Depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie en 2011, la région a été le théâtre d'enjeux géopolitiques complexes mêlant puissances régionales et mondiales. L’effondrement progressif du régime de Bachar al-Assad a conduit à une nouvelle redistribution des cartes, avec une probable entente entre la Turquie, la Russie et l’Iran pour un transfert de pouvoir contrôlé. Ce basculement stratégique soulève également des questions concernant l’attitude d’Israël, en particulier sur sa politique d’annexion du plateau du Golan, qui s’inscrit dans une ambition plus large : la réalisation du projet du Grand Israël.
1. Les acteurs en présence : un équilibre délicat
Trois principales factions s’opposaient au régime syrien :
- Les Kurdes, qui cherchent à établir une autonomie dans le nord de la Syrie.
- Les groupes salafistes-djihadistes affiliés à Daesh, dont les objectifs reposent sur l’instauration d’un califat transnational.
- Les factions soutenues par la Turquie, issues principalement de la mouvance des Frères musulmans.
Aujourd'hui, c’est la Turquie qui semble tirer profit de la situation en plaçant ses alliés au pouvoir. Sous le contrôle turc, le nouveau gouvernement syrien adopte un discours de réconciliation nationale, promettant la sécurité des fonctionnaires de l’État, le respect des minorités ethniques et religieuses, ainsi que la protection des droits des femmes.
2. L’annexion du Golan par Israël : vers un projet expansionniste
Le plateau du Golan, stratégiquement situé entre Israël, la Syrie et le Liban, a été occupé par Israël durant la guerre des Six Jours en 1967, puis annexé en 1981, une décision unilatérale jamais reconnue par la communauté internationale (Résolution 497 du Conseil de sécurité de l’ONU).
Objectifs stratégiques et sécuritaires d’Israël
- Contrôle militaire : Le Golan constitue un bouclier stratégique offrant à Israël une position dominante sur les plaines syriennes et libanaises, facilitant la surveillance militaire.
- Ressources en eau : Le Golan abrite d’importantes réserves d’eau douce alimentant le lac de Tibériade, crucial pour l’agriculture et l’approvisionnement en eau d’Israël.
- Ambition du Grand Israël : L’occupation du Golan s’inscrit dans une vision géopolitique à long terme. Certains courants sionistes radicaux prônent l’expansion des frontières israéliennes pour englober des territoires bibliquement revendiqués, tels que le sud du Liban, la Cisjordanie, Gaza et une partie de la Syrie. Ce concept, souvent désigné par le projet du « Grand Israël », repose sur une rhétorique messianique et expansionniste.
En bombardant systématiquement les aéroports syriens, les infrastructures militaires et les dépôts d’armes, Israël cherche à affaiblir durablement les nouvelles autorités syriennes tout en consolidant sa mainmise sur le Golan. Toutefois, cette attitude belliqueuse accentue l’hostilité régionale et nourrit la résistance contre l’État hébreu, notamment via des acteurs tels que le Hezbollah libanais.
Impact sur la dynamique régionale
L’extension de l’occupation du Golan a déclenché une condamnation générale, y compris de pays traditionnellement alignés sur les États-Unis et Israël. Cette annexion, perçue comme une provocation supplémentaire, a accentué la défiance de l’opinion publique mondiale à l’égard de l’État hébreu, déjà fragilisé par la crise humanitaire à Gaza.
3. Le rôle des puissances régionales : un accord pragmatique
La réorganisation du pouvoir en Syrie semble être le fruit d’une entente entre la Turquie, la Russie et l’Iran. Cet accord permet à chaque acteur d’atteindre ses objectifs stratégiques :
- La Turquie s’impose comme la tutrice de la Syrie, annihilant toute tentative kurde de créer un État indépendant.
- La Russie maintient ses intérêts militaires à Tartous et Hmeimim tout en se désengageant économiquement du bourbier syrien.
- L’Iran, malgré la perte d’une partie de son influence, obtient une relative sécurité en réduisant le risque d’une confrontation avec Israël.
Israël, qui n’a pas été associé à cette nouvelle donne, adopte une posture de défiance agressive. La poursuite de son rêve expansionniste risque toutefois de s’avérer contre-productive :
- Elle exacerbe les tensions avec la Turquie et la Russie.
- Elle renforce l’axe de la résistance régionale, incarné par le Hezbollah et soutenu par l’Iran.
- Elle discrédite davantage Israël sur la scène internationale, où ses politiques expansionnistes et ses violations du droit international alimentent une perception d’État colonial et génocidaire.
4. Conséquences géopolitiques : les gagnants et les perdants
Les gagnants
- La Turquie : En sortant victorieuse, elle réaffirme son rôle de puissance régionale, consolide son influence en Syrie et renforce son contrôle sur les Kurdes.
- La Russie : Elle sécurise ses bases militaires en Syrie tout en se libérant des coûts économiques de la guerre.
- La Syrie : Malgré une souveraineté réduite, elle bénéficie d’une perspective de reconstruction économique sous la tutelle turque.
Les perdants
- L’Iran et le Hezbollah : Leur influence recule temporairement, même si leur capacité de nuisance reste intacte.
- Israël : Bien qu’il ait éliminé un rival immédiat (le régime syrien), il se retrouve face à une Syrie désormais sous influence turque, ce qui constitue un défi stratégique.
5. Une perspective de stabilisation ou de chaos ?
Si l’accord entre la Turquie, la Russie et l’Iran tient, la région pourrait connaître une désescalade progressive, limitant les risques d’une guerre mondiale. Toutefois, l’expansionnisme israélien au Golan et la poursuite de son projet du Grand Israël risquent de provoquer de nouvelles tensions. Ce projet, perçu comme une ambition colonialiste, pourrait :
- Relancer la résistance armée dans la région, notamment par le Hezbollah.
- Isoler davantage Israël sur la scène internationale.
- Exacerber les rivalités régionales, entre Israël, la Turquie et l’Iran.
Conclusion
Le changement de régime en Syrie s’inscrit dans une réorganisation régionale où la Turquie, la Russie et l’Iran dominent. Israël, bien qu’ayant consolidé son contrôle sur le Golan, voit son rêve du Grand Israël confronté à des réalités géopolitiques complexes. La stabilisation ou le chaos dépendront de la capacité des acteurs à respecter cet équilibre fragile. Toutefois, si Israël poursuit son expansion au détriment du droit international, le Moyen-Orient risque d’entrer dans une nouvelle phase de conflit ouvert, avec des conséquences régionales et mondiales majeures.
Belgacem Merbah
Références :
- Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution 497 (1981).
- Chomsky, N. La Guerre au Moyen-Orient : Perspectives géopolitiques (2020).
- Finkelstein, N. Israël et le droit international (2018).
- Beauchamp, Z. « The Golan Heights: Why Israel's Occupation Matters », Vox, 2019.
- Pappé, I. The Ethnic Cleansing of Palestine (2006).
- Al Jazeera, "Israel's Annexation of the Golan Heights: Implications and Challenges", 2021.
- Fakir, I. « La Turquie en Syrie : Ambitions et réalités », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 2022.
Commentaires
Enregistrer un commentaire