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L’Égypte et l’Algérie : Analyse d’un revirement stratégique au sein de l’Union africaine

L’annonce soudaine de la candidature de l’égyptienne Hanan Morsy au poste de vice-présidente de la Commission de l’Union africaine a suscité de nombreuses interrogations, d’autant plus que Le Caire s’était initialement engagé à soutenir Malika Hadadi, candidate algérienne à ce poste. Ce revirement inattendu a surpris les observateurs et soulève plusieurs questions sur les motivations profondes de l’Égypte.

Ce changement de position pourrait être le reflet de tensions sous-jacentes entre l’Algérie et l’Égypte, d’une nouvelle stratégie du Caire en Afrique, ou encore d’influences extérieures pesant sur les choix diplomatiques égyptiens. Cet article propose une analyse détaillée des raisons possibles derrière cette décision et ses implications pour les relations entre les deux pays et leur influence au sein de l’Union africaine.

1. Un réalignement stratégique de l’Égypte sur la scène africaine

Depuis plusieurs années, l’Égypte cherche à renforcer sa présence et son influence au sein des instances africaines. Après avoir été longtemps tournée vers le monde arabe et la Méditerranée, Le Caire a intensifié son engagement sur le continent africain, notamment pour des raisons géopolitiques et économiques.

a) Un retour progressif de l’Égypte en Afrique

L’Égypte a été historiquement un acteur clé au sein de l’Union africaine, mais son influence avait diminué après la révolution de 2011 et la destitution de Mohamed Morsi en 2013. Depuis l’arrivée d’Abdel Fattah al-Sissi au pouvoir, Le Caire a multiplié les efforts pour regagner une position de leadership en Afrique, illustrés par sa présidence de l’UA en 2019 et son implication accrue dans les affaires du continent.

Le fait de présenter une candidate au poste de vice-présidente de la Commission de l’UA pourrait donc être perçu comme une nouvelle étape dans cette stratégie de réinvestissement diplomatique en Afrique.

b) Un moyen de contrebalancer l’influence de l’Algérie

L’Algérie a historiquement joué un rôle majeur en Afrique, notamment grâce à son influence dans les affaires de sécurité et de médiation des conflits (Sahel, Mali, Libye). En soutenant initialement la candidature de Malika Hadadi, l’Égypte semblait en phase avec la logique de concertation qui caractérise généralement ses relations avec Alger.

Cependant, ce revirement pourrait signifier que Le Caire cherche à ne plus se limiter à un rôle de soutien mais à s’imposer directement dans les instances africaines. L’introduction d’une candidature égyptienne pourrait être une manière de contester l’influence algérienne et d’affirmer l’Égypte comme un acteur incontournable au sein de l’UA.

2. Des tensions sous-jacentes entre Alger et Le Caire ?

Officiellement, l’Algérie et l’Égypte entretiennent des relations cordiales et collaborent sur plusieurs dossiers régionaux. Toutefois, il existe des divergences et des rivalités latentes qui pourraient expliquer cette décision inattendue du Caire.

a) Des visions divergentes sur les dossiers régionaux

  • La Libye : une source de tensions
    L’Égypte soutient ouvertement le maréchal Khalifa Haftar dans le conflit libyen, tandis que l’Algérie défend une approche plus neutre et prône une solution politique inclusive. Ces différences de positionnement ont déjà provoqué des frictions entre les deux pays et pourraient expliquer une certaine méfiance réciproque.

  • Le Sahel : une zone d’influence contestée
    L’Algérie est un acteur clé dans la stabilité de la région sahélienne, notamment à travers des initiatives comme l’Accord de paix au Mali. L’Égypte, quant à elle, cherche à s’impliquer davantage dans cette région, notamment à travers des coopérations sécuritaires avec certains pays du Sahel, ce qui pourrait être perçu comme une forme de concurrence par Alger.

  • Le barrage de la Renaissance et les tensions avec l’Éthiopie
    L’un des dossiers les plus sensibles pour l’Égypte est la construction du barrage de la Renaissance par l’Éthiopie sur le Nil. L’Algérie, bien que relativement neutre sur cette question, a entretenu des relations diplomatiques avec Addis-Abeba qui pourraient être vues avec suspicion par Le Caire.

b) Une compétition pour le leadership africain

L’Algérie et l’Égypte sont deux des principales puissances d’Afrique du Nord et cherchent toutes deux à renforcer leur influence sur le continent. Alors que l’Algérie mise sur ses relations historiques avec les pays du Sahel et son rôle diplomatique dans les conflits africains, l’Égypte tente de s’imposer comme un acteur incontournable dans les institutions africaines et les grands projets d’infrastructure.

Dans ce contexte, la candidature égyptienne pourrait être interprétée comme une tentative d’affaiblir l’influence de l’Algérie au sein de l’UA et d’affirmer la position de l’Égypte comme un leader africain à part entière.

3. Une manœuvre dictée par des pressions extérieures ?

L’Égypte entretient des relations étroites avec plusieurs partenaires internationaux, notamment les États-Unis, l’Union européenne et les monarchies du Golfe. Il est possible que des pressions extérieures aient influencé la décision du Caire de présenter sa propre candidate.

a) Une influence des pays du Golfe ?

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont des alliés stratégiques de l’Égypte et ont un intérêt croissant en Afrique, notamment dans le domaine des investissements et de la sécurité. Une intervention de ces acteurs pourrait expliquer la décision égyptienne, si celle-ci s’inscrit dans une volonté plus large d’étendre leur influence sur le continent.

b) Un ajustement aux nouvelles dynamiques internationales

Avec la montée en puissance de nouveaux acteurs en Afrique (Chine, Russie, Turquie), l’Égypte pourrait chercher à s’adapter aux changements géopolitiques et à repositionner sa diplomatie pour mieux défendre ses intérêts.

4. Une stratégie de négociation diplomatique ?

Il est possible que la candidature de Hanan Morsy ne soit pas destinée à aboutir, mais qu’elle serve plutôt de levier diplomatique. En introduisant une concurrente à Malika Hadadi, Le Caire pourrait chercher à :

  • Obtenir des concessions de l’Algérie sur d’autres dossiers régionaux ou africains.
  • Renforcer sa capacité de négociation au sein de l’UA, en se positionnant comme un acteur capable d’influencer les décisions.
  • Tester les rapports de force diplomatiques, notamment en évaluant le soutien dont dispose l’Algérie pour sa candidate.

Cette tactique est courante dans les institutions multilatérales, où les États utilisent parfois des candidatures comme des outils de négociation plutôt que de véritables ambitions électorales.

Conclusion : quelles conséquences pour l’avenir ?

Le revirement égyptien dans cette élection illustre la complexité des relations diplomatiques en Afrique du Nord et au sein de l’Union africaine. Cette décision pourrait entraîner des tensions entre Alger et Le Caire, mais elle reflète surtout une volonté croissante de l’Égypte de jouer un rôle plus actif sur la scène africaine.

L’Algérie, de son côté, pourrait intensifier son lobbying pour garantir l’élection de Malika Hadadi et éviter que cette manœuvre égyptienne ne soit perçue comme une victoire diplomatique du Caire.

Plus largement, cette situation met en lumière les rivalités sous-jacentes qui animent les grandes puissances africaines et la compétition pour le leadership au sein des institutions du continent. Le dénouement de cette élection sera donc crucial pour comprendre les nouvelles dynamiques de pouvoir en Afrique.




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