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La présence persistante de clandestins marocains en Algérie : une problématique complexe entre enjeux sécuritaires et contradictions politiques

Malgré l’instauration par l’Algérie, en septembre dernier, d’un régime de visas à l’encontre des ressortissants marocains, on estime qu’il existe toujours plus d’un million de clandestins marocains sur le sol algérien. Ce chiffre interpelle sur plusieurs niveaux : d’une part, il soulève des interrogations quant à l’efficacité des mesures migratoires algériennes, et d’autre part, il met en lumière les risques sécuritaires associés à cette présence, dans un contexte de tensions exacerbées entre les deux voisins du Maghreb.


Un contexte de tensions diplomatiques et de guerre cognitive

Depuis plusieurs années, les relations entre l’Algérie et le Maroc se sont gravement détériorées, atteignant un point de rupture en 2021 avec la cessation officielle des relations diplomatiques. L’Algérie accuse régulièrement le Maroc de mener une « guerre cognitive » contre elle, notamment par le biais d’une propagande médiatique et d’actions hostiles, comme l’incitation au séparatisme en Kabylie ou encore le soutien à des campagnes de déstabilisation. Cette méfiance s’inscrit également dans un cadre international marqué par des soupçons de coopération entre des acteurs marocains et des services de renseignement étrangers, notamment le Mossad israélien.

Dans un tweet en mai 2022, le journaliste français Georges Malbrunot a affirmé que la communauté marocaine en France avait été utilisée par le Mossad comme levier d’influence pour des activités de renseignement et d’espionnage. Ces révélations, bien qu’orientées principalement vers l’Europe, ont des implications importantes pour l’Algérie, qui redoute l’infiltration d’éléments hostiles sur son territoire. Dans ce contexte, la présence massive de clandestins marocains, potentiellement non contrôlés, alimente les craintes algériennes d’une exploitation sécuritaire de cette situation par des acteurs externes.


Les enjeux sécuritaires : une problématique stratégique

La question des clandestins marocains en Algérie ne se limite pas à une dimension migratoire. Elle s’accompagne d’un véritable défi sécuritaire. Avec des frontières poreuses, en particulier dans les régions désertiques du sud-ouest, il est difficile pour l’Algérie de contrôler les flux migratoires. Cette situation est aggravée par la fermeture officielle des frontières terrestres entre les deux pays depuis 1994, ce qui pousse les migrants marocains à emprunter des routes clandestines dangereuses, souvent contrôlées par des réseaux de trafic humain.

Le risque sécuritaire est double. Premièrement, la présence de clandestins peut représenter une vulnérabilité en termes de renseignement, notamment dans le contexte des accusations portées contre le Maroc de collaborer avec des services étrangers. Deuxièmement, l’infiltration de réseaux criminels, voire d’éléments extrémistes, est une autre menace pour la stabilité intérieure de l’Algérie. L’implantation de ces réseaux pourrait faciliter des actions déstabilisatrices dans un pays déjà confronté à des défis de sécurité, notamment dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.

Une contradiction algérienne : pourquoi tolérer cette situation ?

Malgré ces risques, une question demeure : pourquoi l’Algérie semble-t-elle tolérer la présence massive de clandestins marocains sur son territoire ? Cette situation paraît paradoxale, étant donné la posture officielle algérienne vis-à-vis du Maroc et les accusations répétées de « guerre cognitive ». Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette apparente contradiction :

  1. Un enjeu humanitaire et social : Les clandestins marocains en Algérie travaillent principalement dans des secteurs informels, tels que l’agriculture, la construction ou le commerce. Leur expulsion massive poserait un problème humanitaire et pourrait également déstabiliser certains secteurs économiques algériens qui dépendent de cette main-d’œuvre.

  2. Un effet économique paradoxal : Bien que ces migrants clandestins envoient chaque année plusieurs milliards d’euros à leurs familles restées au Maroc, soutenant ainsi indirectement l’économie marocaine, leur contribution économique locale n’est pas négligeable. Ils participent à des activités qui profitent, à court terme, à certaines dynamiques économiques régionales en Algérie.

  3. Une incapacité logistique : La surveillance et l’expulsion d’un million de clandestins représentent une entreprise coûteuse et complexe. Les capacités logistiques et administratives de l’Algérie sont mises à rude épreuve, notamment dans un contexte où d’autres priorités, comme la sécurité aux frontières ou la lutte contre le terrorisme, monopolisent déjà d’importantes ressources.

  4. Une stratégie implicite : Certains observateurs suggèrent que l’Algérie pourrait, dans une certaine mesure, instrumentaliser la présence de ces clandestins pour démontrer la faiblesse de la gestion marocaine des flux migratoires ou pour en faire un levier dans d’éventuelles négociations futures avec son voisin.

Quelles solutions pour l’Algérie ?

La gestion de cette situation nécessite une approche équilibrée, tenant compte à la fois des impératifs sécuritaires et des réalités économiques et sociales. L’Algérie pourrait renforcer ses contrôles aux frontières en investissant davantage dans des technologies de surveillance et en coopérant avec des partenaires régionaux pour mieux réguler les flux migratoires. Par ailleurs, la mise en place de programmes d’intégration ou de régularisation partielle pourrait être envisagée pour les clandestins qui contribuent à l’économie locale, tout en appliquant des mesures plus strictes contre les réseaux de trafic humain.

Enfin, sur le plan diplomatique, il est essentiel que l’Algérie et le Maroc trouvent des canaux de dialogue, même limités, pour aborder les questions migratoires et sécuritaires. La gestion de cette crise dépasse les seules capacités de l’Algérie et nécessite une coopération régionale, bien que celle-ci soit aujourd’hui rendue difficile par les tensions politiques.

Conclusion

La présence persistante de clandestins marocains en Algérie met en lumière une problématique complexe, où se croisent enjeux sécuritaires, contradictions politiques et dynamiques économiques. Dans un contexte de méfiance mutuelle entre Alger et Rabat, il est crucial que l’Algérie adopte une stratégie cohérente pour protéger sa sécurité intérieure tout en prenant en compte les réalités sociales et économiques liées à cette migration clandestine. Faute de solution efficace, cette situation pourrait continuer à alimenter les tensions entre les deux pays et à fragiliser davantage la région.




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