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La France et la question du Sahara occidental : les dynamiques d’une réévaluation stratégique sous contrainte

La France a longtemps cultivé une posture d’équilibre entre le Maroc et l’Algérie sur la question du Sahara occidental, mais cette politique n’a été qu’un artifice. En réalité, Paris a régulièrement soutenu Rabat, non seulement pour des raisons historiques et géostratégiques, mais aussi pour préserver ses intérêts économiques et sécuritaires en Afrique du Nord. Cependant, ce soutien implicite s’est accentué ces dernières années, au point de mettre en péril ses relations avec Alger. Pourquoi ce virage ? Quels facteurs ont conduit la France à s’aligner davantage sur les positions marocaines ? En décryptant les pressions structurelles et conjoncturelles, cet article met en lumière une décision autant stratégique que contrainte, marquée par la fragilité du régime marocain, la perte d’influence française en Afrique, et l’urgence de repositionner sa politique étrangère dans un contexte mondial en mutation.

1. Un soutien français discret mais stratégique au Maroc

Un appui structurel de longue date

Depuis les années 1970, la France a été l’un des principaux soutiens diplomatiques et économiques du Maroc. Ce partenariat repose sur des piliers historiques :

  • Proximité culturelle et historique : Héritage de la période coloniale, mais également des relations privilégiées entre les élites politiques et économiques des deux pays.
  • Rôle du Maroc comme pivot régional : Rabat est vu comme un bastion de stabilité en Afrique du Nord, dans une région marquée par les turbulences (printemps arabes, guerre en Libye).
Le rôle de la France à l’ONU

Bien que la France n’ait jamais exercé son droit de veto en faveur du Maroc concernant le Sahara occidental, elle a systématiquement utilisé son influence pour soutenir les positions marocaines :

  • En bloquant les initiatives visant à élargir le mandat de la MINURSO à la surveillance des droits de l’homme, répondant ainsi aux critiques sur la gestion marocaine dans le territoire disputé.
  • En veillant à ce que les résolutions onusiennes sur le Sahara occidental restent favorables à Rabat, tout en évitant de heurter frontalement les positions algériennes et internationales.
La diplomatie économique et militaire

Le soutien français ne s’est pas limité aux sphères politiques :

  • Investissements économiques : De grands groupes français, tels que Renault, Total, et Alstom, sont fortement implantés au Maroc, consolidant l’interdépendance économique.
  • Coopération militaire : La France est un fournisseur clé en équipements militaires pour le Maroc, renforçant ainsi l’alliance stratégique bilatérale.

Cependant, cette dynamique, bien que stable pendant des décennies, est récemment devenue source de tensions croissantes avec l’Algérie, qui perçoit ce rapprochement comme une hostilité implicite à ses propres intérêts régionaux.

2. Un repositionnement stratégique dicté par la perte d’influence en Afrique

Une perte d’influence sans précédent

Depuis les années 2010, la France a vu son rôle décliner en Afrique, un continent où elle exerçait historiquement une influence dominante. Plusieurs facteurs expliquent ce recul :

  1. Rejet du néocolonialisme : Une vague d’hostilité envers la présence française s’est propagée dans plusieurs pays africains, notamment au Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger).
  2. Expulsions militaires : Les récentes décisions du Mali, du Burkina Faso, et de la Côte d’Ivoire d’exiger le départ des troupes françaises témoignent d’un rejet croissant de l’intervention militaire française.
  3. Concurrence accrue : Des puissances comme la Chine, la Russie (via le groupe Wagner), et la Turquie ont comblé le vide laissé par la France, notamment en offrant des alternatives économiques et sécuritaires aux pays africains.
Le Maroc comme levier d’influence

Face à cet affaiblissement, Paris semble avoir misé sur le Maroc comme relais stratégique pour préserver une partie de son influence en Afrique. Rabat, grâce à ses relations avec de nombreux pays africains, notamment en Afrique de l’Ouest, représente un partenaire clé pour Paris dans ses ambitions de redéploiement. Ce choix, bien qu’opportuniste, comporte des risques, notamment vis-à-vis de l’Algérie.

3. La fragilité du régime marocain : un allié sous pression

Le choix français de renforcer son soutien au Maroc intervient à un moment où le régime marocain est confronté à des défis internes majeurs :

  1. Une crise économique et sociale profonde

    • Précarité croissante : L’inflation galopante et la montée de la pauvreté aggravent les inégalités sociales, suscitant des tensions dans une société marocaine déjà fragilisée.
    • Crise de confiance : Le mécontentement populaire est de plus en plus palpable, notamment dans les zones rurales, longtemps négligées par le développement économique.
  2. Une transition politique incertaine

    • La santé déclinante du roi Mohammed VI a révélé les failles d’un système fortement centralisé autour de la monarchie.
    • Le prince héritier Moulay Hassan, bien qu’entraîné à succéder au trône, fait face à des intrigues de palais et à des rivalités internes susceptibles de déstabiliser le régime à court terme.
  3. La question du Sahara occidental comme bouée de sauvetage

    • Pour le régime marocain, la question du Sahara occidental constitue un pilier central de sa légitimité. Tout soutien international, en particulier de la France, est donc crucial pour maintenir une façade d’unité nationale face aux défis internes.

4. Les conséquences d’un pari risqué : tensions avec l’Algérie

Une rupture diplomatique et sécuritaire

En adoptant une posture plus prononcée en faveur du Maroc, la France s’est exposée à une détérioration de ses relations avec l’Algérie. Cette rupture se manifeste par :

  1. Un gel des relations bilatérales : L’Algérie a réagi avec fermeté, rappelant son ambassadeur à Paris à plusieurs reprises et réduisant les échanges économiques et sécuritaires.
  2. Un impact sur la coopération antiterroriste : L’Algérie, acteur clé dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, pourrait limiter sa coopération avec la France, compliquant davantage la gestion des crises régionales.
Un risque énergétique

Dans un contexte de crise énergétique mondiale, la France pourrait payer un prix élevé pour cette détérioration. L’Algérie, l’un des principaux fournisseurs de gaz naturel de l’Europe, pourrait réorienter ses exportations vers d’autres partenaires, notamment la Chine ou la Russie, privant la France d’un atout stratégique.

Conclusion : Une stratégie dictée par les contraintes

Le basculement de la position française sur le Sahara occidental est moins un choix réfléchi qu’une réponse contrainte à un contexte mondial et régional défavorable. Pris en étau entre la perte de son influence en Afrique et la fragilité du régime marocain, Paris a fait un pari risqué en renforçant son soutien à Rabat, au détriment de ses relations avec Alger. À court terme, cette stratégie pourrait sembler bénéfique pour consolider une alliance avec le Maroc. Toutefois, à long terme, elle risque de compromettre durablement les relations de la France avec l’Algérie, de fragiliser sa position en Afrique du Nord, et de limiter ses capacités à jouer un rôle d’arbitre dans une région stratégique et instable. La France devra donc rapidement repenser sa diplomatie régionale pour éviter de s’enfermer dans une logique de confrontation qui pourrait s’avérer coûteuse, aussi bien politiquement qu’économiquement.


Belgacem Merbah

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