La France, éternelle patrie des droits de l’homme, aime à se draper dans la vertu de la liberté d’expression lorsqu’il s’agit d’épingler les dérives des autres. De tribunes en sommations, Paris se pose en gardienne sourcilleuse de la morale démocratique, prompt à rappeler à l’Algérie, et à tant d'autres nations, leurs manquements à la liberté de la presse ou à la mémoire des victimes du pouvoir.
Mais l’affaire Jean-Michel Aphatie, brusquement écarté des ondes de RTL pour avoir osé exhumer des vérités enfouies sous des décennies d’omerta, révèle un tout autre visage : celui d’une démocratie sélective, prompte à glorifier la liberté lorsqu’elle flatte, mais prompte à la museler lorsqu’elle dérange.
La Vérité Qui Blesse
Les mots du journaliste n’ont pourtant rien d’une provocation gratuite. Lorsqu’il rappelle que l’armée française, durant la colonisation de l’Algérie, s’est rendue coupable de massacres de masse, d'exécutions sommaires et de villages brûlés, il ne fait qu’invoquer des faits établis par les historiens les plus rigoureux. Ce parallèle avec le massacre d'Oradour-sur-Glane – épisode sacralisé dans la mémoire collective française – n’a pas pour vocation d’insulter, mais d’interroger.
Car si l’horreur perpétrée par les nazis reste, à juste titre, gravée dans la conscience nationale, pourquoi l’extermination de milliers de civils algériens par la République coloniale demeure-t-elle reléguée aux marges de l’histoire officielle ?
Est-ce l’identité des bourreaux qui scelle ce destin différencié ? Lorsque la barbarie porte l’uniforme ennemi, elle est condamnée avec vigueur. Mais lorsque cette même barbarie est l'œuvre de la nation autoproclamée des Lumières, elle devient taboue, reléguée à l'ombre d’un silence complice.
Une République Qui Se Voile la Face
À travers cette sanction déguisée, la France révèle une fois de plus son incapacité chronique à affronter la face sombre de son propre passé. Si l’Allemagne a su se livrer, au prix d’une douloureuse introspection, à une reconnaissance sans équivoque de ses crimes, la République française, elle, continue d'ériger des murs autour de sa mémoire coloniale.
La colonisation, ce fardeau honteux, n’a jamais vraiment quitté l’ADN de la République. Elle hante les discours, conditionne les rapports diplomatiques et alimente une forme de condescendance paternaliste à l'égard de l'Algérie. Paris sermonne Alger sur la liberté, mais refoule ses propres pages de sang. Elle s'indigne de la censure ailleurs, mais écarte ses propres voix dissonantes avec la froideur bureaucratique d’un régime autoritaire.
Jean-Michel Aphatie, par son refus de s’excuser, pose une question essentielle : la vérité historique est-elle soluble dans les convenances nationales ?
Hypocrisie et Mémoire à Deux Vitesses
Il est saisissant d’observer avec quelle ferveur la classe politique française s’est précipitée pour condamner les propos du journaliste. Jordan Bardella, figure montante de l’extrême droite, y a vu une "odieuse falsification de l’Histoire". Éric Ciotti a préféré réduire Aphatie au rôle de "prédicateur algérien". Quelle singulière inversion des rôles !
Car enfin, qui falsifie l’histoire sinon ceux qui, par un tour de passe-passe mémoriel, glorifient la mission civilisatrice de la France tout en gommant la brutalité de son œuvre coloniale ? Qui insulte les rapatriés d’Algérie sinon ceux qui feignent d’ignorer que ces Français d’Algérie furent aussi les témoins impuissants des massacres de Sétif, de Guelma ou de Melouza ?
Cette indignation sélective révèle une société incapable d’admettre que l’héritage colonial est indissociable de l’identité française contemporaine. Elle témoigne d’un double standard insupportable : la mémoire des victimes européennes est sanctuarisée, celle des victimes indigènes est niée ou minimisée.
Une Liberté d’Expression Conditionnelle
La mise au silence de Jean-Michel Aphatie s’inscrit dans une tendance plus large : celle d’une liberté d’expression à la carte, réservée à certains et refusée à d’autres.
La France se targue de défendre la parole libre, mais cette liberté devient soudainement un luxe réservé aux voix qui confortent l'ordre établi. Critiquer la colonisation, c’est franchir une ligne rouge. Rappeler que la République s’est comportée comme un régime d’oppression en Algérie, c’est heurter une mémoire sélective, façonnée par des décennies de déni.
Cette hypocrisie gangrène le débat public français, rendant toute réconciliation véritable impossible tant que les mots eux-mêmes seront soumis à des filtres idéologiques.
Le Cri Étouffé de l’Histoire
Que reste-t-il d'une démocratie lorsqu’elle refoule ses propres vérités ? Que valent les principes républicains si la liberté de parole s’arrête là où commence l’inconfort mémoriel ?
Jean-Michel Aphatie, en refusant de plier sous la pression, rappelle que la vérité n’a pas à être douce pour être juste. Il ne s'agit pas de comparer des douleurs, mais de rétablir une mémoire complète, sans hiérarchies ni tabous.
Une nation mature ne craint pas son passé : elle l'affronte. Mais la France, elle, préfère dresser des statues à ses conquérants et poursuivre en justice ceux qui osent en briser le socle.
Pour une Véritable Réconciliation
La liberté d’expression ne peut être morcelée. Elle ne peut être invoquée pour Charlie Hebdo et étouffée pour Jean-Michel Aphatie. Elle ne peut s'exercer pleinement que si toutes les mémoires ont droit de cité.
Si la France veut se réconcilier avec l’Algérie – et avec elle-même – il lui faudra bien, tôt ou tard, ouvrir les livres interdits, laisser les voix discordantes s’exprimer et faire le procès de sa propre histoire.
La censure ne repousse jamais l’échéance de la vérité. Elle ne fait que la rendre plus brûlante lorsqu’elle finit par éclater.
"La démocratie, c'est accepter d'entendre ce que l'on redoute le plus."
En réduisant Jean-Michel Aphatie au silence, la France ne protège pas sa mémoire – elle l’avilit.
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