Algérie – France : vers un dégel diplomatique ? Les négociations reprennent, mais les lignes rouges restent
Après plusieurs mois de tensions inédites entre Alger et Paris, les discussions ont repris au plus haut niveau entre les deux capitales. Trois jours après l’entretien téléphonique entre les présidents Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron, les ministres des Affaires étrangères des deux pays, Jean-Noël Barrot et Ahmed Attaf, ont échangé à leur tour le 3 avril. Cette séquence diplomatique ouvre la voie à une phase de négociations actives, qui pourraient aboutir à un réchauffement des relations — à condition que les différends majeurs soient traités avec sérieux.
Un dialogue relancé, mais encore loin de la normalisation
Le 31 mars, le contact entre Tebboune et Macron a marqué une volonté politique partagée de renouer le dialogue, après huit mois de gel diplomatique provoqué par des tensions mémorielles, migratoires et des déclarations jugées inacceptables côté algérien. Cet appel présidentiel a débouché sur une feuille de route bilatérale en dix points, censée servir dae base à la relance des relations dans des domaines aussi sensibles que la sécurité, la migration, la justice, l’économie ou encore la mémoire.
Mais si la forme a été soignée, le fond demeure complexe. Les deux États se lancent dans un processus diplomatique dont l’issue reste incertaine. Rien ne garantit que les désaccords profonds — notamment sur le Sahara occidental ou la coopération migratoire — pourront être dépassés rapidement.
La visite de Jean-Noël Barrot à Alger : symbole ou tournant ?
Jean-Noël Barrot, chef de la diplomatie française, se rendra en Algérie le 6 avril à l’invitation de son homologue algérien. Cette visite intervient à un moment stratégique : elle doit "incarner la reprise du dialogue", selon le Quai d’Orsay, et poser les bases d’un futur partenariat rénové.
Parmi les priorités à l’ordre du jour : la reprise de la coopération sécuritaire, une négociation migratoire rénovée et équilibrée, la poursuite du travail de mémoire via la commission d’historiens, ainsi que des discussions sur la coopération judiciaire et économique.
Mais du côté algérien, cette visite est perçue moins comme une relance que comme un test de sincérité : Alger attend des engagements clairs et concrets, loin des déclarations de principe.
Le cas Boualem Sansal : un sujet de tension dans un jeu d’échanges plus large
En toile de fond, la question du sort de Boualem Sansal, écrivain franco-algérien de 75 ans, récemment condamné à cinq ans de prison ferme pour "atteinte à l’unité nationale", pourrait être abordée. Le président Macron a demandé à son homologue algérien un geste de "clémence et d’humanité", à titre personnel. Toutefois, à ce stade, rien n’indique qu’Alger envisage une telle mesure sans contrepartie.
Selon plusieurs observateurs, l’Algérie pourrait utiliser le cas Sansal dans un cadre de négociation plus large, notamment pour exiger de la France des gestes concrets en matière de coopération judiciaire et financière. Deux priorités émergent dans ce contexte :
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L’extradition de personnalités recherchées, comme Abdeslam Bouchouareb, ancien ministre de l’Industrie sous Bouteflika, condamné par contumace pour corruption et actuellement en fuite à l’étranger.
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La récupération d’actifs et de biens mal acquis par d’anciens dirigeants algériens installés en France. Selon certaines estimations, plus de 20 milliards de dollars d’avoirs liés à des figures de l’ancien régime seraient localisés en territoire français.
Dans cette optique, Alger pourrait envisager une éventuelle clémence à l’égard de Sansal uniquement dans un cadre de réciprocité, illustrant une diplomatie pragmatique fondée sur le donnant-donnant. La justice algérienne, fortement politisée dans les affaires sensibles, restera par ailleurs un acteur central dans cette équation.
Des intérêts stratégiques inconciliables ? La question du Sahara occidental en point d’achoppement
Malgré la reprise du dialogue bilatéral, certains dossiers sensibles continuent de menacer toute avancée substantielle, au premier rang desquels celui du Sahara occidental. Pour Alger, cette question relève d’un enjeu de souveraineté nationale et de sécurité intérieure, et ne saurait faire l’objet du moindre compromis. L’Algérie attend de la France qu’elle adopte une position conforme au droit international, marquée par le respect des principes fondateurs de la légalité internationale.
