Les velléités expansionnistes d’Abdelilah Benkirane : une déclaration controversée dans un contexte régional tendu
La scène politique nord-africaine est, une fois de plus, secouée par des déclarations controversées émanant de personnalités marocaines. Cette fois, c’est Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement marocain (2011-2017) et leader du Parti de la Justice et du Développement (PJD), qui a relancé une vieille revendication territoriale en affirmant que les régions algériennes de Tindouf, Béchar et Touat appartiendraient historiquement au Maroc. Ces propos, tenus lors d’une réunion du PJD à Casablanca le 11 janvier, s’inscrivent dans un climat déjà marqué par des tensions entre l’Algérie et le Maroc, exacerbées par des différends historiques et politiques de longue date.
Un discours ancré dans un projet expansionniste historique
Les propos de Benkirane s’inscrivent dans une rhétorique récurrente qui trouve ses racines dans les années 1950, lorsque le leader marocain Allal El Fassi, chef du parti de l’Istiqlal, avait développé le concept du « Grand Maroc ». Ce projet expansionniste envisageait l’annexion de plusieurs territoires au-delà des frontières actuelles du Maroc, notamment le Sahara occidental, une partie de l’Algérie, la Mauritanie, le Mali, et même des régions situées jusqu’au Sénégal.
C’est dans ce cadre que le Maroc occupe le Sahara occidental depuis 1975, en violation du droit international et des résolutions des Nations unies qui reconnaissent ce territoire comme un territoire non autonome en attente de décolonisation. En dépit de cet héritage colonial problématique, le royaume continue de promouvoir ce concept, parfois explicitement, parfois à travers des initiatives diplomatiques ou des publications médiatiques.
Un contexte politique et diplomatique explosif
Les propos de Benkirane interviennent à un moment où les relations entre l’Algérie et le Maroc sont particulièrement tendues. En août 2021, l’Algérie a officiellement rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc, citant des « actes hostiles » répétés de la part du royaume. Ces tensions s’inscrivent dans un contexte marqué par des différends territoriaux historiques, notamment la guerre des Sables en 1963, un conflit frontalier qui a opposé les deux pays peu après l’indépendance de l’Algérie en 1962.
En 1972, un accord frontalier signé par le roi Hassan II et le président algérien Houari Boumédiène avait pourtant reconnu officiellement les frontières entre les deux pays. Cependant, les revendications réitérées par certains responsables marocains, comme celles de Benkirane, semblent ignorer ces engagements et ravivent des tensions enfouies.
Une tentative de diversion ?
Les observateurs notent que ces déclarations pourraient également être perçues comme une tentative de diversion de la part du PJD, fragilisé sur le plan politique depuis la signature des accords de normalisation avec Israël en 2020. Ces accords, signés par l’ancien Premier ministre Saad-eddine El Othmani, également issu du PJD, ont suscité une vive controverse dans la région, notamment dans le contexte de la solidarité arabe et musulmane avec la cause palestinienne.
Le PJD, autrefois perçu comme un défenseur des causes islamiques et panarabes, a vu sa popularité s’éroder face à ce qu’une partie de l’opinion publique considère comme une trahison des principes fondamentaux du parti. Dans ce contexte, la réactivation d’un discours nationaliste et expansionniste pourrait être une stratégie pour détourner l’attention des critiques internes et externes.
Les réactions en Algérie : indignation et fermeté
En Algérie, les déclarations de Benkirane ont suscité une vive réaction. Le parti El Bina, dirigé par Abdelkader Bengrina, a dénoncé les propos de l’ancien Premier ministre marocain, les qualifiant d’« irresponsables » et les comparant à l’attitude expansionniste de l’occupant sioniste en Palestine. Dans un communiqué publié le 13 janvier, El Bina a également pointé du doigt les coïncidences troublantes entre les attaques contre l’Algérie émanant de certains responsables marocains, des figures de l’extrême-droite française et des représentants de l’entité sioniste.
L’ancien ministre algérien de l’Intérieur, Dahou Ould Kablia, a rappelé que les ambitions territoriales marocaines remontent à 1957, bien avant l’indépendance de l’Algérie. Selon lui, ces ambitions sont le fruit d’une vision coloniale profondément enracinée dans l’imaginaire politique marocain.
Une crise régionale aux ramifications internationales
Les tensions entre l’Algérie et le Maroc ne se limitent pas à des différends historiques ou idéologiques. Elles ont également des implications internationales, notamment en ce qui concerne la sécurité et la stabilité de la région du Maghreb. L’arrestation récente de l’écrivain algérien Boualem Sansal, accusé d’avoir tenu des propos similaires à ceux de Benkirane sur l’appartenance supposée de territoires algériens au Maroc, illustre la sensibilité de ces questions.
L’affaire Sansal, combinée aux déclarations de Benkirane, intervient dans un contexte où la France, ancienne puissance coloniale, joue un rôle ambigu dans la région. Certains analystes y voient une tentative d’exploitation des tensions algéro-marocaines à des fins géopolitiques.
Conclusion : une rhétorique dangereuse pour la stabilité régionale
Les déclarations d’Abdelilah Benkirane sur la prétendue appartenance de territoires algériens au Maroc ravivent des tensions historiques et risquent d’aggraver les relations déjà fragiles entre les deux voisins maghrébins. Bien qu’elles puissent être interprétées comme une tentative de diversion politique, elles s’inscrivent dans un cadre plus large de revendications expansionnistes qui alimentent l’instabilité régionale.
Dans ce contexte, la communauté internationale a un rôle crucial à jouer pour encourager le dialogue et promouvoir le respect des frontières reconnues internationalement. Une telle démarche est essentielle pour éviter que des discours nationalistes ne se transforment en conflits ouverts, avec des conséquences dévastatrices pour toute la région du Maghreb.
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