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Méga-projet de Gara Djebilet : Pourquoi suscite-t-il autant d’intérêt dans les médias marocains ? Le Maroc est-il réellement dans son bon droit ? Et la convention de 1972 demeure-t-elle contraignante pour l’Algérie ?

Depuis que le gouvernement algérien a décidé de relancer le projet stratégique de la mine de Gara Djebilet (1), la presse marocaine, qu’elle soit officielle ou officieuse, s’est empressée de s’emparer du sujet, invoquant un prétendu « droit historique » du Maroc sur ce gisement. Selon la version avancée par Rabat, Hassan II aurait accepté le tracé des frontières entre le Maroc et l’Algérie en contrepartie d’un droit d’usufruit sur la mine de Gara Djebilet. Or, les documents signés et ratifiés par les deux États racontent une tout autre histoire (2). Nous reviendrons en détail sur ce point dans cet article, afin de déconstruire cette propagande marocaine destinée à un usage interne, dont l’objectif est de maintenir le peuple marocain dans l’illusion d’un retour à une grandeur passée… qui n’a en réalité jamais existé.

Avant de répondre aux affirmations marocaines, commençons par présenter brièvement le méga-projet de Gara Djebilet : de quoi s’agit-il exactement ?


1) Le méga projet de Gara Djebilet en quelques mots

La mine de Gara Djebilet, située dans la wilaya de Tindouf en Algérie, est entrée en exploitation en juillet 2022. Elle se classe parmi les plus vastes gisements de fer au monde, avec des réserves estimées à 3,5 milliards de tonnes, dont 1,7 milliard sont exploitables. Le site s’étend sur plus de 131 km² et recèle près de 2 milliards de tonnes de minerai, affichant une teneur moyenne en fer de 58,57 %.


L’exploitation industrielle du minerai de Gara Djebilet s’articule autour de deux phases essentielles :

  • Phase 1 (2022-2025) : une production annuelle estimée entre 2 et 3 millions de tonnes.
  • Phase 2 (à partir de 2026) : avec la mise en service de la ligne ferroviaire reliant Gara Djebilet à Abadla (wilaya de Béchar), la production devrait atteindre près de 50 millions de tonnes par an.

Ce projet dépasse largement la simple extraction minière. Son ambition est de bâtir une chaîne de valeur complète, transformant le minerai en produits à forte valeur ajoutée. Il s’agit d’un programme intégré qui propulsera l’Algérie au rang des acteurs majeurs de l’industrie sidérurgique mondiale, tout en mettant fin à l’importation de minerai de fer (actuellement évaluée à 1 milliard de dollars par an). Les revenus attendus sont estimés à au moins 10 milliards de dollars d’ici 2026.

2) Pourquoi ce projet focalise l'intérêt des médias marocains ?

Le contexte étant désormais posé, examinons pourquoi ce projet algérien attire autant l’attention des médias marocains. Il est de notoriété publique que la liberté de la presse est quasi inexistante au Maroc : les journalistes indépendants et intègres y sont soit emprisonnés, soit contraints à l’exil. Les médias marocains jouent avant tout le rôle de porte-voix des orientations politiques du régime. Depuis son indépendance, le Maroc a déployé des efforts considérables pour ancrer dans l’opinion publique la théorie du « Grand Maroc », à travers les programmes scolaires, la propagande audiovisuelle, la constitution et divers instruments idéologiques. Ce nationalisme repose sur trois piliers fondamentaux :

  • L’hostilité envers l’Algérie : plus les critiques sont virulentes, plus leur auteur est perçu comme patriote ;
  • L’adhésion aux thèses expansionnistes : croire et promouvoir l’idée que le Maroc doit récupérer le Sahara occidental et d’autres territoires supposément nécessaires à son « intégrité territoriale » ;
  • L’adoration du roi : considéré comme une figure sacrée et inviolable par la constitution marocaine.

La presse marocaine se doit donc de suivre fidèlement la ligne officielle, en relayant ces thèses expansionnistes. C’est la première raison pour laquelle le projet de Gara Djebilet suscite tant d’attention : convaincre l’opinion que le Maroc n’a jamais signé ni ratifié de document reconnaissant la souveraineté algérienne sur des territoires qu’il revendique.

La seconde raison s’inscrit dans le cadre d’une guerre de quatrième génération menée par Rabat contre Alger : discréditer systématiquement les réalisations algériennes et semer le doute au sein de la société pour démoraliser ses forces vives.

Enfin, la troisième raison tient au fait que ce projet est perçu comme une menace stratégique : il transformera la région de Tindouf en l’une des zones les plus prospères d’Algérie. Ses retombées socio-économiques positives sur tout le sud-ouest algérien porteront un coup sévère à la propagande marocaine, qui s’appuie largement sur la mise en scène des prétendues réalisations de Mohammed VI, notamment au Sahara occidental.

3) Le Maroc est-il vraiment dans son bon droit ?