Toute velléité, fût-elle implicite, de la part de Paris de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental serait interprétée par Alger comme une atteinte directe à sa sécurité nationale. Aux yeux des autorités algériennes, une telle reconnaissance ne ferait que conforter une logique expansionniste de Rabat, susceptible de nourrir des revendications territoriales portant, à terme, sur des zones relevant du territoire algérien lui-même.
Cette ligne rouge est intangible. L’Algérie n’échangera ni son soutien indéfectible au droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, ni sa stabilité intérieure, contre une embellie conjoncturelle de ses relations avec la France. En cela, Paris se trouve face à un dilemme stratégique : opter pour une posture d’équilibre et de neutralité conforme à ses engagements internationaux, ou risquer de compromettre durablement ses rapports avec l’un de ses partenaires majeurs au Maghreb.
Il convient par ailleurs de nuancer les objectifs de négociation de l’Algérie à la lumière d’une nouvelle approche. En affirmant qu’Alger n’a jamais été dupe du rôle de la France dans l’appui implicite aux prétentions marocaines, et en soulignant que le projet d’autonomie n’est rien d’autre qu’une initiative pensée et soutenue par Paris, le président Tebboune envoie un message limpide : la nature de la relation algéro-française a changé de paradigme.
Autrefois soucieuse de rappeler la France à ses responsabilités historiques, l’Algérie œuvrait avec lucidité à l’instauration d’un équilibre diplomatique. Aujourd’hui, elle ne cherche plus à convaincre ni à raisonner, mais constate avec gravité l’alignement de Paris sur des positions contraires à ses intérêts stratégiques fondamentaux. Et face à ce réalignement, la nation algérienne entend tirer toutes les conséquences nécessaires, avec la fermeté et la dignité qui caractérisent son engagement souverain.
Cette posture traduit une volonté claire : mettre un terme à une hypocrisie diplomatique dont plus personne n’est dupe. L’Algérie refuse d’être partie prenante d’un jeu d’influence où les discours feutrés dissimulent des choix partisans. Paris ne saurait se réclamer d’une relation équilibrée tout en favorisant systématiquement les ambitions marocaines, au détriment des principes du droit international et des aspirations légitimes du peuple sahraoui.
Fidèle à son histoire, à ses valeurs et à ses engagements, l’Algérie ne pliera ni sous la pression ni face aux calculs opportunistes. Sa position sur le Sahara occidental s’enracine dans la légalité internationale, et aucun marchandage, d’où qu’il vienne, ne saurait altérer cette ligne de conduite.
Conclusion : des négociations sous haute tension
Les échanges entre Alger et Paris constituent une reprise de contact diplomatique, non encore un réchauffement confirmé. Les discussions ouvertes, les gestes symboliques et les annonces de coopération masquent des divergences de fond qui nécessiteront temps, clarté et respect mutuel pour être surmontées.
Tant que les intérêts vitaux de l’Algérie — notamment sur le Sahara occidental et la souveraineté judiciaire — ne seront pas sécurisés, il est peu probable qu’Alger accepte une normalisation pleine et entière. La visite de Jean-Noël Barrot à Alger sera donc un premier jalon, mais la route vers un véritable rapprochement reste longue, incertaine, et étroitement conditionnée à des gestes réciproques.
En conclusion, la reprise du dialogue entre l’Algérie et la France, bien que saluée comme un signal d’apaisement, ne saurait occulter la profondeur des fractures stratégiques qui subsistent. Si la relance des discussions bilatérales constitue un progrès notable après une période de gel diplomatique, elle s’inscrit davantage dans une logique de gestion des tensions que dans une réelle dynamique de réconciliation. À travers ses positions fermes, notamment sur la question du Sahara occidental, Alger affirme une diplomatie de souveraineté, refusant toute compromission sur ses intérêts fondamentaux.
Face à cela, Paris se retrouve à la croisée des chemins : persister dans une approche ambivalente ou redéfinir les bases d’un partenariat sincère, respectueux et équilibré. Plus qu’une simple reprise du dialogue, ce moment diplomatique cristallise un changement de paradigme : celui d’une relation où les symboles ne suffisent plus, et où seules la clarté des engagements et la réciprocité des intérêts pourront ouvrir la voie à un nouveau contrat politique entre les deux rives de la Méditerranée.
Par Belgacem Merbah
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