Les relations entre le Mali et l’Algérie ont traversé une période de tensions sans précédent depuis 2023. Alors qu’elles étaient historiquement marquées par une coopération étroite, notamment dans le cadre des Accords de paix d’Alger de 2015, elles se sont brusquement détériorées suite à plusieurs événements diplomatiques et sécuritaires. L’accueil en Algérie de l’imam Mahmoud Dicko, figure de l’opposition malienne, a été perçu comme un geste inamical par la junte militaire de Bamako, qui a réagi par des attaques verbales et l’annulation des accords d’Alger.
Derrière cette rupture apparente, plusieurs acteurs ont joué un rôle, notamment le Maroc, qui a exploité les tensions pour se rapprocher de Bamako et proposer une alternative à la médiation algérienne. En parallèle, le trafic de drogue transsaharien, largement dominé par des réseaux marocains, continue de financer les groupes terroristes actifs dans le nord du Mali, alimentant l’instabilité dans la région et compliquant la coopération sécuritaire entre Alger et Bamako.
Aujourd’hui, sous l’influence de la Russie, partenaire militaire clé du Mali, une dynamique de réconciliation semble émerger. La nomination d’un nouvel ambassadeur malien à Alger marque une volonté apparente d’apaisement, mais la question demeure : cette détente est-elle durable ou s’agit-il d’un ajustement opportuniste dans un contexte de recomposition géopolitique au Sahel ?
Un Rôle Déstabilisateur du Maroc : Une Stratégie Géopolitique Opportuniste
L’Exploitation des Tensions Diplomatiques
La rupture entre l’Algérie et le Mali a ouvert une fenêtre d’opportunité pour le Maroc, qui cherche depuis plusieurs années à accroître son influence en Afrique de l’Ouest. Profitant de la crise entre Alger et Bamako, Rabat a intensifié ses efforts diplomatiques pour séduire la junte malienne.
L’un des leviers utilisés par le Maroc a été la promesse d’un accès à l’Atlantique pour le Mali, via un corridor commercial passant par la Mauritanie et le port de Dakhla. Ce projet, présenté comme une alternative aux relations traditionnelles du Mali avec l’Algérie, visait à réduire la dépendance économique malienne envers son voisin du Nord.
Toutefois, ce projet est largement perçu comme une manœuvre politique destinée à affaiblir l’influence algérienne et à isoler l’Algérie dans la région. En réalité, sa mise en œuvre se heurte à des obstacles majeurs, notamment des enjeux de souveraineté territoriale et une absence d’infrastructures adaptées.
Une Influence Marocaine sur la Junte Malienne
Depuis la prise du pouvoir par Assimi Goïta en 2021, plusieurs signaux indiquent un rapprochement progressif entre Bamako et Rabat. Le Maroc a multiplié les rencontres diplomatiques avec les autorités maliennes, et certains responsables maliens se sont montrés plus favorables aux thèses marocaines sur des questions régionales, notamment sur le Sahara occidental, où la neutralité du Mali semble de plus en plus remise en question.
L’une des manifestations les plus visibles de cette influence a été la rhétorique agressive adoptée par Bamako contre l’Algérie, notamment après l’annulation des Accords d’Alger. Cette hostilité a été exacerbée par la propagande marocaine, qui a cherché à décrédibiliser le rôle d’Alger en tant que médiateur dans le conflit malien.
Le Rôle des Réseaux de Drogue Marocains dans l’Insécurité au Nord du Mali
Un Trafic Transsaharien Structurant pour le Terrorisme
Le nord du Mali est depuis plusieurs décennies une plaque tournante du trafic de drogue en Afrique. Une grande partie de ce commerce illicite repose sur l’acheminement de résine de cannabis en provenance du Maroc, qui est ensuite acheminée à travers le Sahara via des réseaux criminels.
Des études menées par des organismes internationaux, dont l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), montrent que le Maroc est l’un des plus grands producteurs mondiaux de résine de cannabis. Cette drogue transite par l’Algérie, la Mauritanie et le Mali, où elle est souvent échangée contre des armes ou de l’argent servant à financer les groupes terroristes opérant dans la région.
Les principaux groupes terroristes actifs dans le Sahel, comme le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), profitent directement de ce trafic. En taxant les convois de drogue qui traversent leurs territoires, ils génèrent des revenus leur permettant d’acheter des armes, de recruter des combattants et de financer leurs opérations.
Une Complicité Tacite des Autorités Marocaines ?
Plusieurs rapports indiquent que les autorités marocaines ferment les yeux sur ce trafic, voire l’encouragent indirectement, dans une logique géopolitique visant à fragiliser l’Algérie et ses voisins sahéliens. En laissant prospérer ce commerce illicite, Rabat alimente l’instabilité dans le Sahel, ce qui affaiblit les États concernés et réduit leur capacité à jouer un rôle régional fort.
L’Algérie, consciente de cette menace, a renforcé sa lutte contre le narcotrafic à ses frontières. Les forces de sécurité algériennes procèdent régulièrement à des saisies record de cannabis marocain, et Alger a alerté à plusieurs reprises les instances internationales sur le rôle du Maroc dans ce commerce criminel.
Cependant, la porosité des frontières et la corruption de certains acteurs locaux compliquent la lutte contre ce fléau. Pour le Mali, cette situation est d’autant plus problématique que le trafic de drogue s’ajoute aux autres sources d’instabilité, notamment les tensions intercommunautaires et l’influence croissante de Wagner.
Prospective : Quel Avenir pour les Relations Algéro-Maliennes ?
1. Un Apaisement Progressif Sous Influence Russe
Si la Russie continue de jouer un rôle de médiateur entre Alger et Bamako, il est possible que les tensions s’atténuent progressivement. Moscou a besoin d’une Algérie stable et coopérative pour mener sa politique en Afrique, et il est probable qu’elle pousse la junte malienne à rétablir des relations plus équilibrées avec Alger.
2. Une Réconciliation Fragile et Opportuniste
Le Mali pourrait chercher à ménager ses relations à la fois avec l’Algérie et le Maroc, sans véritable engagement stratégique. Dans ce cas, la normalisation resterait superficielle et pourrait être remise en cause à tout moment, en fonction des évolutions régionales et des intérêts de la junte.
3. Un Retour des Tensions sous l’Influence de Rabat
Si le Maroc parvient à renforcer son influence au Mali, notamment par des accords économiques et des soutiens diplomatiques, il pourrait encourager Bamako à maintenir une ligne dure contre Alger. Cette stratégie risquerait cependant d’isoler davantage le Mali sur la scène régionale et de compliquer ses relations avec la Russie.
Conclusion
La récente détente entre le Mali et l’Algérie ne signifie pas forcément une réconciliation durable. La Russie joue un rôle clé dans ce rapprochement, mais d’autres forces, comme l’influence marocaine et le narcotrafic sahélien, continuent d’alimenter les tensions.
L’avenir des relations entre les deux pays dépendra en grande partie de la capacité de Bamako à résister aux manœuvres de Rabat et à privilégier une coopération pragmatique avec Alger, notamment en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme. Sans un engagement sincère en faveur de la stabilité régionale, la crise algéro-malienne pourrait se reproduire, avec des conséquences encore plus graves pour l’ensemble du Sahel.
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