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Le rapprochement russo-algérien et ses implications géopolitiques en Afrique du Nord : Consultation, coordination et reconfigurations régionales

Le rapprochement stratégique entre la Russie et l’Algérie, s’inscrivant dans un contexte de multipolarisation des relations internationales, redessine les contours de la géopolitique en Afrique du Nord. Ce partenariat, marqué par la mise en œuvre de mécanismes de consultation et de coordination sur des dossiers tels que le Sahel, la Libye et le Sahara occidental, soulève des questions cruciales sur l’équilibre régional et l’impact des rivalités mondiales dans cette zone stratégique. Cet article explore les dimensions de ce rapprochement, ses effets sur les crises locales et ses implications sur la stabilité régionale.



1. Les fondements du rapprochement russo-algérien

1.1. Un partenariat historique et stratégique

Depuis les années 1960, l’Algérie et la Russie (héritière de l’Union soviétique) entretiennent une coopération étroite, notamment sur le plan militaire. L’Algérie reste l’un des principaux importateurs d’armes russes, tandis que Moscou voit en Alger un allié stratégique pour étendre son influence en Afrique et contrer l’hégémonie occidentale. Ce partenariat repose sur des valeurs partagées de non-ingérence et d’opposition aux interventions occidentales dans les affaires régionales.

1.2. Un contexte international favorable

La montée en puissance des rivalités entre grandes puissances – États-Unis, Union européenne, Chine et Russie – a offert à Moscou une occasion de consolider son influence en Afrique du Nord. L’Algérie, soucieuse de diversifier ses alliances et de faire face aux instabilités croissantes dans le Sahel, une région stratégique dont les dynamiques impactent directement sa sécurité nationale, perçoit en la Russie un partenaire de premier plan. Moscou se révèle ainsi capable de soutenir les positions stratégiques algériennes sur des dossiers cruciaux, notamment celui du Sahara occidental.

2. Mécanismes de consultation et coordination : Sahel, Libye et Sahara occidental

2.1. Le Sahel : Une coordination sécuritaire accrue

Le Sahel, foyer d’instabilité marqué par l’expansion des groupes armés et des trafics transnationaux, est au cœur des préoccupations sécuritaires de l’Algérie. En renforçant ses consultations avec la Russie, Alger cherche à :

  • Partager des renseignements stratégiques : La Russie, via des réseaux comme le groupe Wagner, dispose d’une présence dans certains États sahéliens, notamment au Mali, qui complète l’expertise algérienne sur la région.
  • Renforcer les capacités militaires : Les exercices conjoints et les transferts d’armes russes permettent à l’Algérie de mieux répondre aux menaces transfrontalières.
  • Soutenir une architecture de sécurité régionale : L’Algérie et la Russie militent pour des solutions endogènes aux crises sahéliennes, rejetant les approches occidentales jugées inefficaces.

2.2. La Libye : Stabilisation et divergences potentielles

La Libye, plongée dans le chaos depuis 2011, constitue un terrain de coopération complexe.

  • L’Algérie privilégie une solution politique inclusive pour éviter la propagation de l’instabilité à ses frontières.
  • La Russie, quant à elle, soutient principalement le maréchal Haftar, un acteur clé de l’Est libyen.
    Les consultations bilatérales visent à aligner leurs stratégies, notamment sur la lutte contre les milices armées et la stabilisation économique. Toutefois, des divergences subsistent quant aux acteurs à privilégier dans le processus de paix.

2.3. Le Sahara occidental : Une polarisation accrue

Le Sahara occidental revêt une importance capitale pour la sécurité nationale algérienne, en raison des ambitions expansionnistes du régime marocain, dont les visées s'étendent jusqu'à des territoires algériens.

  • L’Algérie soutient le Front Polisario et milite pour un référendum d’autodétermination.
  • La Russie, historiquement neutre, pourrait s’aligner davantage sur la position algérienne, notamment en bloquant des initiatives pro-marocaines au Conseil de sécurité de l’ONU.
    Ce soutien renforcé pourrait polariser davantage le conflit, notamment face à des puissances occidentales favorables au plan d’autonomie marocain.

3. Effets sur la géopolitique en Afrique du Nord

3.1. Une marginalisation accrue des puissances occidentales

Le rapprochement entre Moscou et Alger reflète un rejet de l’influence occidentale dans la région.

  • La France, autrefois acteur dominant au Sahel, est de plus en plus contestée par des États sahéliens et par des puissances comme la Russie.
  • L’Union européenne et les États-Unis risquent de perdre du terrain dans leurs efforts pour stabiliser la région, notamment face à une Russie proactive et à une Algérie renforcée.

3.2. Une intensification des rivalités régionales

Le partenariat russo-algérien exacerbe les tensions avec le Maroc, qui bénéficie du soutien des États-Unis et d’Israël. Cette rivalité se traduit par :

  • Une course aux armements entre Alger et Rabat, avec des implications pour la stabilité régionale.
  • Une compétition accrue dans le domaine énergétique, notamment sur les projets de gazoducs à destination de l’Europe.

3.3. Une recomposition des alliances

L’Algérie pourrait se positionner comme un pivot géopolitique en Afrique du Nord, attirant d’autres partenaires africains et asiatiques dans son orbite. La Russie, de son côté, utiliserait ce partenariat pour consolider son rôle en Afrique et fragiliser les positions occidentales.

4. Défis et limites du rapprochement russo-algérien

4.1. Une dépendance stratégique

Si l’Algérie bénéficie de ce partenariat, elle risque également de dépendre davantage de Moscou, ce qui pourrait limiter son autonomie diplomatique.

4.2. Des tensions internes

Le rapprochement avec la Russie pourrait susciter des réticences au sein de la société algérienne, notamment si des concessions sont perçues comme contraires aux intérêts nationaux.

4.3. Une réaction occidentale

Les puissances occidentales pourraient renforcer leur soutien au Maroc et accentuer la pression sur l’Algérie, ce qui pourrait aggraver les tensions régionales.

5. Conclusion : Une Afrique du Nord en mutation

Le rapprochement entre la Russie et l’Algérie marque un tournant dans la géopolitique de l’Afrique du Nord. En coordonnant leurs actions sur le Sahel, la Libye et le Sahara occidental, les deux pays redessinent les dynamiques régionales, au risque de polariser davantage les conflits. Si ce partenariat offre des opportunités pour contrer l’instabilité et rééquilibrer les influences internationales, il comporte également des défis majeurs qui pourraient compliquer la quête de stabilité et de prospérité dans cette région stratégique. Une gestion prudente et concertée sera essentielle pour éviter que ce rapprochement ne devienne un facteur de division plutôt qu’un levier de stabilisation.


Belgacem Merbah



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