Comme souvent, les revendications territoriales du Maroc expansionniste ne reposent sur aucun fondement.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune l’avait d’ailleurs tourné en dérision lors d’une conférence de presse, déclarant avec humour :

« Les Marocains revendiquent tout ce qu’ils voient… et la moitié de ce dont ils ont seulement entendu parler. »

اللي شافوه نتاعهم و اللي سمعو بيه عندهم فيه النص

Le Maroc ne peut donc pas être considéré comme légitime dans sa démarche, et ce pour deux raisons :

A) Histoire : 

Historiquement, les territoires de la wilaya de Tindouf, revendiqués par le Maroc, n’ont jamais appartenu à ce pays. Cela vaut d’ailleurs pour l’ensemble du territoire algérien. Si le Maroc souhaite dresser un bilan historique, il découvrirait sans doute que c’est l’Algérie qui a perdu près de 100 000 km² de ses terres, cédées par la France au Maroc en 1845 (Traité de Lalla Maghnia). Par ailleurs, le Dr Mohamed Doumir a publié une vidéo sur YouTube expliquant en détail que le Maroc ne dispose d’aucun droit historique sur Tindouf.



B) Droit international : 

Conformément au droit international, le Maroc ne dispose d’aucun droit sur la mine de Gara Djebilet, ayant signé et ratifié la convention du 15 juin 1972 relative au tracé des frontières. Par cet accord, le Maroc reconnaît la souveraineté pleine et entière de l’Algérie sur cette mine.


Contrairement aux allégations marocaines, il n’existe aucun lien de dépendance juridique entre la convention relative à la délimitation des frontières et celle portant sur la coopération bilatérale pour l’exploitation de la mine de Gara Djebilet : il s’agit de deux instruments distincts. En conséquence, la violation des stipulations de la convention de coopération n’affecte en rien la validité ni l’exécution de la convention frontalière, et réciproquement.
 


4) La convention signée en 1972 est-elle vraiment contraignante pour l'Algérie ?

Il y a lieu d’examiner la convention de coopération conclue entre l’Algérie et le Maroc relative à l’exploitation de la mine de Gara Djebilet. Du côté marocain, certains prétendus spécialistes en droit international soutiennent de manière récurrente que cet instrument conventionnel serait impératif pour l’Algérie et que le Maroc disposerait d’un droit d’action en responsabilité internationale. D’autres vont jusqu’à proférer des menaces d’agression armée en vue de “récupérer” les wilayas de Béchar et Tindouf.

Or, la section B de l’article 17 de ladite convention, consacrée au règlement des différends nés de la coopération entre les parties, stipule que la compétence du tribunal arbitral est strictement circonscrite aux litiges relatifs à la gestion et au fonctionnement de la Société algéro-marocaine (S.A.M.), ainsi qu’aux différends de nature technique ou commerciale. Il est expressément prévu que ce tribunal n’est pas investi du pouvoir d’interpréter la convention elle-même, ce qui exclut toute prétention à une révision ou à une annulation de ses stipulations. 



Aucun autre organe juridictionnel, y compris le tribunal arbitral de Genève, ne saurait être compétent pour connaître d’un litige relatif à l’interprétation de cette convention, en l’absence de clause compromissoire ou de consentement exprès des parties. Toute tentative de saisine serait donc irrecevable pour défaut de compétence ratione materiae et ratione personae.

Les négociateurs algériens ont fait preuve d’une grande clairvoyance en insérant des stipulations limitatives de compétence, rendant toute action marocaine juridiquement infondée. Nous invitons dès lors les prétendus « experts » marocains, tels que M. Manar Slimi et autres intervenants médiatiques, à préciser sur quel fondement juridique ils entendent saisir le tribunal arbitral de Genève.

5) Conclusion :

Contrairement à l’assertion attribuée à Joseph Goebbels, la répétition d’un mensonge ne saurait lui conférer la force de vérité. L’appareil médiatique marocain s’efforce d’imposer une version des faits dénuée de tout fondement en droit international. La présente analyse démontre que la position marocaine ne repose sur aucune réalité juridique ou factuelle, mais relève de manœuvres discursives sans effet sur la situation effective.

Le projet d’exploitation de la mine de Gara Djebilet a été engagé dans le cadre d’un partenariat stratégique avec la République populaire de Chine, et aucune tentative de déstabilisation ne saurait en compromettre la réalisation.

Quant à la propagande relayée par certains médias marocains, elle poursuit un objectif interne : maintenir l’opinion publique sous l’emprise d’une illusion politique. En Algérie, ces artifices rhétoriques demeurent sans incidence sur notre détermination à consolider notre trajectoire vers l’émergence, afin de garantir la paix, la stabilité et la prospérité à l’ensemble des peuples amis de la région.


(2) : Extrait journal officiel algérien du 15 juin 1973 contenant la convention relative au tracé des frontières et la convention de coopération entre l'Algérie et le Maroc pour la mise en valeur de la mine de Gara Djebilet : https://www.joradp.dz/FTP/Jo-Francais/1973/F1973048.pdf

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