La guerre cognitive qui oppose le Maroc et l’Algérie dépasse aujourd’hui la simple rivalité politique ou diplomatique. Elle se matérialise par une bataille d’informations, d’influence et de manipulation des perceptions, visant à modeler les opinions publiques et à influencer la scène internationale. À travers des exemples concrets de campagnes de désinformation, de propagande médiatique et d’influence numérique, il est possible de saisir l’ampleur de cette guerre cognitive et son impact à long terme.
1. Conflit du Sahara Occidental : Une Guerre de Narratifs
Le Sahara occidental est l’un des principaux enjeux de la guerre cognitive entre le Maroc et l’Algérie. Ce territoire, revendiqué par le Maroc mais soutenu dans ses aspirations d’indépendance par l’Algérie, est au cœur d’une lutte acharnée pour le contrôle de l’opinion publique internationale.
Exemple de campagne : La reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine
En décembre 2020, les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Cette reconnaissance a été relayée de manière intensive par la diplomatie et les médias marocains, renforçant l’image du Maroc en tant que puissance en pleine ascension, appuyée par les grandes puissances mondiales. En Algérie, cet événement a été perçu comme une menace stratégique, et les médias algériens ont dénoncé cette décision comme un affront au droit international et au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.
Pour contrer cette annonce, l’Algérie a intensifié ses actions diplomatiques et médiatiques pour souligner l’illégalité de l’occupation marocaine selon les résolutions de l’ONU, diffusant des reportages et des analyses qui renforcent la position pro-Polisario. Parallèlement, des plateformes pro-marocaines ont multiplié des articles et des vidéos expliquant la légitimité historique et culturelle du Maroc sur ce territoire, visant ainsi à justifier l’annexion aux yeux du public international.
2. Les Réseaux Sociaux comme Arènes d’Influence
Les réseaux sociaux, devenus des terrains d’influence privilégiés, permettent de toucher une audience large et diversifiée, et sont utilisés de manière intensive par les deux pays pour influencer les perceptions.
Exemple : Twitter et les campagnes de hashtags
Des campagnes de hashtags pro-marocains et pro-sahraouis se sont multipliées sur Twitter, avec des utilisateurs marocains promouvant le hashtag #LeSaharaEstMarocain, tandis que des soutiens de la cause sahraouie et algérienne utilisent #FreeWesternSahara pour contrer le narratif marocain. Ces hashtags sont souvent accompagnés de fausses informations, de photographies sorties de leur contexte, ou de vidéos anciennes qui visent à susciter l’émotion et à rallier des soutiens dans un contexte géopolitique déjà tendu.
Exemple : Propagande numérique et influenceurs
Au Maroc, des influenceurs nationaux et internationaux sont souvent sollicités pour publier du contenu valorisant les positions marocaines et mettant en avant le dynamisme économique et touristique du pays. À l’inverse, des pages Facebook et comptes Twitter algériens accusent régulièrement le Maroc de manipuler l’opinion publique pour légitimer l’occupation du Sahara, en publiant des contenus critiques qui dénoncent la répression des militants sahraouis et les violations des droits humains.
3. Déstabilisation Politique : Attaques Mutuelles sur les Affaires Internes
Dans le cadre de cette guerre cognitive, les deux pays tentent de saper la crédibilité du régime de l’autre, en amplifiant les crises internes et en renforçant les tensions sociales. Ces stratégies visent à donner l’image d’une instabilité chronique chez le voisin, sapant ainsi sa légitimité interne et internationale.
Exemple : L’exploitation de la crise politique en Algérie
Pendant le mouvement de protestation du Hirak en Algérie, les médias marocains ont largement couvert ces événements en mettant l’accent sur les faiblesses du régime algérien et en soulignant l’ampleur de la contestation populaire. Des sites pro-marocains ont souvent relayé des vidéos de manifestations ou des interviews de figures du Hirak pour illustrer l’instabilité du régime algérien. Cette médiatisation marocaine visait à affaiblir la légitimité de l’État algérien aux yeux de ses citoyens et à susciter un doute sur la capacité des autorités algériennes à maintenir l’ordre et la stabilité.
Exemple : Crise diplomatique autour des incendies de Kabylie
Lors des incendies de forêt qui ont ravagé la région de Kabylie en Algérie en 2021, les réseaux sociaux et médias marocains ont diffusé des informations critiquant la gestion de cette crise par les autorités algériennes. Ces informations, parfois amplifiées par des campagnes de désinformation, visaient à montrer une défaillance de l’État algérien. Parallèlement, les autorités algériennes ont accusé le Maroc de soutenir des mouvements séparatistes en Kabylie, alimentant ainsi les soupçons et la méfiance.
4. Relations Internationales : Une Guerre de Lobbying et d’Influence
La guerre cognitive entre le Maroc et l’Algérie dépasse les frontières du Maghreb et s’étend aux grandes capitales internationales, où les deux pays tentent d’influencer les positions diplomatiques de leurs partenaires.
Exemple : Lobbying au sein des institutions européennes et américaines
Le Maroc a investi de manière significative dans des campagnes de lobbying au sein de l'Union européenne et aux États-Unis, mobilisant des agences et des cabinets de relations publiques pour défendre sa position sur le Sahara occidental. Ce lobbying a permis au Maroc d’obtenir des soutiens diplomatiques, mais aussi des accords commerciaux favorables, tels que l'inclusion du Sahara dans les accords de pêche avec l’Union européenne, une décision qui a été vivement contestée par l’Algérie.
De son côté, l’Algérie soutient les instances internationales en faveur du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, en appuyant des résolutions de l’ONU et en collaborant avec des associations de défense des droits de l’homme pour dénoncer les violations dont sont victimes les Sahraouis. Cette approche vise à maintenir la question sahraouie comme un enjeu de droit international et à éviter que l’annexion marocaine ne soit perçue comme définitive.
5. Impact de la Guerre Cognitive sur les Relations entre les Deux Peuples
Cette guerre cognitive ne se limite pas aux cercles politiques ; elle a des effets sur les relations entre les peuples marocain et algérien, renforçant les préjugés et exacerbant les tensions culturelles.
Exemple : Le rôle des médias dans la perception mutuelle
Les médias nationaux des deux pays diffusent régulièrement des reportages ou des articles d'opinion qui soulignent les défauts de l’autre camp. En Algérie, les médias présentent souvent le Maroc comme un pays dépendant économiquement de ses relations avec des puissances occidentales, et insistent sur les problèmes sociaux qui minent le royaume. Au Maroc, les médias se concentrent sur les crises politiques algériennes et mettent en avant l’aspect autoritaire du régime algérien, contribuant ainsi à créer une méfiance mutuelle entre les populations.
Conclusion : Une Escalade au Risque de la Stabilité Régionale
La guerre cognitive entre le Maroc et l’Algérie est un conflit aux conséquences réelles sur la stabilité régionale. En manipulant les informations et les perceptions, chaque pays cherche à prendre l’avantage dans une rivalité qui semble sans fin. Cependant, cette guerre de l’information comporte des risques importants. Elle crée une polarisation accrue au sein des populations, rend difficile toute tentative de dialogue, et compromet les chances de coopération maghrébine, pourtant essentielle dans un monde globalisé.
Pour parvenir à une stabilité durable dans la région, il devient urgent de trouver des voies de dialogue et de réduire l’intensité de cette guerre cognitive, dont les effets divisent et isolent davantage les peuples de deux pays.
Belgacem Merbah
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