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La France et le Sahara Occidental : entre pragmatisme diplomatique et reniement du droit international

Depuis la fin des empires coloniaux, la diplomatie française a tenté de maintenir une position d’équilibre entre ses deux partenaires maghrébins incontournables : l’Algérie et le Maroc. Une équation délicate, où la France s’est efforcée, avec plus ou moins de succès, de ne jamais rompre le fil ténu de relations parfois tumultueuses.

Dans le dossier du Sahara Occidental, cette posture a longtemps pris la forme d’un soutien discret mais constant à Rabat, tout en se conformant aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui reconnaissent le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. L’Algérie, fervent défenseur de cette cause et hôte du Front Polisario depuis 1976, a toujours perçu cette position française comme un biais en faveur du Maroc, mais l’a tolérée tant qu’elle ne franchissait pas certaines lignes rouges.

Toutefois, l’année 2024 marque une rupture nette dans cette diplomatie de l’équilibre. En juillet, le président Emmanuel Macron adresse une lettre à Mohammed VI, dans laquelle il reconnaît officiellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Une prise de position qui détonne, tant par sa clarté que par sa rupture avec la prudence historique adoptée par la diplomatie française.

Un virage à contresens du droit international

La reconnaissance française s’inscrit en contradiction directe avec plusieurs décisions majeures du droit international.

D’une part, le Conseil de sécurité de l’ONU, dont la France est membre permanent, continue de prôner une solution respectueuse du principe de décolonisation et du droit du peuple sahraoui à un référendum d’autodétermination. Malgré les blocages diplomatiques, cette ligne est restée intacte dans toutes les résolutions adoptées à ce jour.

D’autre part, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a réaffirmé, dans un arrêt rendu en octobre 2024, que le Sahara Occidental ne fait pas partie du Maroc et que l’exploitation de ses ressources naturelles doit se faire avec le consentement du peuple sahraoui. Cette décision, qui s’inscrit dans la continuité des arrêts précédents de 2016 et 2021, fragilise davantage les accords commerciaux entre le Maroc et ses partenaires européens concernant les richesses du territoire sahraoui.

Face à ces rappels du droit international, la nouvelle ligne diplomatique française semble sourde. Au contraire, elle s’accompagne d’un discours de plus en plus aligné sur les intérêts marocains. À Paris, les publications officielles arborent désormais une carte du "Grand Maroc", englobant le Sahara Occidental, une représentation qui relève d’une forme d'officialisation implicite de cette annexion.

Les raisons d’un alignement sur Rabat

Comment expliquer un tel revirement, qui rompt avec des décennies de diplomatie prudente ? Plusieurs facteurs peuvent être avancés.

  1. Un rapprochement politique et économique opportuniste
    Après une période de tensions marquée par l’affaire Pegasus – où les services marocains ont été accusés d’espionnage contre de hauts responsables français –, la France semble vouloir restaurer son alliance avec Rabat. La visite pharaonique d’Emmanuel Macron en novembre 2024, suivie de celle de Rachida Dati en février 2025, témoigne d’un renforcement spectaculaire des relations bilatérales. La ministre de la Culture a notamment présenté des projets de coopération culturelle s’étendant jusqu’au Sahara Occidental, légitimant ainsi, de facto, l’intégration de ce territoire au Maroc.

  2. Les intérêts des grandes entreprises françaises
    Le Maroc est une terre d’opportunités pour les groupes industriels et financiers français, qui y sont solidement implantés, notamment dans les secteurs bancaire, énergétique et des infrastructures. Ce soutien diplomatique renforcé assure une stabilité des échanges et permet aux entreprises françaises d’élargir leur influence dans la région.

  3. Un contexte électoral délicat en France
    À l’approche des élections municipales, plusieurs villes françaises font preuve de prudence dans leur communication sur la question sahraouie, par crainte de froisser une partie de l’électorat franco-marocain. Cette sensibilité politique se traduit également par une surveillance accrue des initiatives en faveur du Sahara Occidental, notamment au sein de l’Assemblée nationale, où la création d’un groupe d’étude sur la question a été suivie de près par l’ambassade du Maroc à Paris.

L’Algérie, cible collatérale d’une diplomatie révisée

Ce rapprochement franco-marocain ne se fait pas sans heurts avec Alger. Plusieurs responsables français, notamment le ministre de l’Intérieur, ont récemment adopté un ton plus agressif à l’égard de l’Algérie, allant jusqu’à minimiser son combat pour l’indépendance ou critiquer son soutien historique au Front Polisario. Une posture qui tranche avec la reconnaissance officielle, encore récente, des crimes coloniaux commis par la France en Algérie.

L’Algérie, fidèle à sa position, ne fléchit pas dans son soutien au peuple sahraoui. Malgré la marginalisation diplomatique orchestrée par Paris et Rabat, elle continue de défendre le respect du droit international, notamment en appuyant les recours juridiques contre l’exploitation illégale des ressources sahraouies.

Des voix discordantes en France

Si l’Élysée et le gouvernement affichent un alignement clair sur Rabat, plusieurs figures politiques et intellectuelles dénoncent cette dérive et rappellent la nécessité de respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

  • Benjamin Stora, historien reconnu des relations franco-algériennes, exprime son inquiétude face à un tel reniement des principes fondamentaux du droit international.
  • Dominique de Villepin, ancien Premier ministre, rappelle que la diplomatie française a tout à perdre à s’écarter des cadres onusiens.
  • Le Parti communiste français (PCF), le Parti socialiste et les Écologistes ont tous critiqué la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental, dénonçant une décision « irresponsable » et contraire aux engagements de la France.

Enfin, la société civile se mobilise : l’AARASD (Association des Amis de la République Arabe Sahraouie Démocratique) organise une marche pour la liberté des prisonniers politiques sahraouis, prévue dans un mois, afin de sensibiliser l’opinion publique française et internationale à la cause sahraouie.

Conclusion : une rupture aux conséquences lourdes

En reconnaissant officiellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental, la France prend une posture en rupture avec le droit international et se détourne de son rôle historique de puissance médiatrice en Afrique du Nord.

Ce choix pourrait non seulement affaiblir sa crédibilité sur la scène diplomatique, mais aussi envenimer ses relations avec l’Algérie, acteur clé du Maghreb et partenaire énergétique stratégique. Il révèle aussi, en filigrane, une diplomatie dictée par les intérêts économiques et électoralistes, au détriment des principes fondamentaux du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Si cette reconnaissance apporte à court terme des dividendes politiques et économiques à Paris, elle risque de fragiliser durablement la position française au Maghreb et de renforcer la polarisation du conflit sahraoui, éloignant ainsi toute perspective de règlement pacifique.




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