neutralise le droit à l’autodétermination et institutionnalise l’occupation d’un territoire non autonome.

Elle ne répond ni aux standards de neutralité attendus par les Nations Unies, ni aux conditions juridiques d’un véritable processus de décolonisation. Elle n’offre aucune garantie pour une autonomie authentique, ni pour le respect des droits fondamentaux du peuple sahraoui, tant sur le plan politique qu’économique.

Dans ce contexte, la communauté internationale a la responsabilité :

  • De rejeter toute solution imposée unilatéralement,

  • De soutenir un référendum authentique incluant l’option de l’indépendance,

  • Et de réaffirmer le principe intangible de l’autodétermination des peuples, socle de la Charte des Nations Unies et fondement de la paix durable.


Par Belgacem Merbah



Plan d'autonomie marocain pour le Sahara occidental : https://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/dmag/dv/dmag20101130_06-/dmag20101130_06-fr.pdf

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